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placement Univers et dimensions

Dr. Jean-Pierre Jourdan - Article publié dans les Cahiers de IANDS-France, N° 15, décembre 2002


Dans deux précédents articles (Jourdan 2000, Jourdan 2001), j’ai essayé de montrer comment toutes les bizarreries que l’on rencontre dans les récits d’EMI peuvent trouver une certaine logique si l’on considère et comprend que la conscience est, au moins pendant la durée de ces expériences, non-locale. Cette non-localité se traduit naturellement par le fait de « transcender » aussi bien l’espace que le temps, ce qui n’est pas si simple que cela à concevoir ! Afin d’illustrer cette démonstration, j’ai imaginé un modèle dans lequel la conscience, lors des premiers stades d’une EMI, « percevrait » notre monde habituel depuis une hypothétique cinquième dimension. Cette perception depuis une dimension englobant celles que nous connaissons remplit toutes les conditions de non-localité - spatiale et temporelle- rencontrées dans les EMI, et permet de plus de comprendre de façon logique les particularités perceptives rencontrées dans ces expériences comme de simples effets de perspective.
Un modèle n’est que ce qu’il est : une hypothèse de travail qui permet de comprendre et de relier certains faits, de façon logique et autant que possible simple. La réalité est en général beaucoup plus complexe que les modélisations que l’on peut en faire, et cela est encore plus vrai pour le sujet qui nous intéresse. Je ne prétends donc pas inventer ou prouver l’existence d’une dimension supplémentaire, ni essayer de montrer qu’elle est le « lieu » de la conscience. Mais si le concept de non-localité est courant en mécanique quantique, il échappe à la compréhension intuitive que nous avons de notre monde macroscopique, ce qui d’ailleurs explique que nous ayons autant de difficulté à comprendre certains aspects des EMI. De même qu’un croquis est souvent plus parlant qu’un long discours, ce modèle (et tout le monde sait que comparaison n’est pas raison !) permettra en l’occurrence de se représenter et j’espère de comprendre ce concept en apparence exotique.
Les quatre dimensions qui sont les nôtres sont bien suffisantes, et bien assez difficiles à gérer (qui n’a jamais loupé un rendez-vous ou un croisement ?) sans qu’il soit nécessaire d’en rajouter, me direz-vous !
Cette notion de dimensions supplémentaires pourrait être un pur jeu intellectuel sans autre valeur que celle d’une image plus ou moins élégante à jeter après usage, si elle n’était pas au centre des préoccupations de bon nombre de chercheurs. Considérant que la validité d’un modèle, quel qu’il soit, est liée à celle du cadre auquel il se réfère, et n’étant pas le premier à utiliser ce concept, je vais donc essayer  de montrer comment  notre conception de l’univers a évolué au fil du temps, et comment les théoriciens qui tentent de rendre compte de sa structure en sont venus à envisager l’existence de dimensions supplémentaires, dimensions qui pour l’instant nous sont cachées et inaccessibles, mais que des expériences de plus en plus nombreuses prévoient de mettre en évidence.

Pour commencer, un peu de gymnastique mentale. Rien de bien compliqué, rassurez  vous, il s’agit simplement d’apprendre à changer d’univers sans perdre le nord… L’intérêt de ce petit exercice, mis à part un dérouillage de neurones qui ne peut faire de mal à personne, est de bien comprendre les propriétés et limitations d’un « univers » en fonction de son nombre de dimensions, le tout en restant limités pour l’instant à une géométrie euclidienne.


L’ESPACE

Un point n’a aucune dimension (mathématiquement parlant, il est infiniment petit). Un univers sans dimension n’a guère d’intérêt, et serait de plus assez difficile à concevoir. Passons donc au modèle suivant :

Une droite possède une dimension de genre espace. Pour définir la position d’un point dans un univers unidimensionnel, il suffit de mesurer sa distance positive ou négative par rapport à un point « origine». Si vous habitiez un tel monde, vous seriez un être un peu bizarre : vous n’auriez ni hauteur ni largeur, tout au plus une certaine longueur, et pour vos déplacements vous ne disposeriez  que d’un seul degré de liberté : ils ne seraient possibles que le long de la droite, ce qui risquerait de se révéler un peu monotone à la longue. La vie dans un tel univers doit ressembler à une interminable file d’attente, comme dans certains pays à économie dite planifiée où, il y a peu, vous étiez condamné à faire la queue pour acheter une paire de chaussures (sans lacets) et recommencer deux mois plus tard pour acheter les lacets (trop courts) qui étaient enfin arrivés… Dans un univers à une dimension, comme dans une file d’attente, vous ne disposez donc d’aucune possibilité de doubler, ni par la droite ou la gauche, qui n’existent pas, ni par le haut ou le bas, qui n’existent pas non plus. 
Un univers à  deux dimensions (longueur et largeur), et se révèle déjà nettement moins frustrant : on pourrait comparer cet univers à une feuille de papier sans épaisseur : si vous êtes un être à deux dimensions, vous n’avez toujours pas de hauteur, mais vous avez une surface. Vous disposez de deux degrés de liberté, ce qui signifie que bien  que vos déplacements soient limités à cette surface, vous pouvez aller où bon vous semble sur cette dernière. Mais le moindre trait se révèle un obstacle infranchissable, et il suffirait de quelques traits refermés sur eux mêmes pour faire une prison dont vous ne pourriez vous évader.     De même, pour cacher quelque chose, il suffit de tracer un trait autour,puisqu’un être vivant dans cet univers n’a aucun moyen de regarder par dessus ou par dessous le trait – tout simplement parce que le dessus et le dessous n’ont pas d’existence.Un être bidimensionnel se trouvant face à ce qui est pour nous une figure géométrique fermée ne pourra en voir que les faces externes, l’intérieur (qui pour nous est visible aussi bien que le reste) lui restant caché.
Un volume, lui, dispose de trois dimensions (longueur, largeur et hauteur). C’est, à notre échelle et approximativement, l’univers dans lequel nous vivons, dans lequel trois coordonnées (sur terre, il s’agit de la latitude, de la longitude et de l’altitude) sont nécessaires pour définir la place d’un point. Nous disposons donc de trois degrés de liberté, et pouvons nous déplacer comme bon nous semble d’avant en arrière, de droit à gauche, monter d’un étage ou descendre à la cave. Pour nous enfermer, une prison doit avoir des murs et un plafond, et pour cacher un objet à notre curiosité, il faut l’enfermer, par exemple dans un coffre. Si celui ci est fermé, nous n’avons aucun moyen de regarder à l’intérieur.
    Pour un artiste, les moyens d’expression dépendent de l’univers dans lequel il vit. Dans le nôtre, qui comprend trois dimensions d’espace, un dessin ou une photographie sont une représentation instantanés de notre réalité sur un plan : ce sont des projections en deux dimensions d’une scène ou d’un objet tridimensionnel.
     Pour un être vivant dans un univers bidimensionnel (un plan ou une membrane), la représentation (toujours par projection) d’une scène ou d’un objet possédant deux dimensions se fera sur un segment de droite qui n’en comprend qu’une : pour un artiste bidimensionnel, l’équivalent de notre feuille blanche sera donc une ligne blanche.
Dans notre univers, si nous voulons à tout prix représenter un objet dans sa totalité (donc en respectant ses trois dimensions d’espace), nous devrons en faire une représentation en relief, c’est à dire une sculpture. Mais pour l’appréhender dans sa totalité, il nous sera nécessaire d’en faire le tour, car nous ne pouvons en voir qu’un côté à la fois. Dans un univers bidimensionnel, l’équivalent de cette sculpture devra conserver les deux dimensions et se limitera à ce qui est pour nous un dessin. Mais pour le connaître en totalité, un être vivant dans cet univers devra lui aussi en faire le tour, car, tout comme nous pour une sculpture, il ne peut en voir qu’une face à la fois. N’oublions pas en effet que cet être vit dans un univers où la hauteur n’existe pas, rien ne lui permet donc de voir son œuvre dans son ensemble.


