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TÉMOIGNAGES
EHC: Expérience
Hors du Corps
L'Expérience Hors du Corps (OBE: Out of Body Experience) est une
forme de conscience "déconnectée" du corps physique où
le sujet est non seulement son propre observateur extérieur mais
aussi celui de son environnement immédiat; lorsque que le sujet
accède à d'autres environnement, réels ou plus hypothétiques,
on parle alors de "voyage astral". Cette expérience est fréquemment
l'amorce d'une EMI (phase autoscopique), cependant elle n'est pas
nécessairement liée à un danger de mort imminente
même objectivée (Fear Death Experience), elle peut-être
plus ou moins spontanée voir fréquente chez certains sujets.
(pour en savoir plus, lire cet article)
En
montagne: petite chute mais grands effets!
Vers l'âge de 16 ou 17 ans (j'en ai maintenant 42), j'ai fait
une chute accidentelle en montagne tombant du sentier qui descend du
Plan de l'Aiguille à Chamonix, dans une combe broussailleuse
à 2 ou 3 mètres en contre-bas, alors que je courais pour
rejoindre le groupe de la sortie géologie organisée par
l'Office du Tourisme de Combloux que j'avais laissé me dépasser
en m'attardant à examiner quelques roches.
Dans ma course, j'ai raté un virage et je suis donc tombé
2 ou 3 mètres plus bas sur le derrière (ne riez pas !
De cette hauteur c'était déjà une chute dangereuse,
même sur le postérieur !), et je me suis évanoui.
C'est à dire que tout s'est obscurci en une fraction de seconde
et que j'ai perdu connaissance. Puis après un temps très
court (quelques secondes peut-être), mon champ de vision s'est
de nouveau éclairci; je revenais à moi; sauf que je me
suis vite rendu compte que quelque chose clochait : je voyais tout cet
environnement de ciel, de végétation et de montagne TOUT
AUTOUR DE MOI, DANS UN CHAMP DE VISION A 360°... et LE CIEL ET LE
SOLEIL ÉTAIENT EN BAS, ET LES MONTAGNES, LE SOL ET LA VÉGÉTATION
EN HAUT ....
Bien que cela n'ait aucun sens pour moi (j'étais alors athée
et rationaliste), il fut tout de suite évident que je n'avais
pas de corps, que je n'étais qu' un point de conscience dans
la vallée de Chamonix quelque part sur le flanc de montagne du
Plan de l'Aiguille, un point de conscience qui serait comme un 'il à
champ de vision sphérique. D'abord intrigué par cette
situation assez cocasse et ludique, je me rappelle avoir pensé
avec humour "Bon, remettons déjà les choses à leur
place !", et avoir "tourné mon regard" comme je l'aurais fait
avec mes yeux de chair afin que le sol et la végétation
se retrouvent en bas et le ciel et le soleil en haut. C'est alors que
j'ai pleinement réalisé ce qui m'était arrivé,
c'est à dire la séparation de mon corps qui gisait forcément
quelque part, et que je devais absolument retrouver et réintégrer
dans les plus brefs délais sous peine d'en être déparé
définitivement par la mort, puisque mes quelques petites connaissances
de biologie me rappelaient qu'un cerveau non-irrigué par la circulation
sanguine pendant plus de 5 minutes était définitivement
mort. La surprise de cet état de conscience hors du corps était
très rassurante sur ce que devait être la mort, puisqu'il
était manifeste que je survivais sans mon corps, et ce avec des
possibilités de mobilité fulgurante très agréable
(ma simple attention vers un recoin de montagne m'y transportait instantanément),
mais en dépit de cela, je réalisai que ma disparition
de ce monde serait un enfer pour mes parents, mon frère et ma
soeur, et que je n'avais tout simplement pas le droit de perdre une
seconde à batifoler, mais que je devais réintégrer
mon corps au plus vite.
