« Je n'oublierai jamais ma propre expérience
qui se produisit après un épuisant séminaire. Je
me suis sentie enlevée dans un royaume d'amour et de sollicitude
indicibles, flottant, soulevée par des bras invisibles et tendres.
J'étais rajeunie, mes énergies régénérées,
comme si une douzaine de mécaniciens avaient amoureusement réparé
et remis à neuf une vieille voiture. De retour dans mon corps
physique, je me sentais fraîche et pleine de force. J'avais la
conviction que l'on veille réellement sur nous au-delà
de tout entendement. »
Elisabeth KübIer-Ross
(in Heading toward Omega de Kenneth Ring)
La NDE peut être perçue comme un exemple parfait de
l'expérience et de la vision transpersonnelles. Mais il serait
plus juste de dire que la NDE a apporté plusieurs contributions
fondamentales au mouvement transpersonnel. Mon propos sera, tout d'abord,
d'entreprendre un tri de ces contributions.
L'expérience transpersonnelle de la lumière
Dans un premier temps, il est évident que le prototype NDE est
en lui-même l'illustration la plus parfaite de l'expérience
transpersonnelle.
Je vous livre la description qu'a pu en faire un expérienceur
:
« C'était une immersion totale dans la lumière
la plus éclatante, dans la chaleur, dans la paix, avec un immense
sentiment de sécurité... Immédiatement, je me suis
dirigé tout droit vers cette magnifique lumière qui était
si intense. C'est difficile à décrire. En fait, c'est
impossible à décrire. Cela ne peut simplement pas être
exprimé avec des mots. C'est quelque chose qui devient vous-même
et dans quoi vous vous transformez. Je pourrais dire par exemple : "
J'étais paix. J'étais amour. " J'étais cette lumière
intense, elle m'appartenait comme une partie de moi-même. Vous
êtes savoir universel et tout est en vous. C'est tellement beau.
C'était l'éternité. Un peu comme si j'avais toujours
été là et que j'y resterais à jamais. Comme
si ma vie sur terre n'était qu'un bref passage. » (Ring,
1984, p. 52-53.)
Voilà le royaume que la NDE révèle : une vision
fugitive, mais inoubliable, dans l'univers de l'expérience transpersonnelle.
Nous savons aujourd'hui que, depuis quarante ans, le moyen d'accéder
à cet univers a été donné à des millions
de personnes. A ce stade, il convient de simplement relever ce fait,
mais nous nous attarderons plus loin sur sa signification pour le mouvement
transpersonnel.
L'apport essentiel de la décorporation au paradigme transpersonnel
Dans un second temps, la cause de la science transpersonnelle et du
nouveau paradigme a connu, ces dix dernières années, un
grand essor grâce aux nombreux commentaires, discussions et études
consécutifs à ces expériences.
Il est désormais évident que les NDE ne peuvent plus
être perçues comme de simples hallucinations, ou comme
la réalisation de désirs (Zaleski, 1987). De même,
les explications scientifiques fondées sur la biologie ne constituent,
dans le meilleur des cas, que des réponses partielles. Elles
sont, de toute façon, insuffisantes pour rendre compte de l'ensemble
des caractéristiques de la NDE (Ring, 1980). La NDE apparaît
non seulement comme une authentique expérience psychospirituelle,
mais également comme un phénomène qui pose un formidable
défi aux opinions mécanistes ou matérialistes sur
la nature de l'esprit humain.
La virulence de ce défi n'est nulle part ailleurs aussi évidente
que dans la cohérence des témoignages des expérienceurs,
notamment dans ce qu'ils semblent être capables de percevoir alors
qu'ils se trouvent « sortis, hors de leur corps » (Kincaid,
1985 ; Holden, 1988).
Nos lecteurs connaissent déjà l'élément
le plus caractéristique de la NDE, rapporté par les expérienceurs
: la « vraie personne », qui est à l'intérieur,
se retrouve au-dessus de son propre corps physique. Elle voit son corps
et son environnement comme pourrait le faire quelqu'un d'autre, le plus
souvent avec une très grande précision. Je veux parler
ici de ce que l'on appelle la « sortie hors du corps » (Out
of Body Expérience : OBE), phénomène bien connu
des chercheurs, car fréquemment rapporté par les expérienceurs.
Les témoignages recueillis directement sont généralement
très impressionnants. Ainsi, les nombreux sujets que j'ai pu
personnellement rencontrer ont souvent commencé par me dire à
quel point ils avaient été effarés de voir, du
fait qu'ils se trouvaient bien au-dessus de la table d'opération,
la couche de poussière et les toiles d'araignées qui couvraient
les plafonniers. Témoignage déconcertant, mais fréquent,
dont voici un exemple représentatif celui d'une femme de quarante-huit
ans qui vécut une sortie hors de son corps en 1974, à
la suite de complications postopératoires.
« Mon anesthésiste, me dit-elle, était un médecin
qui s'occupait souvent d'enfants. Il s'était rendu compte que
les enfants étaient souvent saisis d'une grande frayeur parce
qu'ils n'arrivaient pas à distinguer un médecin en blouse
blanche d'un autre. Il avait alors décidé de porter un
bonnet jaune décoré de papillons magenta, afin que ses
jeunes malades puissent le reconnaître. »
Ces précisions devaient prendre tout leur relief au cours du
témoignage qui allait suivre. La patiente avait sombré
dans le coma et son médecin avait dit : « Cette femme est
en train de mourir. » Et tout d'un coup :
« Boum ! Je suis partie ! La première chose dont j'eus
conscience, c'était que j'étais en train de flotter au
plafond. En le regardant par-dessus, avec son bonnet sur la tête,
je sus que c'était lui. Ce bonnet se détachait du reste
avec une telle précision ! Il faut dire que je suis totalement
myope, c'est d'ailleurs une des choses renversantes qui me sont arrivées
quand j'étais sortie hors de mon corps : en temps normal, je
ne vois qu'à trois mètres ce que les autres peuvent voir
à cinquante... Ils étaient en train de me brancher sur
une machine qui se trouvait derrière ma tête. Ma première
pensée fût vraiment de me dire : « Mon Dieu, je peux
voir ! C'est incroyable, je peux voir ! » Je pouvais lire les
chiffres écrits sur la machine à laquelle ils m'avaient
raccordée. J'étais tellement excitée ! Tout d'abord,
j'ai pensé qu'ils m'avaient rendu mes lunettes. J'étais
un peu désorientée, parce que, dans un premier temps,
je ne savais pas vraiment ce que je regardais. A cette époque,
je portais les cheveux presque jusqu'à la taille, et ce fut la
première chose que j'ai pu reconnaître : ma chevelure qui
tombait d'un côté du lit. Ces gens étaient en train
de m'opérer. L'un d'eux me rasait le ventre. Mais je n'ai pas
pu voir ma tête tout de suite à cause de toutes ces têtes
penchées au-dessus de moi... Ils me branchaient sur cette machine,
puis ils m'ont mis un tube dans le bras du côté du coeur
et ils m'ont inondée d'antibiotiques (mais je n'ai su ça
qu'ensuite). Ils m'avaient mis un tube dans le nez pour que mon estomac
reste vide. Aujourd'hui, je ne me souviens plus de ce qu'ils ont fait
d'autre. Ils n'ont été rassurés à mon sujet
que bien après. »
« A en juger par votre capacité à lire les chiffres,
lui dis-je, vous pouviez voir tout cela clairement.
