placement CONCLUSION du livre Deadline-Dernière limite. Dr Jean-Pierre JOURDAN, Les 3 Orangers, Paris 2006 - Réédition Pocket Paris 2010

QUELQUES PISTES DE RECHERCHE

" On commence par dire : cela est impossible pour se dispenser de le tenter, et cela devient impossible, en effet, parce que l'on ne le tente pas. " Charles FOURIER

Je souhaite avoir pu montrer qu'il était possible, malgré leur complexité, de comprendre les EMI comme un phénomène cohérent. Les nombreux invariants révélés par leur analyse permettent sérieusement de les envisager comme le reflet d'un processus complexe irréductible à une simple hallucination ou à un phénomène purement neurologique. Les plus inhabituelles de leurs caractéristiques acquièrent elles-mêmes une logique interne pour peu que nous les envisagions dans le contexte élargi que serait une extension simple, géométrique, de notre univers.

Indépendamment de ce modèle, qui plutôt qu'une théorie doit être compris comme une première tentative de définir un cadre de réflexion, je pense aussi avoir donné au lecteur suffisamment d'éléments pour lui permettre de juger par lui même si ces expériences sont des moulins à vent que poursuivent quelques Don Quichotte, ou si elles sont dignes de l'intérêt de la science.

Dans cette dernière éventualité, j'espère encore avoir montré qu'elles étaient susceptibles de nous aider à dépasser de vieilles querelles qui ont toujours fait le jeu de l'obscurantisme, tout en promettant quelque éclairage sur des zones que la science n'a encore jamais explorées.

Nous avons vu que de nombreuses recherches sont menées de par le monde par des médecins hospitaliers, qui sont en première ligne pour recueillir des témoignages, étudier leur fréquence et leurs circonstances de survenue. Le temps des statistiques était nécessaire : toutes se recoupent et confirment que nous nous trouvons face à un phénomène cohérent qui est loin d'être anecdotique.

Maintenant, il nous faut avancer. Mais comment ?

Le problème de la preuve

Car si les EMI s'avèrent un jour n'être que la partie émergée de la réalité complexe qu'elles semblent supposer et que nous sommes loin d'avoir cernée, leur portée sera évidemment loin d'être négligeable. Le niveau de caution qu'elles nécessitent est à la hauteur de ce qu'elles impliquent : les preuves qui seront fournies devront être irréfutables.

Celles-ci reposant sur des témoignages humains, donc faillibles, ce ne sera évidemment pas une mince affaire.

La majorité des témoignages que vous avez pu lire ont été recueillis au sein de l'association IANDS-France et sont spontanés. La plupart de leurs auteurs n'ont osé parler de leur expérience que de nombreuses années après l'avoir vécue, pratiquement toujours par crainte de n'être pas crus. Nombre d'entre eux se sont tus après une tentative de raconter leur vécu auprès de leur conjoint ou de leurs proches. Si les personnes qui vous sont les plus chères vous regardent comme une bête rare, qu'en sera t-il du reste de vos connaissances ou d'inconnus ?

Cet état de fait se traduit par l'impossibilité de contrôler les dires des témoins, et nous oblige à leur faire confiance quand ils affirment avoir eux-mêmes procédé à des vérifications concernant les événements, lieux, détails et dialogues dont ils se souviennent. Pour moi-même, comme pour tous ceux qui les ont rencontrés et participé aux enquêtes et interviews, leur bonne foi ne fait pas de doute. Mais la bonne foi n'est pas une preuve.

Une étude comme celle de Michael Sabom est nettement plus proche de la rigueur nécessaire à l'étude d'un tel sujet. Une intervention chirurgicale, une réanimation cardio-respiratoire sont des situations inhabituelles comportant de nombreux gestes et détails techniques précis, aussi bien dans leur déroulement que par les appareils et instruments utilisés. Les vérifications systématiques que Sabom a pu effectuer dans les années quatre-vingt ainsi que le test comparatif auquel il a soumis un groupe témoin n'ayant pas vécu d'EMI constituent des éléments qui sont nettement en faveur de l'authenticité des perceptions de ses patients. Plus récemment, le cas de Pam Reynolds est l'un des rares dans lesquels, en plus de la description précise d'instruments et de dialogues, nous avons la certitude absolue qu'aucune activité cérébrale n'était possible au moment de l'expérience.