Mais mes 1 ou 2 déplacements ludiques m'avaient d'autant plus
désorienté que je n'était même pas sûr
d'avoir été au dessus de mon corps lorsque j'avais repris
conscience. Puisque ma conscience se déplaçait apparemment
avec une versatilité et une instantanéité extrême,
à la moindre attention à un point éloigné
et au moindre désir de le voir de près, j'avais peut-être
repris conscience à 500 mètres de mon corps ? ou à
3 kilomètres ? Comment savoir ?
Cette désorientation était d'autant plus importante que
je n'avais pas de point de référence pour juger de ma
hauteur par rapport au sol : je pouvais confondre un rocher de quelques
dizaines centimètres auprès duquel je me trouvais avec
une montagne. Prendre de la hauteur pour me repérer par rapport
à l'Aiguille du Midi ? Non, j'avais trop peur de ne pas arriver
à redescendre à l'aplomb et de ne pas pouvoir retrouver
mon point de départ, qui malgré tout devait être
le plus proche de mon corps physique. Mes déplacements étaient
trop instantanés et sans aucune maîtrise de la distance
parcourue, et mon appréciation des échelles d'espace et
de hauteur était beaucoup trop précaire pour prendre ce
risque. Je me suis donc repéré à la taille des
plantes et des brins d'herbe pour m'assurer que je ne m'éloignait
pas du sol de plus d'un ou deux mètres et je me suis mis à
fouiller les taillis aux alentours, surtout en contrebas et en surplomb
du sentier lorsque je le croisais.
J'évitais de regarder les montagnes autrement que par un regard
le plus rapide et le plus global possible afin de ne pas me retrouver
projeté en un endroit que j'aurais fixé à plusieurs
kilomètre de là, encore que ces quelques "coups d''il"
rapide ne me fournissaient pas de points de repère reconnaissables,
à part l'Aiguille du Midi trop éloignée des nombreux
sentiers qui descendent du Plan de l'Aiguille. D'ailleurs, ce réseau
complexe de sentiers que j'avais aperçu de loin (lorsque j'avais
repris conscience à quelque hauteur et que je m'étais
"retourné" pour "remettre le ciel en haut"), ce réseau
aperçu en vue aérienne ne m'avait pas permis de reconnaître
le sentier particulier que nous avions emprunté pour descendre,
cette vue aérienne n'offrant aucun des points de repères
que j'avais observés en marchant au sol pendant la randonnée.
Plus le temps passait, plus je réalisais que je n'avais aucune
chance de retrouver mon corps par cette méthode, mon corps se
trouvant peut être à des kilomètres de ces mètres
carrés que j'étais en train de fouiller...
J'étais désespéré par la mort définitive
de mon corps qui allait plonger ma famille dans l'horreur, je ressentais
une culpabilité folle de ne pas avoir été prudent
en courant sur ce sentier, et quasi-instinctivement, je me suis dit
que si la survie de la personnalité hors du corps n'était
manifestement pas des sornettes, le Dieu de mon grand-père était
peut-être tout aussi réel, et que ça valait peut-être
le coup d'essayer de Lui adresser une prière... De toute façon,
j'avais épuisé toutes les solutions possibles par moi-même...
C'est donc cette prière que je lançai à l'Éternel
avec toute la force et la détermination de mon désespoir
( "Mon Dieu, faites que je me retrouve maintenant dans mon corps, je
vous en supplie mon Dieu") qui m'a replacée dans mon corps en
un temps nul, sans aucune sensation de déplacement, et avec une
douleur fulgurante dans l'arrière-train formidablement matérielle
au niveau du coccyx au moment où j'en prononçais (mentalement)
le dernier mot.