Oui, je pouvais même m'en souvenir ... 2
Tous les objets se détachaient avec une grande clarté...
De là où j'étais, je pouvais voir cet énorme
néon. Il était vraiment dégoûtant
- A ce moment-là, vous pouviez voir le sommet de la lampe ?
- Je flottais au-dessus de la lampe.
- Vous pouviez voir au-dessus ?
- Oui. (Elle semblait exaspérée par ma question.) Je
pouvais voir au-dessus et je me souviens de m'être dit qu'il faudrait
absolument en parler aux infirmières. Je ne sais pas combien
de temps je suis restée là [mais] j'ai pu voir ce qui
se passait dans le compartiment voisin du mien. Nous étions dans
une série de compartiments séparés par des rideaux.
Je pouvais voir ma voisine et je me souviens qu'elle dormait. Je ne
suis pas allée ailleurs. Je suis restée juste au-dessus
de mon corps.» (Ring, 1984, p. 4243,)
Voilà l'un de ces témoignages curieux inattendus et même
pleins d'humour qui laissent à penser que le discours psychologique
trop enclin au matérialisme peut connaître de très
sérieuses brèches. Néanmoins, le procès
que l'on pourrait faire à ce type de discours a des limites.
Elles tiennent à l'absence de preuves tangibles qui viendraient
corroborer les comptes rendus des sujets qui prétendent être
sortis de leur corps, et qui ne rapportent que leurs seules sensations.
Il existe pourtant des preuves, mais cela reste rare dans le cadre de
la recherche sur la NDE. Prenons, par exemple, le cas de Maria (Clark,
1984).
Maria, une travailleuse saisonnière, rendait visite pour la
première fois à des amis de Seattle. Pendant son séjour,
elle eut une grave crise cardiaque. Transportée à l'hôpital,
elle fut admise au département de cardiologie. Quelques jours
plus tard, victime d'un arrêt du coeur, elle fut rapidement réanimée.
Une employée de l'hôpital, Kimberly Clark, fut chargée
de s'occuper d'elle. Au cours de leurs conversations, Maria lui raconta
qu'elle avait flotté au plafond et qu'elle avait pu voir l'équipe
chirurgicale l'opérer. Clark avait entendu parler des NDE mais
restait sceptique. Elle écouta tout de même avec intérêt
l'expérience bizarre rapportée par Maria, sans dire ce
qu'elle même en pensait. Jusque-là, Clark croyait détenir
une explication plus plausible de l'expérience. Or, Maria en
vint à lui raconter qu'elle n'était pas simplement restée
à flotter au plafond de sa chambre, mais qu'elle s'était
retrouvée en dehors de l'hôpital. Elle précisait
que son attention avait été attirée par un objet
qui se trouvait sur la corniche, au troisième étage de
l'aile nord du bâtiment. Elle s'était « pensée
là-haut », et quand elle y était « arrivée
», elle s'était trouvée nez à nez avec une
chaussure de tennis ! Maria s'était attachée ensuite à
décrire de la façon la plus détaillée cette
chaussure. Entre autres, elle avait mentionné que le petit orteil
y avait fait un trou et qu'un des lacets était coincé
sous le talon. Maria avait finalement supplié Clark d'aller voir
si elle pouvait retrouver cette chaussure. Elle voulait savoir si elle
l'avait vue en rêve ou non.
Très curieuse du résultat, Clark s'empressa de s'exécuter.
Elle monta au troisième, alla de chambre en chambre, regardant
chaque fois par la fenêtre. Et, en effet, sur la corniche nord
du bâtiment, elle finit par apercevoir une chaussure de tennis
qui ressemblait trait pour trait à celle que Maria avait décrite.
A l'écoute d'un tel témoignage, on doit d'abord se demander
quelle est la probabilité pour qu'une travailleuse saisonnière,
séjournant pour la première fois dans une ville donnée,
admise en urgence à l'hôpital la nuit, en pleine
crise cardiaque, ait vu au cours d'hallucinations une chaussure de tennis,
à la forme et aux caractéristiques très particulières,
sur la corniche d'un étage supérieur à celui dans
lequel elle avait été admise ? Les chances d'avoir pu
voir un tel objet ne sont même pas mesurables. A moins de douter
de l'authenticité du témoignage de Clark 3,
on a les plus grandes peines à expliquer les phénomènes
étranges du cas de Mafia, sans violer les dogmes de la psychologie
matérialiste.
Bien sûr, un sceptique pourra toujours faire valoir qu'un cas
isolé et jamais reproduit, même s'il ne peut apparemment
pas être mis en doute, ne suffit pas à entailler les certitudes
d'une pensée matérialiste, encore moins à lui infliger
une véritable défaite. Cela est certain, et ce sceptique
aura raison. Mais cela n'est pas un cas unique dans les annales
de la recherche sur les NDE. Il y en a bien d'autres.
Le meilleur travail dans ce domaine a été fourni par
le cardiologue Michael Sabom, qui a publié les résultats
de ses recherches dans son livre Souvenirs de la mort (1982).
Il y rapporte une douzaine de cas. A l'évidence, les faits laissent
à penser que les malades ont réellement perçu,
pendant leur NDE, des choses dont ils n'avaient pourtant pas connaissance,
ou qu'ils n'auraient matériellement pas pu percevoir.
Les cas rapportés par Sabom ne sont pas scientifiquement probants,
mais c'est cette matière première fournie par la recherche
qui nous permet de remettre en question les préjugés conventionnellement
admis concernant la relation entre le corps et l'esprit. Cette recherche
sur les NDE a au moins eu pour résultat d'avoir obligé
les scientifiques et les philosophes - et tous ceux que le sujet intéresse
- à prendre en considération les déclarations des
partisans de la science transpersonnelle et du nouveau paradigme (cf
Capra, 1982, Grof, 1985).
Ainsi, tandis que des médecins ramènent le corps des
survivants des frontières de la mort à la vie, les témoignages
de ces derniers concordent à leur tour pour ressusciter la notion
d'âme dans la psychologie moderne. Platon est toujours vivant
!
L'approche transpersonnelle de la mort
Les études sur les NDE ont, en outre, donné une nouvelle
vigueur à une vieille idée, qui ne représente pas
seulement un intérêt pour quelques membres d'une communauté
de chercheurs, mais également pour l'humanité entière.
Je veux parler d'une approche particulière de la mort elle-même.
Sans choquer personne, je pense que l'on peut l'appeler « approche
transpersonnelle de la mort ».
D'un point de vue moderne et profane, notre idée de la mort
(je veux dire quand on meurt vraiment) se distingue, de façon
très nette, de son appréhension traditionnelle, telle
qu'on peut la rencontrer dans des cultures qui admettent l'existence
de l'âme et d'un voyage dans l'au-delà (cf Grof et Grof,
1980 ; Kalweit, 1988). Ces croyances sont, pour nombre de nos contemporains,
surannées. Comme dirait Freud, elles représentent le legs
archaïque de l'enfance de l'humanité, lorsqu'elle était
dominée par la croyance en des puissances magiques, et non pas
par le principe de réalité. Mais aujourd'hui, la recherche
sur les NDE nous amène à dire que ce sont ces jugements
modernes qui pourraient bien être tout à fait dépassés.