LE TEMPS

Une droite, un cône, ou la plus belle fille du monde, ne seraient guère intéressants s’ils étaient instantanés, c’est à dire sans durée. Il faut donc rajouter à leurs dimensions spatiales une dimension supplémentaire qui leur permet de « durer ». De même, si vous donnez un rendez vous en ne précisant que le lieu (pour cela il vous faudra définir d’une façon ou d’une autre les trois coordonnées de latitude, longitude et altitude), il manquera une donnée essentielle : le moment du rendez vous, c’est à dire une quatrième coordonnée qui correspond à cette même dimension, qui est tout simplement le temps. Si nous désirons inclure le temps dans une représentation, il sera nécessaire de disposer de plusieurs images successives, qui seront autant de tranches découpées le long de la dimension temporelle (un film en comporte 24 par seconde ).


L’ESPACE-TEMPS

Jusqu’à ce que Poincaré puis Einstein ne viennent  mettre leur grain de sel dans la conception euclidienne et relativement intuitive de l’univers qui avait cours au XIXème siècle, le temps était compris comme absolu, existant indépendamment de toute autre chose, en particulier de l’espace. En développant en 1905 la théorie de la relativité restreinte, Einstein montra que les choses n’étaient pas si simples : le temps et l’espace sont inextricablement liés dans ce que l’on nomme un continuum spatio-temporel. Nous vivons donc non pas dans l’espace tout en subissant le temps qui passe, mais dans l’espace-temps, qui est un continuum à quatre dimensions (trois de genre espace et une de genre temps) le temps étant l’une des dimensions de ce continuum.

Une autre caractéristique qu’il faut bien comprendre pour la suite est que chaque dimension de ce continuum peut être conçue comme perpendiculaire à l’ensemble des autres.
La longueur est perpendiculaire à la largeur, et la hauteur est perpendiculaire à la fois à la longueur et à la largeur. En gros, on peut donc mesurer un déplacement dans la dimension (N+1) par rapport à la dimension (N) en mesurant la longueur de ce déplacement dans une direction  perpendiculaire  à la dimension (N), qui est l’axe définissant la dimension (N+1).
Par exemple, vous lisez ce texte imprimé sur une feuille de papier, c’est à dire sur un plan qui possède (approximativement, puisque la feuille a une certaine épaisseur) deux dimensions. Votre œil se trouve donc à une certaine distance de cette feuille, distance qui est mesurable dans une troisième dimension perpendiculaire au plan de la feuille.
Essayons maintenant de comprendre comment peut exister une dimension «perpendiculaire» à nos trois dimensions d’espace :
Nous avons vu que ces trois dimensions ne suffisent pas à définir notre univers, mais qu’il y en a une quatrième que tout le monde connaît : le temps.
Puisque celui ci, bien que d’un genre particulier, est une dimension comme les autres, il doit logiquement être lui aussi « à angle droit » par rapport à nos trois dimensions d’espace, ce qui est assez difficile à se représenter ! Essayons pourtant:
Quand vous déplacez la feuille que vous lisez, par exemple en la rapprochant de votre œil, tous les points de cette feuille se déplacent simultanément dans une même direction, dont nous avons vu qu’elle est l’axe d’une troisième dimension perpendiculaire à la feuille. Eh bien quand le temps passe, l’ « instant présent » de tout ce qui appartient aux trois dimensions d’espace se déplace de la même façon sur l’axe du temps, à la même vitesse et dans la même direction, c’est à dire du passé vers l’avenir.
Le point ou nous nous trouvons sur l’axe du temps est cet instant présent. Tous les points d’un objet sont exactement à la même distance temporelle de l’objet qu’il était par exemple il y a une heure, soit 3600 secondes. S’il n’en était pas ainsi, il y aurait un risque que votre tête ne se déplace pas en même temps que vos épaules (concept intéressant pour les psychiatres ?), ou que le fond du verre dans lequel vous vous versez à boire ait quelques secondes de retard, ce qui risquerait d’avoir des effets pour le moins bizarres, sans parler des frais de blanchisserie... L’axe du temps est donc bien perpendiculaire à nos trois axes/dimensions d’espace.