Mais cette douleur fulgurante était un vrai bonheur, prouvant
de la façon la plus absolue qui soit que ma famille n'aurait
pas à apprendre la nouvelle affreuse de ma mort. Je me suis très
vite relevé, et malgré une douleur vive et une démarche
très mal assurée, avec toute la force de la gratitude
d'être revenu à la vie, en une dizaine de minutes j'ai
rejoint comme si de rien n'était le groupe qui s'était
arrêté un peu plus bas pour examiner des pierres, et qui
n'avait pas remarqué mon absence. Je me suis donc mêlé
au groupe qui ne m'avait pas vu arriver (absorbé dans ses observations
minérales et par les explications du guide), profitant de ce
moment de répit pour rassembler le courage nécessaire
aux 1 ou 2 kilomètres de marche pour redescendre à Chamonix
sans que personne ne s'aperçoive que je boitais, ce qui fut d'autant
plus facile que les participants sont redescendus tout en continuant
leur discussion sûrement passionnante avec le guide sans prêter
la moindre attention au participant qui suivait quelques mètres
en arrière, participant qui s'émerveillait au même
instant sur une expérience autrement plus passionnante que l'observation
de quelques bouts de granite, même avec un mal au coccyx abominable...
A quoi bon donner des explications puisque personne ne m'en demandait
? De toute façon, la vérité entière m'aurait
fait passer pour un détraqué, et j'étais trop stupéfait
par ce qui venait de m'arriver pour inventer une histoire à la
fois plausible et qui ne mette pas en difficulté le guide qui
n'avait tout de même pas été très professionnel
en ne remarquant pas la disparition d'un de ses randonneurs, ce qui
aurait pu provoquer des chicanes de mon père une fois revenu
à Combloux (j'étais mineur), et de plus, un retour au
chalet sans incident m'éviterait la tentation de partager cette
aventure abracadabrante avec des parents rationalistes qui n'auraient
pu que s'affoler et craindre que je ne sois littéralement "tombé
sur la tête".
Il a fallu un peu de courage pour faire semblant de rien les premiers
jours, surtout quand je m'asseyais sur la banquette (heureusement garnie
de coussins) au moment des repas, mais c'était un bien petit
prix pour la connaissance infiniment précieuse que j'avais apprise,
que la mort de la personnalité n'existait pas. J'avais bien mal
au c... mais j'étais heureux comme un roi ! Lorsque j'ai raconté
cette expérience à mes parents une quinzaine d'année
plus tard, peu de temps après le suicide de mon frère
P., ils n'ont rien répondu et ont dévié la conversation
sur autre chose.
Pourtant, s'ils avaient eux même eu la chance de sortir de leur
corps, s'ils SAVAIENT que P. est vivant comme je le SAIS, comme leur
vie serait différente...
Expérience d'une autre dimension (?)
Cela se passe en 1965, mais le souvenir est si net dans ma mémoire
que c'est comme si c'était arrivé tout à l'heure.
A l'époque, j'ai 34 ans. Je travaille comme traducteur à
l'Organisation mondiale de la Santé. Je suis marié, père
de trois enfants. Mon existence est sans grand problème. Je me
porte très bien et n'ai pas de soucis particuliers. Je suis un
tala (« va -t-à la messe » = catholique pratiquant.
Je suis revenu à la religion après une phase athée
matérialiste qui s'est étendue entre les âges de 16
et 29 ans).
Ce jour-là, à la pause café, je discute avec un groupe
de collègues. La conversation se met à tourner autour de
la religion. Un collègue dit : « Dieu est le produit de l'imagination
de l'homme ». Nous continuons à discuter tranquillement quelques
minutes puis repartons à nos travaux respectifs.
Le soir, au dîner, je raconte cette conversation à Nicole,
ma femme, mais nous n'y attachons pas d'importance particulière.
Nous allons nous coucher. Je me réveille vers trois heures du matin.
Je suis étendu sur le lit, sur le dos, très relaxé.
Je sens le corps de Nicole à côté du mien. Tout à
coup, je « pars ». C'est ici que cela devient impossible à
décrire. C'est comme un envol. Mon corps est là, inerte,
mais je ne suis plus dedans. Je me retrouve projeté d'un coup dans
une autre dimension. Je ne suis plus dans l'espace-temps habituel. (Ces
mots sont tout à fait inadéquats, mais je ne sais comment
exprimer cette sensation). Je suis « ailleurs ».