Mais si ces arguments légitiment la poursuite de la recherche, ils ne constituent toujours pas une preuve irréfutable.

Comment faire ?

Pour que nous puissions enfin savoir à quoi nous en tenir, il va nous falloir réunir plusieurs conditions :

1/ Un diagnostic différentiel précis est évidemment un préliminaire indispensable. La classification que je propose au chapitre 3 résume ce problème : il importe avant tout de bien différencier les EMI " authentiques " d'autres expériences plus ou moins similaires comportant en particulier l'impression de se trouver " hors de son corps ".

2/ Une information suffisante. Nous aurons d'autant plus de témoignages que les personnes ayant vécu une EMI n'auront plus peur d'en parler, et leur recueil sera d'autant plus précoce et fiable que le personnel soignant, en première ligne pour les recueillir, s'y intéressera autant qu'à n'importe quelle autre recherche sans craindre d'être ridiculisé.

3/ Pour l'instant, les EMI ne sont pas reproductibles à volonté. Nous ne pouvons compter que sur des cas spontanés. Afin de multiplier les chances de recueillir des témoignages fiables, nous devrons organiser une étude dans un grand nombre de services, qu'il s'agisse de cardiologie, de réanimation ou de chirurgie, en comptant sur la coopération de médecins, infirmiers et psychologues acceptant de donner un peu de leur temps pour interroger les patients. Car il faudra qu'une question du genre " vous souvenez-vous de quoi que ce soit qui se serait passé durant votre coma / réanimation / anesthésie ? " puisse être posée à tous les patients, en les rassurant sur le fait qu'il s'agit d'une enquête, que la question est posée systématiquement et qu'il est important qu'ils puissent parler librement sans crainte d'être jugés.

En cas de réponse positive, l'idéal serait de pouvoir procéder à une enquête la plus complète possible comprenant, outre un diagnostic précis, le recueil des protocoles thérapeutiques et opératoires, celui des divers enregistrements de paramètres physiologiques quand ils sont disponibles, le témoignage des personnes présentes, la vérification visuelle d'éventuels détails, etc. Le tout, bien entendu, avec l'accord du patient, de l'équipe soignante et éventuellement d'un comité d'éthique.

4/ Si nous souhaitons des preuves réellement irréfutables, il faudra avant tout un protocole extrêmement strict permettant de vérifier de manière indiscutable une perception théoriquement impossible.

Ce critère peut sembler rempli par les témoignages comportant des perceptions vérifiées a posteriori, puisque leurs auteurs, inconscients, étaient dans l'impossibilité physique et le plus souvent neurologique de voir, entendre ou mémoriser quoi que ce soit, les dialogues ou scènes précises qui sont rapportés nous donnant une indication sur le moment de l'expérience. Mais, une fois encore, il est toujours possible d'argumenter sur le fait que tout cela a pu être appris a posteriori et inclus dans un faux souvenir.

Vous me direz que cela fait beaucoup de faux souvenirs étonnamment similaires. Certes, mais nous ne pourrons parler de preuve tant que ce doute ne sera pas levé.

Expérimentation

Une première tentative intéressante est en cours, organisée par le Dr Sam Parnia et le Pr. Peter Fenwick, qui enseigne la psychiatrie au King's College de Londres. Elle consiste à placer des cibles visuelles au plafond de salles de réanimation, évidemment tournées vers le haut. Fenwick (2005) propose de disposer des écrans diffusant des images aléatoires, le tout étant filmé en permanence dans le but de pouvoir vérifier les dires du patient. A ce jour, quatre personnes ont vécu une EMI mais aucun ne rapporte de phase EHC.

Que pouvons-nous en attendre ? Mettez-vous dans la peau d'un patient qui vient de vivre une EMI durant sa réanimation, a assisté à cette dernière dans tous ses détails et " vu " la cible. Admettons donc : 1/ que vous soyez suffisamment sûr de ce que vous avez vu et n'autocensuriez pas votre expérience pendant plusieurs années, 2/ que vous ayez suffisamment besoin d'en parler pour surmonter votre peur de n'être pas cru ou directement adressé au psy du service, 3/ que vous ayez affaire à un médecin, un(e) infirmier(e) ou psychologue qui ne va pas nier d'emblée ce que vous essayez de lui raconter, et va donc vous écouter.