Le trait marquant et déterminant de la NDE est de démontrer,
de façon unanime, que la mort, telle qu'elle est observée
de l'extérieur, n'a rien à voir avec ce que l'on
peut en ressentir de l'intérieur. Sous bien des aspects, l'expérience
intérieure de la mort est à l'opposé de ce qui
peut être effectivement donné à voir. D'un point
de vue extérieur, nous ne pouvons qu'éprouver de l'horreur,
être saisis par le point final que nous impose la mort. Pourtant,
le mourant, en rejetant son enveloppe physique trop usée, connaît
l'intensité d'un amour parfait et l'influx d'un savoir universel.
Auden a crié un jour: « Ceux qui vont passer de vie à
trépas exigent un miracle. » La recherche sur les NDE permet
de répondre : « Détendez-vous, vous n'en avez plus
pour longtemps. »
Grâce à la très large publicité dont ont
bénéficié les NDE, l'approche traditionnelle (et
transpersonnelle) de la mort a pu trouver de nouvelles bases empiriques.
Approche trop longtemps éclipsée, dans notre culture essentiellement
dominée par le matérialisme et l'obsession technologique.
Avec un tel renouveau dans notre façon de l'appréhender,
c'est toute l'imagerie archétypale liée à la mort
qui est en révolution. Ce squelette armé d'une faux, longtemps
symbole dominant de la mort dans la culture occidentale, tend à
disparaître de notre psyché. Il est effacé par l'éclat
de ce que Moody a appelé « l'être de lumière
». Cet être de lumière est de plus en plus fréquemment
associé au passage de la vie à la mort. Il en devient
son sens véritable. Cela traduit un changement de point de vue,
qui d'extérieur est devenu intérieur.
Nous pouvons comprendre maintenant à quel point la recherche
sur les NDE peut grandement contribuer à la vision transpersonnelle
du monde moderne.
L'éveil de la conscience transpersonnelle
Pour l'instant, il n'a pas encore été fait mention de
l'apport déterminant des NDE au mouvement transpersonnel : la
transformation de la conscience et du comportement que la NDE provoque
chez le survivant. On retrouve, en effet, un changement quasi identique
chez presque tous les expérienceurs dans leur échelle
de valeurs et dans leur vision du monde. Je me contenterai d'en esquisser
les traits principaux, de manière à donner une idée
de l'ensemble. Ces découvertes représentent les résultats
d'études menées par différents chercheurs, en toute
indépendance, sur les effets secondaires d'une NDE (cf Ring,
1980, 1984 ; Grey, 1985 ; Flynn, 1986 ; Atwater, 1988).
Tout d'abord, les expérienceurs font montre d'une extrême
considération pour le bien-être des autres, ce qui se traduit
de différentes façons : ils sont plus tolérants,
plus patients, ont plus de compassion pour les autres, et surtout rayonnent
d'amour. Ils disent à quel point il est important de faire don
d'un amour inconditionnel, et que ce don est une des valeurs primordiales
dans la vie. Bien sûr, il est aisé de tenir un tel langage,
mais il est plus difficile de s'y conformer. Après dix ans passés
au milieu d'expérienceurs, je suis convaincu qu'ils sont, eux,
réellement prêts et capables de vivre selon ces principes.
L'importance accordée aux biens matériels, au succès
sans autre moteur que l'ambition personnelle et le besoin de faire bonne
impression sur les autres, tend à disparaître après
une NDE,
De même, l'orientation spirituelle connaît de très
profonds changements. L'expérienceur montre une volonté
d'adhérer à des valeurs et à une foi universelles,
plutôt qu'à telle ou telle croyance sectaire d'une religion
en particulier. De nombreux expérienceurs refuseront de se dire
plus religieux. En revanche, ils affirment connaître une plus
grande spiritualité.
Après une NDE, les expérienceurs semblent accréditer
la thèse, familière aux chercheurs en religions comparées,
d'une « unité transcendantale de la religion », c'est-à-dire
l'idée que toutes les grandes traditions religieuses partagent
une même et unique notion du divin- Parmi les expérienceurs,
beaucoup reconnaissent que cette conviction leur est venue directement
à la suite de leur rencontre avec la mort. Ils sont ainsi plus
enclins que d'autres à désirer une spiritualité
universelle (non pas une religion mondiale). En admettant chacun en
son sein, elle permettrait d'en finir avec les divisions traditionnelles
nées des religions organisées, sources de tant de déchirements
et de malheurs dans le monde
Enfin, les expérienceurs ont un sentiment très fort du
caractère sacré et unique de toute vie. Ils montrent ainsi
un plus grand intérêt pour le bien-être de la planète.
De par leur NDE, ces personnes semblent désignées pour
accéder à la citoyenneté planétaire. Comme
nos astronautes, elles ont pu voir le caractère irréel
et arbitraire de toute frontière dressée par l'homme entre
les peuples et entre les espèces.
Il me semble en avoir suffisamment dit sur les répercussions
reconnues d'une NDE pouf que ma conclusion soit transparente. Dans l'idée
de donner plus de relief à mon exposé, voici quelques
lignes tirées d'un document distribué lors de la Conférence
transpersonnelle internationale de 1988 :
« La vision transpersonnelle du monde a permis de redécouvrir
le statut cosmique de la psyché humaine et de réintroduire
la spiritualité dans la pensée moderne comme démarche
primordiale dans la vie. Les frontières politiques, sociales,
économiques, culturelles, naturelles, sexuelles, raciales, et
même entre espèces, sont toutes traversées par la
vision transpersonnelle. Elle recèle un potentiel extraordinaire
d'unification planétaire. Les différences entre religions
pourraient être effacées, car sa force spirituelle n'est
liée à aucun système particulier de foi ou de croyances,
mais est, par essence, mystique et universelle. La spiritualité
transpersonnelle convient parfaitement à l'humanité moderne.
Universelle et non discriminante, elle transcende les séparatismes
et les fondamentalismes des principaux courants religieux. Elle n'exige
pas une foi aveugle, mais demeure empirique et expérimentale.
» (Grof et Grof, 1988.)
En connaissance de cause ou parfaitement ignorants, de nombreux expérienceurs
prennent part au mouvement transpersonnel. La NDE en elle-même
est un éveil à la conscience transpersonnelle. Témoigner
de cette forme de spiritualité montre que la leçon a été
bien comprise. Il n'est pas surprenant que de nombreux expérienceurs
fassent maintenant partie du mouvement transpersonnel. D'autres recherches,
ne touchant pas aux NDE, semblent indiquer que sommeille en chacun de
nous un savoir spirituel, qui n'attend qu'une expérience transcendantale
pour voir le jour. Sur ce point, les réflexions de Stanislas
Grof sont particulièrement pertinentes :
« Les travaux sur la thérapie psychédélique,
ainsi que d'autres formes d'expérimentations, permettent de penser
que la spiritualité est une faculté de la psyché
qui apparaît spontanément quand le processus d'exploration
intérieure atteint une profondeur suffisante. L'expérience
de la confrontation directe avec les régions périnatales
et transpersonnelles de l'inconscient est toujours accompagnée
du réveil spontané d'une spiritualité totalement
indépendante de l'enfance, de l'éducation et de l'appartenance
religieuse, du milieu socioculturel ou même de la race. La spiritualité
devient naturellement un élément essentiel et vital chez
la personne qui accède à ce niveau dans sa psyché.