Il y a, très intense, une présence. Je me trouve comme à
une bifurcation. Deux chemins se présentent, qui sont comme marqués
en lettres de feu (ce n'est pas ça du tout, mais c'est un peu comme
ça, en ce sens que ce n'est pas de l'ordre de l'idée, du
concept, mais beaucoup plus concret, c'est de l'ordre de la perception
: c'est moins « je comprends » que « je vois »).
Il y a d'une part « Dieu est le produit de l'imagination de l'homme
» et d'autre part « L'homme est le produit de l'imagination
de Dieu ». Je me trouve devant un choix, acculé à
choisir, mais il ne s'agit pas d'un choix intellectuel. Cela se passe
à un tout autre niveau, que je ne sais comment qualifier. Peut-être
« tragique ». Ou « grave ». La responsabilité
que je dois assumer a quelque chose d'immense, de supraterrestre, d'éternel.
Oui, c'est assez ça, j'ai le sentiment que c'est mon éternité
qui se joue là. Je me suis souvent dit par la suite que j'avais
vécu là ce que les religions disent qu'on vit après
la mort. En fait, la présence ressentie est celle de Dieu (ce terme
n'est pas juste parce qu'il évoque ce qu'enseignent les religions,
or celui dont la présence se manifeste est très différent,
du moins de ce que le mot « Dieu » évoquait pour moi
avant cette rencontre, mais je ne sais comment l'appeler. J'ai été
tenté de dire « Grand Mystère », mais ce n'est
pas cela non plus. Autre possibilité : l'Éternel. Mais finalement,
le plus simple est tout de même de dire : Dieu). C'est Dieu, et
il est évident.
Éclate alors en moi un conflit qui est la chose la plus terrible
que j'ai vécue de ma vie (pourtant j'ai dû faire face à
ma mort au moins trois fois, la première à l'âge de
neuf ans, mais toutes les choses difficiles que j'ai pu vivre sont sans
comparaison avec cette expérience). Le conflit vient de ce que
je vois Dieu, je vois que c'est Dieu qui Est, mais tout mon être
me porte à souscrire à l'idée « Dieu n'est
pas, ce n'est qu'un produit de l'imagination de l'homme ». Je sais
que c'est faux, je vois que c'est faux, mais je veux que ce soit vrai.
Ce que je vis là pourrait passer pour élémentaire,
une sorte de caprice infantile. Ce serait d'une simplicité enfantine
si c'était intellectuel. Mais ce ne l'est pas. C'est un conflit,
un tiraillement, un écartèlement. Il y a une puissance inouïe
qui, avec une force difficilement surmontable, me tire vers l'affirmation
« Dieu n'est que de l'imaginaire ». Même dans le moment
où je suis sur le point de céder à cette incroyable
pression, je sais que c'est faux, que c'est Dieu qui Est, mais la tentation
de me mentir à moi-même et de nier ce que je vois est d'une
force incroyable. Je n'ai jamais ressenti quoi que ce soit de pareil,
ni avant, ni après. Or, cela se situe presque exactement au milieu
de la vie que j'ai vécue jusqu'à aujourd'hui.
Je suis alors pris par un mouvement de haine comme, de nouveau, je n'en
ai jamais connu. Je hais ce Dieu que je vois et dont je vois l'infinie
bonté. Je veux le détruire, l'anéantir, le supprimer.
Lui cracher au visage (il n'y a pas de visage, pourtant ... comment dire
?... c'est extrêmement concret, mais sans aspect). Je veux le torturer,
le faire souffrir, le faire payer. Je sens en moi une force destructrice
qui m'épouvante. Je n'avais pas cette image de moi. Je suis atterré
de me découvrir sadique et d'avoir envie d'exercer mon sadisme
sur ce Dieu. Pourtant je vois bien qu'il ne me nargue pas, qu'il ne me
demande rien, qu'il m'aime. Mais justement, tout cela est insupportable.
Je voudrais qu'il me nargue, qu'il me méprise, qu'il me limite
en quelque façon, que je puisse avoir une raison de lui en vouloir.