Tout le monde a plus ou moins entendu parler du paradoxe des jumeaux : l’un reste sur terre pendant que l’autre va faire un voyage dans l’espace à très grande vitesse. Quand le jumeau spationaute revient de son périple, son frère  terrien a la surprise de le trouver plus jeune que lui. Les équations de la relativité prévoient en effet que quand la vitesse d’un objet augmente, sa dimension temporelle vue par un observateur extérieur (n’ayant pas subi la même accélération) se dilate, cependant que la dimension d’espace parallèle à son déplacement raccourcit.
En effet, pour nous, l’espace-temps à quatre dimensions n’est perceptible que sous la forme de deux sous-espaces, l’un spatial à trois dimensions et l’autre temporel à une dimension, et ce phénomène est lié au fait que l’espace et le tempsont un comportement opposé (ils n’ont pas le même signe) lors de la projection de l’espace-temps sur ces deux sous-espaces.
Essayons de comprendre cela, sachant (Nottale 1998) qu’un changement de vitesse relative est assimilable à une rotation dans l’espace-temps :
    Imaginez vous au centre d’un dôme, et projetez le rayon d’un pointeur laser à l’horizontale : la distance entre vous et le point lumineux représente la dimension spatiale d’un objet immobile par rapport à vous. Comme vous éclairez le bas de la paroi, cette dimension est maximale. Pour simuler une vitesse relative entre vous et l’objet observé - l’angle du faisceau avec l’horizontale représentant la vitesse du mobile - faites simplement tourner votre pointeur d’un certain angle vers le haut : la verticale du point lumineux se rapproche de vous, ce qui traduit le fait que la dimension spatiale de l’objet parallèle à son déplacement a diminué  pour vous qui êtes resté immobile.
Pour simuler ce qui arrive à la dimension de temps, c’est aussi simple : faites la même chose, mais de l’extérieur du dôme (pour être plus proche de la réalité, il faudrait deux dômes différents pour projeter ces dimensions : l’un sphérique pour l’espace et l’autre hyperbolique pour le temps.) La dimension temporelle de l’objet, pour l’instant immobile par rapport à vous, est toujours représentée par la distance du point lumineux sur le bas de la paroi. Cependant, si vous faites tourner le rayon du même angle que tout à l’heure, la verticale du point lumineux s’éloigne de vous : contrairement à la dimension d’espace, la dimension temporelle que vous observez est minimale au repos et augmente lors du mouvement. 
A la limite (c’est à dire à la vitesse de la lumière, qui est elle même un infini inatteignable pour un objet doté d’une masse), la dimension temporelle apparaîtrait dilatée jusqu’à l’infini (c’est à dire qu’une horloge dans le mobile semblerait arrêtée), alors que la dimension d’espace parallèle au déplacement deviendrait infiniment petite (ce dernier semblerait plat).

Les autres dimension spatiales (perpendiculaires au sens du mouvement) du mobile ne sont pas affectées par cette projection : si un vaisseau spatial raccourcit en s’approchant de la vitesse de la lumière, son diamètre, lui, ne change pas.


LES DIMENSIONS SUPPLÉMENTAIRES

Les théories que nous allons passer en revue maintenant reposent toutes sur le concept de dimensions supplémentaires, ce qui va nous poser un problème : il est très difficile -voire impossible- de se représenter mentalement plus de trois dimensions spatiales.
De même qu’une surface (deux dimensions) comporte une dimension de moins que le volume auquel elle appartient (qui en comprend trois), notre univers à trois dimensions d’espace sera plus facilement compris comme la surface d’un univers comprenant au moins une dimension de plus. Afin d’en permettre une représentation mentale dans cette conception plus vaste comprenant des dimensions supplémentaires, il est en fait nécessaire d’en réduire les dimensions afin de les imaginer plus intuitivement. Il faudrait en fait parler d’hypersurfaces ou d’ « hypermembranes ».
Prenons un exemple : la théorie de la relativité générale montre que la gravitation est liée à la courbure de l’espace-temps, courbure liée à la présence de masse ou d’énergie (lesquelles sont équivalentes). Dans cette optique, les trajectoires deviennent des géodésiques, de même que le chemin le plus court d’un point à un autre, sur une sphère comme la terre, n’est pas une ligne droite mais un arc de cercle. Mais plutôt que d’essayer de se représenter  (comment ?) un espace temps courbe, il est beaucoup plus parlant de réduire ce dernier à une surface, par exemple un trampoline, membrane tendue et plate qui représentera très approximativement notre univers en l’absence de toute masse. Une boule de pétanque posée sur cette membrane va la creuser, représentant ainsi la courbure provoquée par la présence d’une masse. Posons maintenant une bille au bord du trampoline, celle ci va suivre la courbure et tomber vers la boule : c’est ainsi que l’on peut se représenter l’attraction gravitationnelle. Si l’on donne à la bille une certaine vitesse elle va se mettre  en orbite et décrire une ellipse comme la terre autour du soleil, et si sa vitesse est encore supérieure, elle échappera à l’attraction de la boule, après une simple déviation de sa trajectoire. C’est ainsi que des sondes spatiales peuvent successivement visiter plusieurs planètes, se servant de l’attraction de chacune pour se diriger vers la suivante.

Mais revenons à nos moutons et à nos dimensions. L’un des premiers modèles d’univers imaginés par Einstein, et qui était l’une des solutions de ses équations, consistait à décrire l’espace comme une hypersphère de rayon constant, notre univers à trois dimensions en étant la « surface » (une hypersphère est une sphère à quatre dimensions d’espace). La quatrième dimension spatiale impliquée par ce modèle permettait essentiellement de décrire la courbure de notre espace-temps, mais le concept de dimension supplémentaire pointe déjà le bout de son nez.


POURQUOI DES DIMENSIONS SUPPLÉMENTAIRES?
   