» (Grof, 1985, p. 368.)
Conclusion : Confluence ou émergence des courants transpersonnels
Il convient de prendre en considération les implications de
ces effets pour l'ensemble du mouvement transpersonnel, voire pour le
domaine plus large de l'évolution psychospirituelle de la conscience
humaine.
Au cours de cet article, j'ai signalé que nous avions à
présent la certitude que des millions d'Américains avaient
connu une forme de NDE après avoir survécu à une
mort imminente. L'Institut Gallup a estimé leur nombre à
environ huit millions en 1982. Nous savons que le phénomène
NDE n'est pas cantonné aux seuls Etats-Unis d'Amérique.
De nombreux pays occidentaux connaissent la NDE sous une forme presque
identique- A notre époque, elle peut sans doute être considérée
comme un phénomène universel, du moins au sens de prototype
de l'expérience du passage dans l'autre monde (Zaleski, 1987),
et ce même si les descriptions faites par les expérienceurs
sont déterminées, jusqu'à un certain point, par
leur propre culture.
Nous sommes également capables maintenant de déduire
les caractères transpersonnels des effets secondaires de ce type
d'expérience. Mais ce qu'il faut à présent imaginer,
ce sont ces mêmes effets secondaires sur des millions de personnes.
Considérer l'accès de plus en plus large aux méthodes
modernes de réanimation. Parallèlement, de plus en
plus d'individus, qui auraient dû mourir, vont non seulement vivre
une NDE, mais également retourner dans la société
avec une vision transpersonnelle du monde, quelles que soient leur tradition
religieuse, leur race, leur nationalité, etc. Le médecin
moderne est, involontairement, le grand prêtre d'aujourd'hui.
La salle d'opération est le lieu où le mystère
doit être apprivoisé. L'expérienceur est le nouvel
initié. La technologie moderne contribue de façon déterminante
à produire de plus en plus d'hommes et de femmes qui ont toutes
les chances d'adhérer aux valeurs transpersonnelles et, ainsi,
de montrer l'exemple dans le monde contemporain. Depuis leur rencontre
avec la mort, leur psyché recèle le ferment de cette orientation.
Plus leur nombre ira croissant, plus ces personnes favoriseront l'épanouissement
de ce que l'on pourrait appeler « un champ morphogénétique
de la conscience transpersonnelle » (Sheldrake, 1981). C'est cet
espoir qui a donné son titre à cet article : « La
contribution permanente de la NDE au mouvement transpersonnel. »
C'est un don qui se perpétue.
Nous n'avons traité ici que des seules NDE. Ce n'est qu'un des
nombreux courants qui viennent se jeter dans la rivière qui alimente
la connaissance transpersonnelle. Les expérienceurs ne constituent
pas l'affluent le plus important, ils n'en forment qu'un parmi d'autres.
Cette rivière elle-même est le symbole d'une façon
d'être transpersonnelle. La psyché humaine est traversée
par un puissant courant de changements, qui la pousse à s'exprimer
à un niveau global (Ring, 1984, 1986), Reste à savoir
si des phénomènes tels que la NDE peuvent faire partie
d'une évolution vers une conscience supérieure et vers
un savoir transpersonnel pour toute l'humanité.
Les expérienceurs sont-ils les hérauts d'une nouvelle
étape dans la conscience humaine, celle de la conscience cosmique
que Richard Maurice Bucke (Bucke, 1969) prédisait au début
de ce siècle ?
A l'aube du troisième millénaire, ces questions ne trouvent
toujours pas de réponse. Quoi que nous réserve l'avenir,
une conclusion se dégage : les expérienceurs nous montrent
ce que notre futur sur terre pourrait être, si nous arrivions
à maîtriser les courants de la connaissance transpersonnelle.
Puissent nos travaux sur la psychologie transpersonnelle contribuer
à cette fin.
1. Cet article fut pour la première fois
publié, sous une forme légèrement différente,
dans le cadre de la Conférence transpersonnelle internationale
qui s'est tenue à Santa Rosa, Californie, le 12 octobre 1988.
2. Cette femme me rapporta qu'elle avait demandé
l'autorisation de retourner dans la salle d'opération pour vérifier
si les chiffres qu'elle avait vus sur la machine étaient bien
les mêmes. Elle prétend qu'ils concordaient parfaitement.
A l'époque, elle en avait parlé à son anesthésiste.
Je n'ai pas pu vérifier ce témoignage car ce dernier n'exerçait
plus dans le Connecticut et elle-même l'avait perdu de vue. Néanmoins,
son cas donne une indication quant aux possibilités offertes
de recouper les témoignages avec ceux de personnes extérieures.
3, Clark est une excellente amie. J'ai toute confiance
en son honnêteté et sa rigueur.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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1985.
ZALESKI C., Otherworld Journeys. New York, Oxford University
Press, 1987.
2.
LES NDE SELON LA THÉORIE DE Mme BLAVATSKY
Un modèle transpersonnel proposé au XIXè
siècle
Jean-Louis SIEMONS
Biophysicien
" La mort est l'ultime extase sur la terre. "
H.P. Blavatsky
Le modèle explicatif présenté ici, très
schématiquement, s'inscrit dans un système élaboré
de représentation du monde et de l'homme, formulé au XIX'
siècle, sous le nom général de théosophie,
par Madame Blavatsky (1831-1891) et son principal disciple W. Q. Judge
(1851-1896). Dans leurs écrits (encore très mal connus
de nos jours), ces auteurs se proposaient de dégager de l'ésotérisme
des grandes religions et philosophies les prolongements pratiques intéressant
l'individu et la collectivité. L'origine des connaissances était
essentiellement attribuée à des maîtres orientaux,
dont Mme Blavatsky se disait disciple et dont l'identité est
ici d'importance secondaire, vu qu'elle ne saurait rien ajouter à
la crédibilité de l'ensemble : seuls doivent compter la
logique interne du modèle et son pouvoir d'explication face au
vécu des NDE.
Dans un climat de matérialisme scientifique envahissant, et
face à la vague du spiritisme, consolant, mais rudimentaire dans
ses théories, la théosophie a fait beaucoup pour éclairer
l'expérience de la mort - et l'itinéraire posthume de
l'être -, en se fondant sur une description de la vie consciente
de l'homme qui demeure, aujourd'hui encore, un modèle de psychologie
transpersonnelle (bien avant la lettre). On notera que cette approche
ne doit n'en à des spéculations personnelles des auteurs,
ou à des emprunts à la psychologie de leur siècle
: elle s'appuie sur un vécu expérimental et des
observations directes, qui sont à la portée de certains
yogis entraînés.
Fidèle à l'esprit des philosophies orientales,
la théosophie reprend et développe largement la conception
dynamique d'un univers considéré comme un tout vivant,
théâtre d'une immense évolution ascendante de la
conscience, vers un éveil progressif, dans des individus
humains appelés à prendre en main leur propre destinée.