La réunion de ces trois conditions est déjà peu probable, l'expérience le montre. Considérons néanmoins que ce soit le cas. Vous allez donc expliquer ce qui s'est passé, en réalisant au fur et à mesure que si vous étiez à la place de votre interlocuteur vous-même auriez du mal à croire ce que vous racontez. Mais bon, ce dernier semble sincèrement intéressé, il vous a mis à l'aise en vous expliquant que ce n'est pas la première fois qu'il entend pareille histoire, et que tout cela commence à être pris au sérieux. Vous décrivez donc les personnes qui étaient présentes, leurs gestes, leurs dialogues, les appareils qu'elles ont utilisés, etc. Jusque là, rien d'extraordinaire, hormis bien entendu le fait que tout cela soit impossible, puisque vous étiez parfaitement inconscient.

Puis vous réalisez que vous avez aussi vu Betty Boop, Mickey, Gaston Lagaffe, un paysage marin, ou un raton-laveur, flottant nonchalamment au-dessus de votre corps inanimé. Rien de tout cela n'a sa place dans une salle de réa ni dans un bloc opératoire. Encore moins au plafond. En fait, si vous vous êtes d'emblée souvenu de ce détail loufoque, il y a toutes les chances pour que vous ayez été le premier à penser que tout cela n'était qu'une hallucination, et ayez décidé de n'en rien dire. Sinon, allez-vous en parler maintenant, alors que vous avez trouvé une oreille attentive ? N'allez-vous pas penser qu'en avouant un tel élément, vous allez autant décrédibiliser votre récit que si vous aviez vu une infirmière en tutu rose et chaussures à clous ?

Si vous omettez de parler de la cible, nous nous trouvons au mieux dans le cas de l'enquête de Sabom, avec de bonnes présomptions mais toujours pas de preuve irréfutable. Si votre interlocuteur vous interroge dans le cadre d'une enquête organisée et vous précise que des illustrations invisibles du sol ont été disposées au plafond, vous allez effectivement pouvoir soulager votre conscience, et éventuellement avoir confirmation du fait que vous n'avez pas rêvé. Mais qu'en est-il de la preuve ? Car si votre interlocuteur est au courant, il peut savoir ce que représentait la cible. N'oublions pas non plus ceux qui ont conçu l'expérience, la personne qui l'a posée, celle qui est chargée du nettoyage, et au bout du compte tous ceux qui ont accès à l'endroit où elle se trouve et, s'il s'agit d'écrans et que le tout est filmé, ceux qui ont accès aux enregistrements. Il sera donc toujours possible d'objecter qu'elle était connue d'une ou plusieurs personnes, même s'il est peu probable qu'elles l'aient crié sur les toits, ou qu'elle aurait pu être visible grâce à un miroir, un reflet ou une échelle…

La perception d'une telle cible lors d'une EMI apportera certainement une forte présomption supplémentaire, mais nous ne disposerons donc toujours pas d'une preuve irréfutable. Une perception réellement impossible L'idée de Parnia et Fenwick est néanmoins excellente, nous allons donc nous en inspirer pour tester une perception réellement impossible. Impossible pour tout le monde, et non seulement pour un éventuel témoin. Comment cela ?

Tout d'abord, en remarquant que l'étude des témoignages dans leurs moindres détails n'est pas inutile, pas plus que la modélisation que nous en avons déduite. Car si un modèle n'est pas une théorie, il peut néanmoins être prédictif. Nous allons donc utiliser ce dernier pour définir une expérimentation qui rendrait irréfutable une éventuelle perception. Disposer une cible au plafond suppose que le point de perception du témoin se trouve quelque part entre les deux. C'est effectivement ce qui ressort au premier abord d'un certain nombre de déclarations. Les témoins ont en général une vue globale de leur environnement, et ce qui s'en rapprocherait le plus dans des conditions normales serait effectivement de dominer la situation depuis un point de vue autant que possible élevé.

Mais une revue de détail laisse supposer qu'ils ne sont pas plus au plafond que votre œil ne se trouve près du numéro de la page que vous lisez. Il est au-dessus de cette dernière, et " domine " effectivement la situation, puisqu'il la voit dans son ensemble, ce qui permet de comprendre l'impression première des témoins. Il semble en fait s'agir d'une acquisition globale d'information que nous avons modélisée comme une perception depuis une dimension supplémentaire, ce qui devrait avoir plusieurs conséquences.