        Un certain nombre de questions subsistent dans la description de la structure de l’univers par la physique théorique. La première est poursuivie par les physiciens depuis plus d’un siècle : il s’agit -tout simplement- de trouver la « théorie de tout », théorie qui permettrait d’unifier enfin la structure des particules et l’ensemble des forces présentes lors de leurs interactions, c’est à dire l’interaction électromagnétique, l’interaction nucléaire faible (liée à la radioactivité ?), l’interaction nucléaire forte (environ mille fois plus puissante que l’interaction électromagnétique, elle est responsable de la cohésion des protons et neutrons au sein des noyaux atomiques) et enfin l’interaction gravitationnelle. Si les deux premières ont trouvé une certaine unification au sein de la théorie électrofaible, c’est actuellement le « modèle standard » qui est aujourd’hui généralement accepté  pour décrire la matière et les trois premières interactions, électromagnétique, faible et forte. Mais l’interaction gravitationnelle échappe encore à toute tentative d’unification, car elle ne peut être mise dans le cadre d’une théorie quantique, contrairement aux autres forces qui régissent l’univers.
C’est en particulier la recherche d’une théorie quantique de la gravitation qui va nécessiter de concevoir que notre univers possède des dimensions cachées. En fait, deux théories sont pour l’instant nécessaires pour comprendre notre univers : aux petites échelles la mécanique quantique permet de décrire les particules et leurs interactions, aux grandes échelles la relativité générale  en décritla structure et explique la gravitation. Ce que recherchent les physiciens, c’est un cadre qui permettrait de les concilier, et si possible de les unifier.
Deux autres questions sont en fait des énigmes : la première est tout simplement qu’il nous manque pratiquement 90% de la matière de l’univers ! La mesure de la vitesse et du mode de rotation des galaxies donne une idée assez précise de la masse de ces dernières, dont on peut déduire la densité de masse au sein de notre univers. Mais si l’on fait le total de la masse des composants connus de l’univers ainsi que de la totalité de l’énergie représentée par leurs interactions, on ne trouve que 10% de ce que l’on observe par la mesure… La dernière énigme est représentée par la faiblesse de l’interaction gravitationnelle par rapport aux autres forces : pour donner un exemple, entre un proton et un électron  cette dernière est 1039 fois plus faible que l’interaction électromagnétique.

La première théorie visant à une certaine unification et nécessitant une dimension supplémentaire a vu le jour dans les années vingt, proposée par un mathématicien allemand, Théodor Kaluza, et complétée par un physicien suédois, Oskar Klein. A cette époque, l’électricité et le magnétisme avaient déjà été unifiés par Maxwell, cette unification étant de plus compatible avec la relativité qui permet de considérer le champ électrique et l’induction magnétique comme des composantes d’une seule grandeur relativiste. La gravitation, de son côté, était décrite par la relativité générale.
Si Einstein en avait définit les équations dans un espace à trois dimensions, Kaluza eut l’idée de les étendre à un espace comprenant une dimension spatiale supplémentaire. De ce fait, les mêmes équations permirent alors de retrouver soit celles de la relativité générale, soit celles de l’électromagnétisme. Selon la théorie de Kaluza, les champs électromagnétiques se ramenaient à une vibration dans cette cinquième dimension. Personne n’ayant jamais mis en évidence cette dimension supplémentaire,  Klein supposa pour résoudre ce problème qu’elle étaitenroulée sur elle même avec un rayon extrêmement faible, un peu comme un fil de soie très fin ne semble avoir qu’une dimension (la longueur), alors qu’il suffit de le regarder au microscope pour s’assurer qu’il a bien un certain diamètre. Cela permettait de plus de donner une explication à la mécanique quantique : seules les vibrations dont la longueur d’onde étaient un sous multiple exact de la circonférence du cercle pouvaient exister. Chaque mode de vibration correspondait donc à une particule d’énergie bien précise et quantifiée. Malheureusement cette théorie était en avance sur son temps car les outils théoriques qui auraient permis de la faire avancer manquaient, et peu de théoriciens s’y intéressèrent.


LA SUPERSYMÉTRIE

L’idée sous jacente à toutes les tentatives d’unification est que les lois qui régissent l’univers à différents niveaux sont en fait des cas particuliers d’une loi ultime qui reste à découvrir.
Nous avons vu que le modèle standard rend compte de toutes les interactions sauf de la gravitation. Mais il ne s’agit là que de forces, qui donc malgré leur disparité appartiennent à la même catégorie. Dans les années 70 apparut une nouvelle approche, la supersymétrie, qui envisage de relier les forces et la matière, en même temps qu’elle rend compte de la gravitation.
Toute particule possède un moment cinétique intrinsèque (qu’on peut comparer à un moment de rotation) appelé spin. Très approximativement, ce dernier peut être imagé comme l’inverse du nombre de tours que doit faire une particule pour retrouver son état initial (Hawking 2001) : une particule de spin 1⁄2 montrera la même face tous les deux tours, alors qu’il suffira d’un demi tour pour une particule de spin 2.
Toutes celles qui composent la matière (électrons, muon, neutrinos, quarks) appartiennent à la famille des fermions et sont caractérisées par un spin demi entier (1⁄2). A l’inverse, les messagers des interactions sont des bosons caractérisés par un spin entier (0, 1 ou 2).
La supersymétrie est une structure mathématique permettant d’associer à chaque particule un « superpartenaire » appelé sparticule. Cette sparticule possède un spin inférieur d’une demi-unité à celui de la particule dont elle est symétrique. Le tour est joué : le superpartenaire d’un boson (vecteur d’une force) est un fermion (matière), et vice versa. En résumé, cette théorie permet de relier la matière et les diverses interactions qui existent entre ses constituants.
Mais elle va aussi beaucoup plus loin : elle nécessite pour s’exprimer une extension de l’espace-temps appelée superespace, comprenant onze dimensions. Elle rejoint ainsi la relativité générale (qui  peut être étendue à un nombre quelconque de dimensions d’espace-temps), et permet ainsi d’envisager l’unification de la gravitation avec les autres forces.
    Elle permet aussi d’envisager une explication à la masse manquante de l’univers : en effet, les sparticules, si elles existent, devraient avoir une masse 1016  fois supérieure à celles dont elles sont symétriques. Cette masse énorme implique des énergies considérables pour être mise en évidence, ce qui explique que les accélérateurs de particules actuels n’aient pas encore pu les détecter.