Dans cette optique (où la réincarnation a sa place), ce
qu'on appelle communément la mort n'est qu'un épisode
de la très longue histoire d'un être vivant. Ses processus
doivent répondre à une logique - à des lois naturelles
- coordonnant avec précision les événements successifs
marquant l'arrêt des fonctions biologiques et le bouleversement
psychologique du changement de plan d'activité de la conscience
: la théosophie met l'accent sur le vécu subjectif
du mourir et de la mort, beaucoup plus que sur des descriptions formelles.
Cependant, l'interprétation psychologique qu'elle proposait
de ces expériences (avec leurs perspectives insoupçonnées)
avait de quoi surprendre l'Occidental, qui se satisfaisait de ses conceptions
un peu simplistes de l' « âme », réduite à
une sorte de personnalité immortelle, apparemment capable de
dialoguer encore avec les vivants, par médium interposé.
D'où l'insistance des auteurs théosophes à distinguer
dans l'homme plusieurs niveaux de conscience, liés à des
plans spécifiques d'activité de l'être. Essentiellement,
et pour simplifier, la différence était faite entre la
personnalité, siège du Moi contingent de l'homme
ou de la femme, engagé dans les fluctuations de son histoire
terrestre - « l'Ego incarné » - et ce qui était
appelé, par contraste, son Aller Ego permanent, l'individualité
(transpersonnelle par excellence) constituant le foyer réel d'identité
et de conscience de l'homme - le témoin des incarnations successives.
Faute de mots adaptés, en 1875, la théosophie a dû
créer son propre vocabulaire, dont les termes ont parfois un
sens différent de nos jours. Ainsi, le mot personnalité
(rappelant persona = le masque d'acteur) évoque le «
personnage » éphémère (très lié
à son corps et à son milieu) auquel s'identifie l'homme
le temps d'une vie. Sauf cas très rares (enfants mourant en bas
âge), cette personnalité, structurée comme elle
l'est, se désagrégera après la mort. A l'opposé,
l'individualité (terme qui entend rappeler la partie permanente,
indivise de l'être) renvoie à une sorte de Moi total, durable,
qui sous-tend le Moi partiel terrestre. Les mots « âme »
et « esprit » prêtant à confusion, le terme
Ego (avec une majuscule) est préféré pour
désigner ce foyer ultime de conscience et d'identité individuelle,
qui est la racine vivante et profonde de l'homme conscient. Également,
le composé « Soi-Ego » rappelle que cette entité
trans-personnelle n'est qu'un relais ou, si l'on préfère,
une sorte de miroir, focalisant, à son niveau individualisé,
quelque chose de la grande Conscience Une et Universelle - par essence
im-personnelle -, réalité radicale et transcendante
diversement étiquetée selon les écoles comme le
Soi, ou le Soi supérieur, l'Atman, l'Adibuddha,
etc. En simplifiant beaucoup à l'aide d'une image, on devrait
concevoir cet ineffable Soi comme un soleil central, source inépuisable
de toute conscience (et de toute énergie) se manifestant
à un degré ou à un autre dans l'univers, visible
et invisible. Dans cette optique où, nécessairement, physique
et métaphysique se confrontent, l'activité consciente
d'un être humain résulte de l'interaction coordonnée
entre une machinerie (corps, cerveau) extraordinairement complexe et
un « témoin » intérieur, conscient.
Même si ce témoin (par exemple, notre « moi »
personnel) a lui-même une structure très complexe, s'il
est le siège d'innombrables « expériences de conscience
», il conviendrait de distinguer nettement : 1° : ce témoin
qui les vit, 2° : le contenu d'images et d'énergies
de son champ de conscience, et 3° : la pure « lumière
1 » de sa conscience, qui fait de
ce témoin non pas un simple écran d'ordinateur où
s'ordonneraient ces images, mais un être conscient, présent
à son vécu, qui en perçoit et en goûte
le sens. Tout cela pour dire finalement, avec la théosophie :
quand un sujet-témoin fait une expérience quelconque («
dans » son corps, ou « en dehors »),
son sentiment d'identité est une émanation de son
Ego profond, transpersonnel (même si le « je » particulier
du témoin est coloré par toute son histoire terrestre,
et peut être sensible aux conditions actuelles de son expérience)
; et son pouvoir de conscience, qui le distingue d'une supermachine
douée d'intelligence artificielle, est comme une réflexion,
dans la sphère spécifique de ce sujet, de la lumière
une et incolore du Soi central, transmise jusqu'à cette sphère
par le foyer actif de l'Ego.
Dans un rêve rapporté par Jung (Ma Vie, p. 367-368),
ce Soi-Ego de l'homme est apparu comme un yogi en méditation
dont le visage était celui du psychologue. D'où l'interprétation
:
« Mon Soi entre en méditation, pour ainsi dire comme un
yogi, et médite sur ma forme terrestre. On pourrait dire aussi
: il prend la forme humaine pour venir dans l'existence à trois
dimensions, comme quelqu'un revêt un costume de plongeur pour
se jeter dans la mer [...] il peut faire les expériences du monde
et, par une conscience accrue, progresser vers sa réalisation.
»
Pour la théosophie, l'Ego est effectivement riche de la quintessence
de toutes les expériences de conscience de toutes les personnalités
terrestres qu'il a animées au fil de la réincarnation.
Et pendant qu'il « médite » l'un de ses personnages
successifs sur la scène, dans l'espace-temps radicalement différent
qui est le sien, il conserve une perception globale de tout ce déroulement.
Selon Mme Blavatsky, « il ne connaît dans l'éternité,
ni passé, ni futur, mais un éternel PRÉSENT
». Ce qui lui confère une sorte d' « omniscience
divine dans sa nature et sa sphère d'action propres ».
Ajoutons encore que le domaine possible des expériences de l'homme
« personnel » ne se limite pas à la veille et aux
rêves. Ce témoin conscient peut accéder à
des plans transphysiques (diversement désignés comme astraux,
éthérés, subtils, etc.), soit pour y découvrir
des réalités « objectives », propres à
ces plans (par exemple, l'exploration de la contrepartie astrale du
monde physique en OBE, l'accès à la mémoire dynamique
de la nature gérée par la « lumière astrale
», etc.), soit également - et bien souvent - pour y projeter
son propre reflet, sous forme de visions, ou d'hallucinations, qui n'ont
plus qu'un rapport lointain avec les réalités «
objectives » de ces plans. Le transfert dans ce monde insolite
de l' « astral » - assurément caractérisé
par un espace-temps différent - suppose que le témoin
y accède avec un jeu distinct de sens de perception et d'action
afin d'y « dialoguer » avec ce monde, ainsi que de penser
et mémoriser ses expériences. Cela implique toute une
machinerie « astrale » (contrepartie des sens et du cerveau
physiques) qui, selon le témoignage immémorial d'experts
en ce genre d'expériences, semble fonctionner d'autant mieux
que la machinerie physique est mise en veilleuse.
Cependant, ce domaine, où la théosophie reconnaît
plusieurs strates spécifiques (un clairvoyant peut accéder
à l'une et ignorer toutes les autres), ne constitue encore que
les coulisses invisibles de toute l'activité physique et psychique
de notre planète. Cette psychosphère, essentiellement
dynamique, où nous baignons, est empreinte de l'histoire,
individuelle et collective, de tous les êtres terrestres. Fortement
liée au devenir, à l'expérience individuelle
dans le monde des formes séparées, de la dualité
(moi et l'autre), elle est de nature psychique : il faut aller
au-delà pour accéder à la sphère spirituelle,
où le mystique cherche à atteindre l'unité,
l'être immuable, l'éternelle source de vie,
de conscience, d'énergie et d'amour, qui soutient les univers
manifestés dans toutes leurs fluctuations.