La première est qu'une éventuelle cible devrait pouvoir se trouver n'importe où dans l'environnement du témoin, pourvu qu'elle soit assez intéressante et originale pour attirer son attention. La seconde est que son emplacement et surtout sa présence devraient néanmoins être suffisamment plausibles pour éviter que ce dernier occulte ce détail, de peur d'être pris pour un halluciné. Le tout sans oublier que la cible doit être totalement inconnaissable de qui que ce soit par des moyens " normaux ". Revoyons un peu le chapitre où nous avons abordé les particularités perceptives dans les EMI : d'une manière ou d'une autre, dix-sept témoins déclarent avoir eu une perception par transparence. J.M. a pu (entre autres) " voir " un tube de rouge à lèvres dans la poche d'une infirmière, P.T. a vu à travers une tente de camping, Be.N. à travers lui-même, X.S. à travers le dossier du sofa, H.C. à travers le chirurgien, F.U. à travers le champ opératoire, etc. Nous allons donc envisager la possibilité qu'une cible dissimulée à l'intérieur d'un contenant totalement opaque puisse faire partie de ce qui est perçu lors d'une EMI. Il pourrait par exemple s'agir d'une ou plusieurs Leds clignotantes et colorées, susceptibles d'attirer l'attention sur elles, dans un container métallique scellé. Plusieurs modèles formant des chiffres ou différentes figures géométriques simples pourraient être utilisés, numérotés de manière aléatoire par un huissier assermenté qui les attribuerait ensuite aux services candidats à l'expérience. La présence de voyants lumineux n'ayant rien d'anormal dans un environnement technique, il n'y a aucune raison pour qu'un témoin hésite à parler d'une flèche verte ou d'un carré jaune clignotants. En revanche, la banalité de cette présence peut réduire ses chances d'être remarquée. Nous avons vu que l'originalité des cibles était en effet primordiale.

Il est possible d'imaginer quelque chose d'encore plus simple, si nous nous rappelons que certains (J.P.K., D.J., F.H.) ont vu l'intérieur de leur corps ou que J.M. a pu décrire l'épaisseur du mur qu'il a traversé. L'hypothèse que la perception lors d'une EMI résultait d'une acquisition globale d'information et non d'une vision au sens propre du terme, laquelle impliquerait une interaction physique, nous permet d'envisager qu'un éclairage ne soit pas nécessaire à cette perception.

Notre huissier pourrait donc simplement sceller des cibles graphiques connues de lui seul dans des enveloppes totalement opaques, elles aussi numérotées en aveugle de manière aléatoire, qu'il ne serait pas nécessaire de fixer près du plafond. Il faudra naturellement éviter d'utiliser des illustrations dont la présence dans un environnement technique et médical serait trop improbable, ce qui risquerait comme nous l'avons vu de dissuader les témoins d'en parler, et parallèlement éviter que leur présence soit trop banale pour attirer l'attention.

Or il existe bien au moins un type de cible visuelle tout à fait susceptible d'attirer l'attention, relativement facile à mémoriser, que l'on peut trouver dans absolument n'importe quel environnement sans que cela soit décalé, choquant ou aberrant, et que personne ne prendra donc pour une perception hallucinatoire. Je n'en parlerai bien entendu, le moment venu, qu'à l'huissier qui voudra bien nous prêter son concours…

Ceci dit, même si vous vous trouvez dans une verrerie, entouré donc d'objets transparents dont l'éventuel contenu serait visible, ce n'est pas pour autant que vous alliez tout regarder et mémoriser. Dans aucun des cas dont nous disposons cette perception par transparence n'a d'ailleurs concerné la totalité de l'environnement. Il ne faudra donc certainement pas compter sur des résultats immédiats.

Le fait de durcir le test de Parnia et Fenwick voit donc ses chances de succès très diminuées, mais avec une compensation de taille : un seul témoignage précis serait une preuve irréfutable. S'agissant d'une expérimentation dont les conséquences, dans l'éventualité d'un résultat positif, seraient plus que sérieuses, il me semble nécessaire d'en confier le contrôle voire l'organisation à des personnes qualifiées, s'engageant à une totale objectivité, à qui l'on ne pourrait faire prendre des vessies pour des lanternes et que l'on ne pourrait soupçonner de complaisance ni de tricherie.

Dr Jean-Pierre JOURDAN