CORDES ET MEMBRANES

Qu’est-ce qu’une particule ? La physique a d’abord découvert l’existence de l’atome, puis de ses constituants, protons, neutrons et électrons. Au fur et à mesure que les accélérateurs devenaient de plus en plus puissants, ils permirent de déceler l’existence de particules élémentaires de plus en plus nombreuses, dont les propriétés étaient attribuées à l’arrangement de « sous particules » appelées quarks. Les particules sont définies par diverses propriétés (masse, charge, spin, interactions avec les autres particules), et ont longtemps été vues comme ponctuelles.
Le concept de supersymétrie a permis la naissance de nouvelles théories sur les constituants de la matière, dont l’une des plus étudiées actuellement est la théorie des cordes (il y en en fait plusieurs, qui sont des vues différentes d’une théorie plus générale). Dans cette dernière, toutes les particules sont remplacées par un objet unique, une « corde » unidimensionnelle, donc sans épaisseur mais de longueur finie. Chaque particule élémentaire correspond à un mode de vibration particulier de ces cordes, qui peuvent de plus être soit ouvertes, avec deux extrémités libres, soit fermées, donc bouclées sur elles mêmes. C’est là que peut apparaître une vision quantique de la gravitation : elle repose sur l’existence de gravitons, qui seraient des cordes bouclées sur elles mêmes, alors que toutes les autres particules et interactions correspondraient à des cordes ouvertes. Aux débuts de la théorie, l’ordre de grandeur de ces objets était supposé être celui de la longueur de Planck, soit 10-35 m.

L’intérêt pour nous de cette théorie est qu’elle nécessite six dimensions spatiales supplémentaires, ce qui porterait le nombre de dimensions de notre univers à dix : les trois dimensions d’espace que nous connaissons, plus une de temps, plus six dimensions qui sont en fait si petites qu’elles échappent à nos moyens d’investigation actuels (elles sont dites compactifiées). Ces dimensions peuvent être soit refermées sur elles mêmes, comme la circonférence qu’on peut tracer à la surface d’un cylindre, soit du même ordre géométrique que les dimensions spatiales que nous connaissons .

Parallèlement à la théorie des cordes est apparue celle des « branes » . Une brane est définie par son nombre de dimensions : une 1-brane serait unidimensionnelle comme une corde, une 2-brane serait comparable à une surface, soit plane soit courbe comme la surface d’une bulle, une 3-brane définit les trois dimensions d’espace de l’univers dans lequel nous vivons, etc… Selon cette théorie, (Antoniadis 2001), notre monde serait localisé sur une hypersurface, une p-brane comprenant un nombre p de dimensions spatiales inférieur à neuf.
Ce modèle permettrait de comprendre pourquoi la gravitation est si faible à notre échelle. Cette dernière est décrite dans la théorie des cordes par certains modes de vibrations de cordes fermées, alors que les autres interactions sont décrites par des cordes ouvertes. Or si les extrémités de ces dernières ne peuvent  se déplacer que sur la p-brane  définissant notre univers, les cordes bouclées décrivant l’interaction gravitationnelle peuvent se propager dans des dimensions supplémentaires transverses à la p-brane.
En résumé, l’énergie de toutes les interactions serait intégralement confinée dans notre univers, sauf celle de la gravitation, qui se répartirait dans toutes les dimensions, expliquant que nous ne puissions en mesurer qu’une faible partie. Pour comprendre cela, il suffit de taper du doigt sur une table (représentant…une 2-brane !). Si l’énergie communiquée à la table restait confinée dans son plan, votre doigt ne ferait aucun bruit audible. Si vous entendez quelque chose, c’est parce qu’une partie de l’énergie du choc s’est propagée jusqu’à vos oreilles, donc dans une troisième dimension transverse au plan de la table. Des capteurs situés dans ce dernier, aussi sophistiqués seraient-ils, ne pourraient donc mesurer qu’une partie de cette énergie ! De même, nous ne mesurons peut être que la partie de la gravitation qui se trouve dans nos trois dimensions d’espace, le reste étant diffusé dans d’autres dimensions transverses.
Une variante de cette théorie ( Duff 1998) envisage l’existence de deux univers à dix dimensions reliés par un espace-temps à onze dimensions. Comme dans la théorie précédente, les cordes ouvertes (donc les particules et leurs interactions) sont confinées dans chacun de ces univers, alors que la gravitation peut se propager dans la onzième dimension qui les relie. C’est ce qui pourrait donner une autre explication à l’énigme de la matière manquante, qui serait en fait celle d’un univers situé de l’autre côté de cette dimension transverse, et qui influencerait notre propre univers uniquement par l’intermédiaire de la gravitation.
Dans les théories que nous venons de passer en revue, et pour des raisons de compatibilité avec les lois newtoniennes de la gravitation, les dimensions supplémentaires sont nécessairement finies et très petites. Mais depuis quelques années, les théoriciens entrevoient que ces dimensions supplémentaires pourraient ne pas être si minuscules que cela (Arkani-Hamed, Dimopoulos, Dvali, 2000, Antoniadis 1998 ), envisageant qu’elles puissent approcher le millimètre et parfois plus.
Pour d’autres théoriciens, certaines d’entre elles pourraient même être infinies, ainsi qu’on le suppose des trois dimensions d’espace que nous connaissons. Dans ce dernier modèle (Randall, Sundrum 1999.), la gravitation reste confinée dans nos quatre dimensions, et c’est une dimension supplémentaire qui permet la courbure de notre espace-temps. Les lois de la gravitation dans cet univers à cinq dimensions restent  néanmoins compatibles avec les lois newtoniennes que nous connaissons.


PEUT-ON ÉTENDRE LE PRINCIPE DE LA RELATIVITÉ?