Je n'ai pas envie d'être aimé par ce type-là. Je suis
aussi furieux contre moi parce que je le déteste et qu'il n'a rien
de détestable et que de percevoir ces contradictions, cela m'énerve.
Plus que cela : cela me met en rage. Oui, c'est une véritable rage
que je vis là. D'avoir vécu cela me permet de comprendre,
aujourd'hui, les gens qui cassent tout.
Ce qui est très difficile à évoquer, c'est le temps.
Il n'y a pas de temps, mais il y a quelque chose comme une durée.
En fait peut-être que c'est moins une durée que des degrés
d'intensité. Quoi qu'il en soit, j'ai l'impression que cela dure
longtemps. Que ma rage se prolonge. D'une certaine manière, que
c'est une éternité. D'ailleurs, de le raconter, j'ai l'impression
d'y être encore, comme si c'était présent. Cette sensation
d'éternité, de permanence, je la percevrai pendant toute
l'expérience, bien qu'il y ait des phases différentes. C'est
un peu comme si c'était des scènes qui se succèdent
d'un point de vue logique, mais qui sont simultanées, qui sont,
chacune, éternelles. Et dans chaque « instant » (scène,
moment, séquence, épisode, module?) je me sens totalement
libre, bien que soumis à des pressions et des attirances d'une
intensité sans équivalent sur terre. Je suis libre : le
choix est le mien, uniquement le mien. Ceux qui me tirent chacun de son
côté sont très forts, infiniment plus forts que moi,
mais c'est moi qui déciderai de quel côté je cède.
En cela je suis vraiment libre. Et je suis absolument seul dans cette
liberté.
Je n'imaginais pas qu'on puisse haïr avec cette force. Aussi avec
ce sentiment horrible d'être coincé. Parce que je vois bien
que j'ai tort de haïr, je vois que ma haine ne débouche sur
rien, ne peut rien. Je suis impuissant et furieux d'être impuissant.
Je vois aussi que l'objet de ma haine ' Dieu ' est innocent, donc que
je suis injuste. Je n'ai jamais eu envie d'être injuste. Mais le
sentiment de haine et de rage est d'une puissance que rien de terrestre
ne peut évoquer. Cela a quelque chose de cosmique. Pour un peu,
je dirais que c'est de l'ordre du Big Bang, que l'explosion de colère
est comme une explosion qui crée l'univers. Cela me paraît
très prétentieux d'écrire cela, mais j'essaie de
rendre l'intensité du sentiment. En une trentaine d'années
de pratique « psy » je n'ai jamais rencontré chez un
seul patient une intensité de sentiment négatif comparable
à celle qui m'habite à ce moment-là. Je veux tuer
Dieu, et qu'il meure dans le tourment.
Et dans le même temps, ce qui n'arrange rien, au contraire, je vois
que c'est idiot. Non seulement je suis injuste, coupable et impuissant,
mais en plus je constate que je suis bête. On ne peut pas tuer Dieu,
et je le vois, je n'ai même pas l'excuse d'une illusion d'optique.
Ce sentiment de bêtise n'est pas le plus facile à vivre vu
l'intensité du séisme qui m'ébranle.
Mais c'est probablement lui qui me sauve parce que le moment vient où
je me dis : « Cela ne sert à rien de nier l'évidence
». Ce que je vois est en effet plus évident que quoi que
ce soit qui ait été évident pour moi depuis ma naissance.