Pour la théosophie, le Soi-Ego de l'homme se trouve à
l'interface entre ces deux inondes. Enraciné dans l'être
par sa nature profonde, il est aussi dépendant du devenir
par les mille liens qui l'attachent à l'incarnation terrestre.
Cependant, cette dernière est, en réalité, bénéfique.
puisqu'elle doit servir à long terme à l'élaboration
d'une personnalité psychique complètement ouverte à
l'influx de l'Esprit - en permettant ainsi l' « incarnation »
de ce dernier dans un être humain, pour le plus grand bénéfice
de la collectivité. Mais, du même coup, la métamorphose
radicale du moi psychique - sa « spiritualisation » - autorisant
sa communion consciente et permanente avec l'Ego, sa racine transpersonnelle,
déterminera la libération de ce Prométhée
enchaîné depuis des âges à la roue de la réincarnation.
Ce Soi-Ego qui, dans l'homme, n'avait été qu'un invisible
témoin vigilant, ou un secret messager de l'Esprit, sera devenu
comme un dieu, une puissance consciente, alliée aux forces évolutives
de la nature. C'est, bien sûr, le but de l'initiation spirituelle
de réaliser finalement cette extraordinaire transfiguration.
Dans ce schéma complexe de l'être humain, envisagé
dans sa totalité et sa destinée spirituelle, le mourir
n'est pas le prélude à l'anéantissement complet
du moi conscient (avec les réactions psychologiques que l'on
peut légitimement associer à une telle menace), ni le
retrait de l' « âme » personnelle, retournant à
son Créateur. Il faudrait plutôt songer à un rassemblement
des énergies physiques et psychiques investies dans le personnage
terrestre, et à un rappel de tout ce flux vivant canalisé
vers le foyer du Sol-Ego, qui en maintenait la cohésion pendant
l'existence. Dans la représentation upanishadique de l'homme
(et de l'univers), comme un arbre dont les racines sont au ciel, ces
processus évoquent le retrait de la sève à l'approche
de l'hiver. Ici l'opération est rapide. Elle n'est pas chaotique
pour autant.
Dès son entrée dans l'arène publique avec la publication
de Isis Unveiled, en 1877, Mme Blavatsky l'a dit et répété
: l'arrêt des fonctions du corps n'est qu'une apparence de
mort. A cet instant, déconnecté des commandes de sa
machinerie physique, l'homme va demeurer parfaitement conscient.
Il a pu « succomber » à une crise de delirium
tremens, dans la relaxation qui fait suite, il retrouve tout son
sens - sans pouvoir le faire savoir aux vivants. Mais le flux de toutes
les énergies qui viennent se concentrer dans la tête, en
interdisant désormais toute activité relationnelle - comme
le suggère la Brihadâranyaka Upanishad, 4,4,1-2
-, ne laisse pas le sujet libre de penser à sa guise : il est
entraîné dans une expérience qu'il ne peut contrôler.
Il subit une sorte de repli « vers l'intérieur »,
qui fait transiter la conscience personnelle - le moi psychophysique
- de son aire habituelle jusqu'à la frange du monde spirituel
- l'aura impressionnante du Soi-Ego - dans un échange et une
communion qui vont finalement sceller le livre de cette existence. C'est
seulement après cette expérience cruciale qu'intervient
la mort définitive, dans un délai qui peut varier
selon les cas. Il y a plus d'un siècle, on aurait pu déjà
répondre par la négative à la question : les récits
des rescapés de la noyade donnent-ils une idée de notre
vie posthume ? En réalité, il aura fallu attendre 1975
pour que cette question se pose au grand public, avec le titre, malheureusement
trompeur : la Vie après la Vie, du livre de R. Moody.
Notons d'abord que Mme Blavatsky n'a pas visé à expliquer
les NDE (auxquelles, de son temps, très peu de spécialistes
allaient s'intéresser), mais à éclairer un peu
le mystère de la mort. Et si Mme Blavatsky a commenté
de rares récits, rapportés en 1889 par le Dr Féré,
ce n'était pas pour s'en inspirer mais pour mieux illustrer
une thèse élaborée des années auparavant.
C'est cette démarche qui sera adoptée dans ce qui suit.
On devra cependant se souvenir qu'il existe forcément une certaine
distance (impossible à apprécier) entre ce que vit
le sujet qui meurt vraiment et ce que décrira plus tard,
dans son propre langage, le patient qui subit une grave crise passagère,
ou qui va « jusqu'aux portes de la mort », mais qu'on ranime
finalement de justesse. On doit en effet compter sur le filtre déformant,
voire inhibiteur, de son idiosyncrasie psychologique.
Il faut concevoir que, dans ce reflux de la conscience incarnée
vers sa source intime, le sujet est pris dans un mouvement insolite
qui le submerge. Il est projeté dans un espace directement corrélé
au monde astral, qu'il va « parcourir », depuis son niveau
inférieur (son interface avec le physique), où
éventuellement, en état de « décorporation
», le mourant percevra son propre corps et le milieu environnant,
jusqu'à sa strate supérieure (son interface avec la
sphère spirituelle), pour gagner l'aura lumineuse de l'Ego
profond. Par ce changement radical d'espace-temps, le sujet perdra toute
perception des réalités physiques, sans toutefois se fondre
dans l'unité de l'Esprit, où le temps n'a plus de signification.
Le tunnel, par lequel croient passer les témoins des NDE
pour accéder à la lumière, est une image métaphorique,
finalement très réaliste, pour traduire ce transfert du
sujet depuis le « presque physique » jusqu'au « presque
spirituel ». Ces témoins sont d'ailleurs d'accord sur la
rapidité du déplacement qu'ils croient subir. Ce
qui est peut-être en rapport avec le reflux impétueux des
énergies vitales (les prâna des hindous), qui, en
l'occurrence, peuvent emprunter un canal remarquable du corps (le «
tunnel » du tronc cérébro-spinal ?). Pour la conscience,
en tout cas, une chose est certaine : ce transit-express brûle
toutes les stations intermédiaires où, selon la théosophie,
il ne ferait pas bon s'attarder. Certaines couches - dûment répertoriées
- de la sphère astrale sont, en effet, le siège d'énergies
et d'images psychiques très puissantes - des zones de turbulence,
où l'explorateur imprudent s'exposerait aux pires cauchemars
d'horreur et de tentation monstrueuse, jusqu'à la dernière
extrémité du delirium tremens. La conscience personnelle
y serait dans une sorte d'enfer. Il existe d'ailleurs quelques récits
de NDE où l'horreur est au menu : ces sujets auraient-ils fait
une incursion dans ces zones interdites (que doivent cependant traverser
les initiés dans leurs épreuves) ? Sauf dans le cas, rare,
d'une personne très dépravée, on peut compter que
ce reflux s'effectue sous la forte emprise (et la protection) de l'Ego
profond. Ainsi donc, il n'y a pas d'arrêt avant le sommet de l'échelle,
le septième de ces niveaux de conscience ; finalement, selon
Mme Blavatsky, « c'est là que nous accédons au moment
de la mort ou dans des visions exceptionnelles. C'est là aussi
que se trouve l'homme en train de se noyer lorsqu'il se souvient de
son existence ». Alors « pendant un court instant, l'ego
personnel devient un avec l'Ego individuel et omniscient »
et « le mourant se trouve sur un plan où il n'y a plus
ni passé ni futur, mais où tout n'est que présent
indivisible ».