Le principe de relativité généralisée défini par Einstein exprime que mouvement et gravitation n’ont pas d’existence propre, mais sont toujours relatifs au système de coordonnées. Si vous roulez à 180 km/h sur une autoroute, votre voiture et vous même êtes immobiles l’un par rapport à l’autre, simplement parce que vous avez le même système de référence. Mais le radar de la maréchaussée, qui n’a manifestement pas le même référentiel que vous (le sien est immobile par rapport à la route), saura vous démontrer que vous avez un mouvement relatif au susdit référentiel tout à fait mesurable… De même, si vous laissez tomber un objet tout en roulant, pour vous il tombe à la verticale, exactement comme il le ferait si vous étiez à l’arrêt, mais vu par un observateur extérieur (par exemple le gendarme, qui a vu tomber votre portable alors que vous faites semblant de vous gratter l’oreille d’un air détaché), il décrit une parabole. Il en va de même pour l’action de la gravitation : deux parachutistes en chute libre sont parfaitement immobiles l’un par rapport à l’autre, alors que pour un observateur au sol ils se dirigent vers ce dernier à une vitesse du même ordre que celle qui a déclenché simultanément le radar et un ricanement satisfait chez le pandore...

Le cadre géométrique de la relativité générale est un espace courbe, dont le principe a été défini à l’origine par Gauss puis généralisé par Riemann à des espaces possédant plus de deux dimensions. Une caractéristique fondamentale des espaces riemanniens est leur différentiabilité. Mathématiquement, une courbe (une surface) est différentiable si elle peut être assimilée à une portion de droite (de plan) quand on la regarde à très faible échelle. Si vous promenez sur une route vallonnée, cette dernière présente des montées et des descentes, et est donc courbe à grande échelle. Mais cette courbure est de moins en moins apparente à petite échelle, ce qui fait que si vous posez un double décimètre sur le bitume, celui ci semblera posé à plat. Une conséquence en est que l’angle que fait la règle avec l’horizontale en représente à chaque instant la pente, correspondant mathématiquement à la dérivée de la courbe représentée par la route.
Posons maintenant la même règle sur le fil d’un rasoir : elle pourra faire un angle quelconque avec l’horizontale tout en restant posée au même endroit. La courbe représentée par la lame du rasoir n’est pas différentiable, dans la mesure où une infinité de tangentes peuvent être tracées sur son sommet, qui n’a donc pas de pente définie.


FRACTAL, VOUS AVEZ DIT FRACTAL?

Sur une carte de France au 1/1000000, mesurons (en en suivant le plus possible le contour exact) la longueur de la côte landaise, entre Biarritz et Arcachon. Nous trouvons 13,5 cm, soit 135 km. Faisons la même chose avec une carte au 1/250000, cela donne 54 cm, soit toujours 135 km. Il s’agit d’une côte sablonneuse, légèrement courbe mais pratiquement lisse, et si vous la parcourez à pied en suivant exactement le bord de mer, vous trouverez ces 135 km assez monotones. Maintenant, prenons la côte corse entre Calvi et Ajaccio (pour les connaisseurs, je n’ai rien contre la côte bretonne, c’est une question de climat...) et livrons nous au même exercice. Sur une carte à grande échelle, nous mesurons une trentaine de km, mais sur une carte plus détaillée apparaissent des détours invisibles sur la première, et la longueur de la côte passe à 50 km. Sur une carte d’état-major très détaillée apparaissent encore d’autres détails, et la longueur augmente d’autant. Si vous parcourez cette côte à pied, toujours en suivant strictement le bord de mer, contournant donc chaque crique et chaque rocher, ce n’est pas 50 km mais plus de 100 que vous allez parcourir. Cependant la résolution de cette mesure est celle de votre pas, qui ne tient pas compte du relief des rochers en dessous de 1m. Si votre souris blanche vous accompagne en suivant comme vous le bord de l’eau, elle parcourra, elle, plus de 200 km !
Cette côte, où chaque changement d’échelle d’observation montre de nouveaux détails, est un exemple de structure fractale. Pour mesurer les deux côtes, nous avons utilisé les mêmes lois, les mêmes instruments et les mêmes unités. Et  pourtant, s’il est facile de donner une mesure précise de la côte landaise, cela est quasiment impossible pour la côte corse, dont la longueur est essentiellement dépendante de l’échelle à laquelle la mesure a été faite. Les mêmes lois se traduisent par des constatations radicalement différentes selon que la structure envisagée est fractale ou non.
Mais regardons maintenant d’un peu plus près la côte landaise, qui est apparemment non fractale. Si nous la mesurons centimètre par centimètre, sa longueur ne change guère, mais augmentons le grossissement pour arriver à l’échelle du grain de sable… A partir de ce moment, l’interface entre la terre et l’eau cesse d’être lisse, et apparaissent des détours invisibles jusqu’à présent. Cependant que la Méditerranée baigne les pics, les caps, que dis-je !, les péninsules et même les rochers corses, ici l’océan contourne…les grains de sable, et leurs irrégularités. A cette échelle tenant donc compte de chaque grain de sable, sa longueur va instantanément doubler ou tripler. Il en résulte qu’elle aussi, présente une structure fractale, le fait important étant que cette structure n’apparaît qu’en dessous d’une certaine échelle.
Jusqu’à présent, la plupart des théories cosmologiques reposent sur le postulat que la géométrie de notre univers est riemannienne, impliquant que notre espace-temps soit différentiable, c’est à dire que quelle que soit sa courbure –intrinsèque ou imposée par la présence de masse ou d’énergie-, cette dernière est pratiquement toujours finie. Si notre univers est bien ainsi, sa structure sera inchangée quelle que soit l’échelle à laquelle nous allons l’observer.
Le problème est que les lois qui le décrivent sont pour l’instant différentes selon que l’on se place à grande ou petite échelle. Serait-il donc possible que, comme la côte landaise, sa structure et ce qu’on peut en mesurer soient dépendants de l’échelle d’observation ? Le problème serait ainsi résolu : il n’y aurait plus d’un côté les lois de la relativité et de l’autre celles de la mécanique quantique, mais une loi plus générale, unifiée, dont les effets seraient simplement différents selon l’échelle à laquelle elle s’applique, tout comme une simple mesure de longueur donne des résultats différents selon que l’on l’effectue sur une côte fractale ou non.