C'est plus réel qu'aucune des choses réelles auxquelles
j'ai eu affaire dans mes 34 ans d'existence sur terre. À vrai dire,
c'était même plus réel que le texte que je vois en
cette seconde précise sur mon écran. Je ne doute pas de
sa réalité, mais elle est moindre que Dieu tel que je l'ai
vu dans le moment que j'essaie de décrire. C'est cette Personne
Éternelle qui est réelle, et tout le reste qui est, d'une
certaine manière, imaginaire. Puisque ça ne sert à
rien de nier ce qu'on voit sans doute possible, je vais essayer de surmonter
ma résistance à le reconnaître. En effet, cette «
vision » de Dieu dépasse en indubitabilité tout ce
que j'ai jamais perçu, sur terre. Sur terre, on n'est jamais tout
à fait loin d'un doute, d'une hésitation. On a l'expérience
de l'illusion d'optique, des mots mal entendus, des fois où on
a cru voir et où on s'était trompé, d'où une
impression générale qu'il n'y a pas d'évidence à
100%. Ici l'évidence est d'une luminosité terrifiante, il
n'y a pas moyen de se dire quelque chose comme : « peut-être
que je vois mal », « peut-être qu'il y a quelque chose
qui déforme », « attendons, vérifions, ce sera
peut-être différent ». Il y a quelque chose de définitif,
d'implacable dans l'évidence.
Il y a donc un moment où cela paraît vraiment trop bête
de nier l'évidence. Bien que toute une partie de moi hurle : «
Il vaut mieux faire une bêtise et être que se soumettre à
la raison et cesser d'exister », j'opte ' au prix d'un immense effort,
quelque chose qui ressemble à une tension maximale d'un muscle
dont on sent qu'il va craquer, parce que ce que l'on fait est au-delà
de notre force ' pour « L'homme est le produit de l'imagination
de Dieu » , ce qui implique « Je ne suis pas (par moi-même),
je suis le produit de l'imagination de Dieu, je suis un personnage dans
le rêve de Dieu ». Plus tard, je me dirai que ce pour quoi
j'ai opté, sans me le formuler comme cela à l'époque,
c'était « je suis créé » et que
donc, avant, si j'acceptais avec ma tête que j'étais sorti
du néant par l'action de Quelqu'un, je le refusais avec mes tripes,
sans me douter le moins du monde que je le refusais. Cela m'a rappelé
la Genèse, quand le serpent dit : « Si vous mangerez de ce
fruit, vous serez comme Dieu ». Mais reprenons le récit.
Non seulement l'effort est énorme, mais c'est tout à fait
à contre-c'ur que j'opte pour la réalité. Elle
ne cesse pas de me répugner. Mon sentiment est quelque chose comme
: « Tu gagnes, mais c'est pas juste, c'est pas normal, c'est simplement
parce que tu es le plus fort, c'est facile ' et dégoûtant
' de s'en prendre à des petits ». Là aussi je me rends
compte que je triche avec moi-même. Il n'y a là rien de dégoûtant.
La rivalité entre Dieu et moi n'a pas de sens, elle ne correspond
à rien de réel, il est absurde qu'il y ait un perdant et
un gagnant. Je vois d'ailleurs que du point de vue de Dieu, tout cela
n'a pas de sens. C'est peut-être d'être à ce point
tout le temps renvoyé à moi-même qui me met en rage.
Parce que, même maintenant que j'ai opéré mon choix,
et je sens qu'il est définitif, je continue à vivre des
remous affectifs d'une incroyable intensité. Je ne suis pas serein,
je suis furieux. Je voudrais que tout soit différent, mais enfin,
je reconnais, sans aimer ça du tout, que j'ai tort, que ma rage
est idiote, n'a pas de raison d'être. Que Dieu n'a jamais voulu
m'humilier, au contraire. Il m'aime d'un amour inconditionnel, et je le
vois.
Là intervient une sensation très bizarre, le sentiment que
Dieu pense : « C'est de la bonne bagarre, c'est chouette, celui-là
n'est pas facile, mais c'est sympa de boxer comme ça tous les deux
». De nouveau, les mots sont inadéquats, mais ce que je ressens,
c'est qu'un sentiment de dignité m'est conféré. Bien
que je perçoive mon extrême insignifiance, le regard de Dieu
fait de moi un être immensément important pour lui. Je suis
à la fois totalement dépourvu d'importance et totalement
important, mais le deuxième est un cadeau gratuit. Le premier vient
de l'univers, du hasard, des gènes, de la nécessité
physique, le deuxième vient de Quelqu'un qui donne sans en tirer
le moindre avantage personnel. Mais les deux coexistent. Je suis à
la fois produit insignifiant d'une succession de hasards et Fils aimé
d'une Personne Éternelle.