Instant tout à fait privilégié où le sujet
devient témoin lucide et objectif d'un spectacle intérieur
qui s'impose à lui. Les récits des NDE évoquent
ici la rencontre avec la « lumière » ou « l'être
de lumière » - nouvelle métaphore qui traduit l'accès
à l'aura de l'Ego que Mme Blavatsky a aussi appelée le
« Soi lumineux ». Nos rescapés témoignent
: un dialogue semble s'établir entre eux et cette « présence
» indescriptible, ce je-ne-sais-qui, souverainement bienveillant
et paraissant tout connaître d'eux, et l'échange se fait
par une sorte d'osmose, une voix qui parle sans mots, comme «
issue du fond de l'âme ». Cette scène n'évoque-t-elle
pas le retour de « l'enfant prodigue » au foyer d'un père
qui, de son niveau transtemporel, n'a cessé de suivre le pèlerin
terrestre, de le soutenir - de le « méditer » ? Et
serait-on surpris de ce genre de dialogue sans mots avec cette puissante
entité de conscience, qui n'a nul besoin de la machinerie d'un
cerveau pour penser, mais qui peut, selon Patanjali, « contempler
directement les idées » ? Comment s'étonner que,
dans leurs récits, certains témoins, saisis d'une émotion
religieuse, surajoutent à leur expérience ineffable les
contours d'un personnage impressionnant, ou même l'image
de « Dieu » ?
Pour la théosophie, la quasi-omniscience du Soi-Ego transpersonnel
explique le contenu de tout ce vécu. Essentiellement, on peut
distinguer :
a) La revue panoramique objective de l'existence
Même si cette réminiscence soudaine était déjà
signalée par les rescapés d'accidents (noyade, etc.),
l'analyse qu'en donne la théosophie révèle chez
ses auteurs une connaissance expérimentale approfondie, confirmée
de nos jours par les récits détaillés des témoins
: « Au moment solennel de la mort, même dans le cas de mort
subite, chaque homme voit toute sa vie passée se dérouler
devant lui [...] elle émerge de tous les recoins oubliés,
image après image, un événement succédant
à l'autre. [...] La vie entière qui vient de se terminer
s'imprime, par une série de tableaux, d'une manière indélébile,
dans l'homme intérieur, non seulement dans ses grandes lignes,
mais jusqu'en ses moindres détails, jusqu'aux impressions les
plus légères et les plus fugitives. » Ce qui inspire
à Mme Blavatsky cette réflexion : « Mais bien que
la mémoire physique d'un homme sain soit souvent obscurcie, un
fait en chassant un autre moins vivace, lorsque arrive ce grand changement
que l'homme appelle la mort, ce que nous nommons « la mémoire
» semble nous revenir dans toute sa force et sa netteté.
Cela ne serait-il pas dû [...] au simple fait que, pendant au
moins quelques secondes, nos deux mémoires (ou plutôt les
deux états de conscience, le supérieur et l'inférieur)
fusionnent, en formant ainsi une unité, et que le mourant se
trouve alors sur un plan où il n'y a plus ni passé ni
futur, mais où tout n'est que présent indivisible ? »
On peut faire d'évidents rapprochements entre les commentaires
théosophiques et le langage des rescapés. Par exemple
:
« Il déchiffre sa vie en spectateur » trouve l'écho
suivant chez un témoin : « J'avais un certain détachement
en observant tout ce spectacle. J'avais la sensation d'être à
l'extérieur à regarder, comme si cette " répétition
" de ma vie avait lieu devant moi. »
« En spectateur qui contemple d'en haut l'arène qu'il
quitte » : « Je rejouai toute ma vie comme si j'étais
un acteur sur la scène que j'aurais regardée d'en haut,
pratiquement de la plus haute galerie du théâtre. A la
fois héros et spectateur, j'étais comme dédoublé.
»
Ce dédoublement (non pathologique) ne traduit-il pas une étroite
confrontation entre ce qu'a vécu la personnalité (comme
« acteur ») et ce qu'a perçu d' « en
haut » le Soi-Ego (comme moment où fusionnent les deux
« mémoires », ou les deux points de vue ?
Également :
« Il se voit et se comprend alors tel qu'il est, dépouillé
de tout masque flatteur et affranchi de ses propres illusions »
: « C'était comme s'il me fallait voir certaines bonnes
choses que j'avais faites et certaines erreurs [...1 pour essayer de
les comprendre. »
« Mais cet instant suffit pour lui montrer tout l'enchaînement
des causes qui ont opéré sa vie durant » «
C'était comme " Très bien ! Voilà pourquoi tu as
eu cet accident. Voilà pourquoi c'est arrivé. Pour telle
et telle et telle raison !... " Tout avait une signification. Absolument
tout. »
Cette découverte de la responsabilité de l'homme engagée
dans les plus minimes détails de sa vie, et reconnue à
l'heure de la mort, est mise en lumière dans le récit
d'une femme, prénommée Phyllis, qui conclut :
« Je ne m'étais jamais rendu compte auparavant à
quel point nous sommes responsables, et avons à rendre compte
de chacune des choses que nous avons faites. C'était écrasant.
»
Cette vision panoramique est constante chez les mourants, même
si tous les rescapés de la mort n'en parlent pas.
b) La revue de plusieurs existences antérieures
L'omniscience de l'Ego ouvre naturellement la possibilité d'embrasser
une ou plusieurs vies précédentes, avec l'enchaînement
des causes ayant conditionné la vie qui vient de se terminer.
Mme Blavatsky a signalé cette possibilité et certains
expérienceurs affirment avoir joui d'un tel coup d'oeil sur le
passé.
c) L'impression d'« omniscience »
Le modèle théosophique rend parfaitement compte de ce
moment de « connaissance intégrale », dont on trouve
déjà des échos chez Moody : « Pour certains
sujets, il s'agissait d'un instant d'illumination pendant lequel ils
accédaient, leur semblait-il, à la conscience universelle.»
Expérience inexprimable, sorte d'éclair de conscience
déployée. Un témoin raconte : « Cela s'est
produit, je crois, tout de suite après le passage en revue de
ma vie passée. J'ai eu tout à coup la sensation de posséder
la connaissance de toutes choses. » Selon un autre : « Pendant
quelques instants, aucune communication n'était nécessaire
; j'avais le sentiment que tout ce que j'aurais voulu savoir pouvait
être immédiatement connu. »
d) Les visions prospectives
L'oeil du mourant, qui partage la vision de l'Ego, peut aussi saisir
l'avenir, tel qu'il se dessine par l'effet du karma, individuel
et collectif : « A l'instant de la mort, écrit W. Q. Judge,
toute la conscience s'ouvre et se dilate ; nous ne voyons pas seulement
les vies passées, mais aussi la prochaine existence dont nous
avons modelé les causes. » Cette image prospective se réaffirmera
d'ailleurs plus tard au moment de la nouvelle incarnation. Quant à
l'homme qu'on ranime (et qui n'était peut-être pas destiné
à mourir), il peut ramener de la clairvoyance de l'Ego des bribes
de son futur proche, voire des aperçus, plus ou moins
déformés, de ce qui attend l'humanité, dans ce
que K, Ring appelle des flashforwards. La grande vision du mourant,
qui englobe en un tout les aspects distingués ici, culmine, selon
Judge, dans la note tonique générale de toute la vie vécue
- comme un ultime accord qui intègre les sons dominants, dune
symphonie et qui va conditionner l'expérience posthume.