LA RELATIVITÉ D'ÉCHELLE

La relativité d’échelle, théorie présentée par l’astrophysicien Laurent Nottale (Nottale 1993, 1998) repose précisément sur l’abandon de ce postulat d’un univers « lisse » et différentiable. Il en résulte une plus grande généralité des lois physiques, impliquant la notion d’un espace-temps fractal dont la structure dépend de l’échelle à laquelle on l’étudie, les propriétés quantiques apparaissant précisément aux petites échelles en même temps que se révèle la nature fractale de l’espace-temps dont elles résultent.
Cette théorie , loin d’exclure celles que nous venons de résumer, leur fournit au contraire un cadre élargi qui est particulièrement bien adapté (Castro1997) aux développements récents des théories des cordes.

L’auteur élargit le principe de relativité en énonçant un principe de relativité d’échelle:
«Les lois de la nature doivent être valides dans tous les systèmes de coordonnées, quel que soit leur état d’échelle.»,
complété par un principe de relativité étendu:
 «Les équations de la physique gardent leur forme (sont covariantes) sous n’importe quelle transformation d’échelle (c’est à dire sous les contractions et dilatations des résolutions spatio-temporelles).»

Notre espace temps étant manifestement différentiable aux grandes échelles, il doit donc exister, comme pour la côte landaise, une échelle de transition fractal / non fractal, qui s’identifie à la transition quantique (aux petites échelles relatives) / classique (aux grandes échelles).
C’est une échelle relative, qui correspond dans l’espace à la longueur de De Broglie  et dans le temps au temps d’Einstein (qui sont respectivement la longueur et le temps en dessous desquels apparaissent les effets quantiques). Elle dépend de la masse et de la vitesse (laquelle est relative au système de coordonnées), en augmentant quant masse et vitesse diminuent. Si la vitesse tend vers zéro, l’échelle de transition tend idéalement vers l’infini, sans limite. Autrement dit, un système qui est classique dans un repère quelconque deviendrait quantique après un changement de repère vers un référentiel idéal entraîné avec le mouvement du corps, donc où le mouvement disparaîtrait.
C’est malheureusement très difficile à réaliser dans la réalité (autant que de prendre le gendarme et son radar avec vous dans la voiture), car il faudrait atteindre des vitesses extrêmement petites ; de plus, une fois annulé le mouvement global du corps, les mouvements d’agitation de ses constituants (dont la température du corps est la mesure) prennent le relais. La transition de De Broglie du mouvement libre laisse alors la place à l’échelle de De Broglie thermique. C’est ce qui explique que les effets quantiques macroscopiques connus relèvent toujours des basses températures (supraconductivité, freinage d’atomes par laser, condensats de Bose-Einstein) et que la supraconductivité à « haute » température (qui reste en grande partie encore incomprise) a paru et parait encore si étonnante. Pour donner un exemple, un corps macroscopique comme un stylo devrait être refroidi à la température de 10-40 Kelvin pour devenir quantique !


CINQUIÈME DIMENSION ET TEMPS SPATIALISÉ

La structure de cet espace-temps fractal/quantique résulte d’équations différentielles en échelles qui satisfont au principe de relativité. Elle permet de démontrer l’équation de Schrödinger et les principaux axiomes de la mécanique quantique. On peut la schématiser ainsi :
A l’échelle de nos perceptions habituelles, c’est à dire à grande échelle, il existe trois dimensions d’espace et une de temps (c’est-à-dire un espace-temps dans lequel le temps n’a pas le même statut que l’espace à trois dimensions).
Vers les petites échelles, nous avons vu qu’il apparaît une échelle de transition relative, inversement proportionnelle au mouvement (soit de translation, soit d’agitation). Cette échelle se déduit d’équations différentielles fondamentales, écrites dans l’espace des échelles, et qui satisfont au principe de relativité d’échelle.
C’est à partir de cette échelle de transition (qui n’est pas absolue, dépend du repère et peut varier) et en dessous, que deux changements de structure particulièrement intéressants pour nous se révèlent simultanément :
  • Il apparaît une cinquième dimension
  • Le temps change de statut et devient une quatrième dimension de type spatial, c’est-à-dire qu’il se combine avec les trois dimensions spatiales ordinaires suivant la relation de Pythagore à quatre dimensions.
Les effets de ce changement de structure, combinés aux autres effets issus de la non différentiabilité que sont les pertes d’information angulaire et spatiale et l’irréversibilité, résultent dans l’apparition de lois quantiques (cohérence, inséparabilité, non localité ...) sous l’échelle de transition, et classiques au dessus.
Il est remarquable de retrouver là pratiquement toutes les caractéristiques du cadre défini dans le modèle que je propose. Ce dernier repose en effet sur trois « piliers » essentiels: la non localité de la conscience, une cinquième dimension et une spatialisation du temps.

Il s’agit là de l’introduction d’une authentique cinquième dimension, qui a le même statut que les trois dimensions d’espace et la quatrième dimension de temps, et  qui est aux changements d’échelle ce que le temps est au  mouvement.. Cette cinquième dimension s’impose du fait même du caractère fractal de l’espace-temps. Et cette géométrie fractale est elle-même, non pas postulée, mais déduite de la plus grande généralité de la description géométrique, c’est-à-dire de l’abandon de l’hypothèse de différentiabilité.
Pour comprendre cette nécessité, on peut revenir à notre compréhension actuelle de ce qu’est le temps, dont l’existence s’établit expérimentalement à partir de celle, avérée, du mouvement. Aristote le définissait comme « la mesure du mouvement ». Dans la physique aristotélicienne, espace et mouvement sont les grandeurs primaires et le temps s’en déduit comme grandeur secondaire (nos appareils de mesure du temps en sont toujours là). Galilée opéra un extraordinaire renversement, fondateur de la physique moderne. Il prit comme variables primaires l’espace et le temps, introduisant ainsi le premier « espace-temps »: même si espace et temps y restent séparés, ils y deviennent semblables en essence, si bien que des rapports d’intervalles d’espace sur des intervalles de temps prennent un sens. La vitesse peut alors être définie de manière instantanée comme un tel rapport, donc comme grandeur secondaire, dérivée. Le caractère vectoriel tridimensionnel de la vitesse s’impose alors et se comprend comme conséquence du caractère tridimensionnel de l’espace, rapporté à la quatrième dimension qu’est le temps.
La relativité d’échelle fait exactement le même raisonnement. Dans le domaine quantique, les résultats de mesure dépendent explicitement des quatre incertitudes (ou résolutions de l’appareil de mesure, ou échelles d’observation) sur les quatre coordonnées spatio-temporelles.  On va alors considérer ces quatre « résolutions » comme grandeurs dérivées, définies comme le rapport entre quantités spatio-temporelles, et une autre quantité qui doit donc être introduite de manière nécessaire : une cinquième dimension. Cette cinquième dimension, (que l’auteur a proposé d’appeler « djinn ») est donc aux échelles ce qu’est le temps au mouvement, et les résolutions sont des « vitesses d’échelle ».  Dans la représentation en termes de fractals, le djinn se ramène à la « dimension fractale »  elle-même, généralisée et devenue une variable indépendante.  La dimension fractale est un concept qui s’ajoute à celui de dimension topologique, sans aucunement prendre sa place. Il s’agit donc bien d’un espace-temps-djinn de dimension topologique 5.