A ce moment se produit un des éléments les plus bizarres
de ce vécu. Bien que je ne sois pas dans mon corps (je le sens
hors de moi, étendu sur le lit, dans un autre monde), j'ai une
forme. Je suis du rien ayant une forme! Et la forme qui est moi se met
à genoux et pose le front sur le sol (il n'y a pas de sol, mais...),
dans l'attitude d'un musulman qui prie. De fait, j'entends comme si tout
l'univers chantait/faisait vibrer le mot Islâm (avec un â
très sourd). Je suis extrêmement surpris parce que je n'ai
aucun rapport avec le monde islamique et je ne sais pas ce que ce mot
veut dire, mais j'ai vaguement dans l'idée qu'il pourrait signifier
« soumission ».
Une musique tout à fait extraordinaire, d'une beauté paradisiaque,
se fait alors entendre et il y a une foule d'êtres diaphanes, je
suppose des anges, qui vont et viennent, virevoltent, dans une sorte de
ballet étrange. Ils sont tous très heureux. C'est tout juste
s'ils ne me remercient pas, bien que, franchement, vu mon état
d'esprit, il n'y a pas de quoi. Il est vrai que je deviens de plus en
plus serein, et, progressivement (malgré la simultanéité
de tous les moments/modules), vraiment heureux, d'un bonheur comme je
n'en avais jamais imaginé de mon vivant.
J'ai envie de dire que j'éclate alors d'un immense rire. Mais ceci
n'est pas du souvenir. Si ça s'est produit, je l'ai oublié.
Pourtant, l'idée est là avec une grande force. Si c'est
réel, pourquoi l'ai-je oublié alors que, en racontant,
je revis le reste dans tous ses détails ? Mais si ce n'est pas
réel, pourquoi ce pseudo-souvenir se présente-t-il à
mon esprit avec une telle insistance ?
De même, il est possible que je revoie ma vie, toute étale,
mais peut-être que ça aussi, c'est quelque chose que j'invente.
Ce qui est sûr, c'est qu'il devient évident pour moi que
ma vie doit absolument changer, dans un sens altruiste. Il faudra que
je cesse de brasser du papier dans une grande bureaucratie (même
si elle fait du bien), pour me mettre au service de personnes qui souffrent
de façon très concrète.
Je finis par rentrer dans mon corps et m'endormir.
A partir de cette nuit-là, je n'aurai plus jamais peur. (Enfin,
si, il m'arrive de passer par un bref moment de frayeur, mais cela ne
dure pas, cela se stabilise très vite. Il y a en moi une sorte
de sécurité profonde qui me permet de tout traverser avec
quelque chose qui est de l'ordre de la sérénité,
et cela ne ressemble guère à celui que j'étais avant,
j'étais plutôt du genre trouillard).
Mon changement de profession a été matériellement
dur et compliqué, en ce sens que j'ai dû démissionner
d'un emploi bien rémunéré et sûr pour me lancer
dans une aventure que je n'avais peut-être pas le droit d'entreprendre,
mes enfants étant encore petits. Mais en fait tout s'est bien passé.
Dès que j'ai commencé à pratiquer, il s'est révélé
que j'avais une étonnante facilité à comprendre les
gens qui me consultent, même avant qu'ils m'aient donné des
détails sur leurs problèmes. Ma clientèle consiste
surtout en personnes dont les problèmes se situent à l'intersection
de la psychologie et de la spiritualité. Elle comprend beaucoup
de prêtres, religieux et religieuses, pasteurs et personnes engagées
dans les Églises. On me sollicite aussi souvent pour des conférences
sur des sujets comme la culpabilité, ou le bonheur, qui touchent
aux deux domaines. Pour moi, il n'y a pas de doute, il y a avant et il
y a après. L'expérience que j'ai essayé de décrire
est, dans ma vie, l'équivalent d'une ligne de partage des eaux
en géographie.
EHC
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