Toutes les théories et modèles que nous venons de passer en revue reposent sur le concept de dimensions supplémentaires. Ce concept peut paraître exotique et semble relever de la science-fiction, pourtant il n’en est rien. La physique a elle aussi son top 50, et concernant les dimensions supplémentaires ou cachées, le sujet est d’actualité : sur les 10 articles les plus cités dans les revues de physique en septembre et octobre 2000, 6 leurs sont consacrés (La Recherche, avril 2001).
L’émergence et la nécessité (dont nous avons vu qu’elles ne sont pas si récentes que cela) de nouveaux concepts comme celui que nous venons de résumer est symptomatique : si notre intuition et notre perception du monde de tous les jours se satisfont d’un espace-temps quadridimensionnel, ce dernier ne permet pas de rendre compte des lois de notre univers de manière complète et satisfaisante.
Il en va de même pour les EMI, qui ne peuvent à mon avis être comprises, ainsi que je l’ai expliqué dans de précédents articles, que si l’on accepte de sortir de notre compréhension intuitive et classique de l’univers, ce qui en fait n’a rien de sorcier :

Lors d’une EMI, la non-localité de la conscience est une évidence, aussi simplement que le fait que vos yeux n’appartiennent pas à la surface de la page que vous lisez mais sont dans une dimension supplémentaire par rapport à cette dernière. Je pense avoir montré que les bizarreries que sont les effets de transparence, l’impression de plusieurs angles de vue simultanés, la perception instantanée de séquences temporelles et parfois d’une vie entière peuvent être compris comme les simples effets de perspective que l’on peut s’attendre à retrouver lors de la perception d’un espace-temps depuis une dimension supplémentaire. Tout se passe donc comme si lors d’une EMI la conscience se retrouvait dans cette cinquième dimension et « percevait » des scènes de notre monde habituel avec une perspective particulière mais parfaitement logique et compréhensible.
De même, en physique théorique et en cosmologie, l’existence de dimensions supplémentaires permet d’envisager une unification des lois de l’univers. Pour la relativité d’échelle, les lois quantiques ne seraient que la manifestation de lois relativistes dans un univers qui se révèlerait fractal à petite échelle. La structure et le comportement des particules élémentaires trouvent une nouvelle logique en théorie des cordes, les particularités de l’interaction gravitationnelle deviennent aussi compréhensibles et laissent envisager une unification de toutes les forces. Tout se passe donc, aussi, comme si l’existence d’une ou plusieurs dimensions supplémentaires permettait enfin de comprendre les bizarreries de certaines lois de notre univers.
Si nous vivions dans un univers à deux dimensions, comment pourrions-nous voir une quelconque logique au comportement des ombres qui traverseraient parfois notre monde, tant que nous n’aurions pas compris que ces dernières sont la projection de phénomènes qui se passent dans une troisième dimension ? Les lois de notre univers bidimensionnel seraient insuffisantes tant que nous n’envisagerions pas de les étendre.
Il n’y a pour l’instant aucune preuve de l’existence de ces dimensions supplémentaires, tout au plus un faisceau de présomptions d’ordre théorique. Il est néanmoins intéressant que ce concept puisse aider à la compréhension de deux domaines aussi étrangers l’un à l’autre que sont la physique théorique et l’étude des EMI. Seul l’avenir nous dira si tous ces modèles qui ne sont pour l’instant que d’ordre spéculatif peuvent receler une réalité susceptible de nous ouvrir de nouveaux horizons.

Dr Jean-Pierre Jourdan


Bibliographie
  • Antoniadis I. & al., New dimensions at a millimeter to a fermi and superstring at a Tev, Phys Lett B., 436, 257, 1998.
  • Antoniadis Ignatios, La Recherche, N°343, juin 2001, p.25-31
  • Arkani-Hamed N., Dimopoulos S., Dvali G., Les dimensions cachées de l’univers, Pour la science N° 276, Octobre 2000.
  • Castro C., Found. Phys. Lett., 10, 273, 1997.
  • Duff Michael, Les nouvelles théories des cordes, Pour la Science N°246, avril 1998, p. 66-72.
  • Hawking Stephen, L’univers dans une coquille de noix, Odile Jacob 2001.
  • Jourdan Jean-Pierre, Juste une dimension de plus, Les Cahiers de IANDS-France, Hors-Série scientifique, N°1, février 2000.
  • Jourdan Jean-Pierre, Les dimensions de la conscience, Les Cahiers de IANDS-France, N° 7, janvier 2001.
  • La Recherche, Gravité et dimensions cachées, 341, 14, avril 2001.
  • Nottale L., Fractal Space-Time and Microphysics : Towards a Theory of Scale Relativity, World Scientific, 1993.
  • Nottale Laurent, La relativité dans tous ses états, Hachette Littérature 1998
  • Randall L., Sundrum R, An alternative to compactification, Phys. Rev. Lett.83, 4690-4693, 1999.
  • Randall L., Sundrum R, Large mass from a small extra dimension, Phys. Rev. Lett.83, 3370, 1999.