Tels seraient, d'après la théosophie, les tout derniers
instants vécus, sous le masque de leur corps inerte, par l'immense
majorité des mourants. Mais selon ce modèle plus que centenaire,
cet événement paroxystique, qui réunit le personnel
au transpersonnel, n'est pas le dernier sursaut avant l'extinction,
ni la rencontre avec Dieu 2, ni une expérience
de yoga (le vrai yogi a appris à mourir et, par sa maîtrise
de puissantes énergies subtiles 3,
à gagner une illumination qui n'est pas du tout celle
du profane), ni non plus une initiation spirituelle (qui supposerait
entraînement préliminaire, intelligence et volonté
en alerte), même si des analogies s'imposent &évidence.
C'est tout bonnement la sortie de scène de M. Tout-le-Monde,
qui ne s'y attendait pas. Mais c'est pour lui, comme l'a dit Mme Blavatsky,
« l'ultime extase sur la terre ».
Dommage qu'il ne se soit jamais préparé à cette
extraordinaire rencontre avec la face cachée de lui-même.
1. Le mot lumière est employé
ici par métaphore, et ne renvoie pas à un quelconque phénomène
physique lié à des particules matérielles. L'impression
lumineuse subjective qui surgit dans le champ de conscience d'un témoin
- et qu'il perçoit - lorsque son oeil est frappé par un
flux de photons est d'une nature entièrement distincte de ces
« objets » physiques : elle est une expression particulière
de l'énergie propre à la conscience. Pour la théosophie,
la lumière « physique » n'est que « l'ombre
ou le fantôme » de l'hypermatière en vibration -
mots sibyllins renvoyant peut-être à une lumière
transphysique, qui serait encore du domaine « objectif ».
Entre autres choses, il est question, en effet, d'une lumière
« astrale ». Cependant, celle-ci n'est pas la conscience,
ni le support de la conscience : elle est décrite comme étant
le support de toute l'information concernant la vie de la planète.
Cette « mémoire vive », extra-temporelle, de la Terre,
où voyants et prophètes puisent leurs visions, ne saurait
être prise pour une conscience - laquelle appartient à
une tout autre catégorie. On ne saurait confondre données,
information, mémoire, etc. (qui peuvent être objets de
science exacte) et conscience, qui échappe à tout
formalisme.
2. Commentant le passage de saint Jean : «
Nul homme n'a jamais vu Dieu », Mme Blavatsky note : « L'idée
qu'un homme se fait de Dieu, c'est l'image d'une aveuglante lumière
qu'il voit réfléchie dans le miroir concave de son âme,
[.. .] ce que l'homme perçoit, c'est la lumière de son
propre Esprit - et c'est tout ce qu'il peut supporter de contempler.
Plus clair est le miroir, plus brillante sera l'image divine.
»
3. Les livres mystiques indiens distinguent le
phénomène naturel, involontaire, du retrait des prâna
au cours du mourir « normal » de l'expérience contrôlée
par le yogi de la montée de kundalini, jusqu'à
un niveau où la conscience du sujet se fond dans le Soi Universel
- lumière « plus claire que mille soleils ». Des
états psychiques très élevés peuvent ressembler
à des états authentiquement spirituels, que nul ne peut
atteindre sans préparation ni entraînement, et qui échappent
à toute description positive.
N.B. Les citations de la théosophie sont tirées des écrits
de Mme Blavatsky (principalement de son ouvrage la Clef de la théosophie
et de l'article « La Mémoire chez les mourants »)
et de William Q. Judge (L'Océan de théosophie).
3.
ÉTATS MYSTIQUES DE SAINTE THÉRÈSE D'AVILA
ET NDE :
TRANSMUTATION DE L'ÂME
Nicole Le Blond,
Psychothérapeute
" Et j'ai vu un nouveau ciel et une nouvelle terre, car le premier
ciel et la première terre s'en sont allés, et la mer
n'est plus. "
Apocalypse de Saint Jean
chapitre 21-1
Toute personne en recherche d'évolution spirituelle le sait
:
- Des signes sont donnés, des synchronicités se produisent,
des événements sont déclencheurs. Mais tout n'est
pas signe, il faut une certaine circonspection, un discernement qui
permet l'instauration d'une certitude interne. C'est un point très
délicat,
- Il faut avoir une intention, une recherche de compréhension,
un but,
- Il faut s'impliquer tout entier et vivre cette intensité.
C'est l'émotion spirituelle qui transforme plus encore que
dans toute recherche, puisqu'il s'agit, entre autres, de modification
de notre sensibilité, de notre vision du monde. On ne peut
rester extérieur, on devient soi-même objet d'expérience.
C'est pourquoi il était important pour moi de situer cet article
dans ma démarche personnelle, pour concrétiser, exemplifier
le processus.
L'application des trois grandes règles - discernement, intention,
émotion - est indispensable pour rendre compte de l'existence
de cet article, qui est la concrétisation partielle d'un moment
précis de ma démarche (il n'aurait pu se faire avant),
un point de repère parmi d'autres, passés et futurs.
La chaîne des signifiants
En fait, c'est l'alliance de trois circonstances, au cours de ma recherche
d'évolution spirituelle, qui m'a permis de faire les rapprochements
entre les états mystiques de sainte Thérèse d'Avila
et les NDE : la sophrologie ; ma rencontre avec la pratique de l'oraison
de sainte Thérèse d'Avila et l'IANDS, les NDE.
Le guide spirituel qui m'engageait dans ce cheminement, depuis un certain
temps, me fit savoir que l'étude des textes sacrés était
certes importante, mais non suffisante. J'étais à l'époque
encore très balbutiante, pourtant la lecture de ces textes m'attira
; et, sans que je puisse en comprendre le sens, je ne pouvais m'empêcher
de les lire et les relire. Il fallait donc inclure le corps... ça
je le sentais mais je ne voyais pas bien comment cela pouvait se faire.
Or, la sophrologie faisait son entrée en France et mon guide
m'orienta vers ces méthodes, qui lui semblaient très intéressantes.
Quelques années plus tard, j'en appris les techniques, mais sans
y trouver ce que je cherchais: le spirituel.
La sophrologie était une méthode médico-psychologique
efficace, et rien que cela.
La sophrologie est un état de conscience modifiée. Les
exercices de saint Ignace de Loyola ou les états mystique de
sainte Thérèse d'Avila, d'après ce que j'en avais
lu, me semblaient aussi des états de conscience modifiée,
mais tendant vers un but différent. Je me sentais très
attirée par sainte Thérèse d'Avila, sans connaître
rien d'elle. Je me proposais depuis longtemps de me procurer, de trouver
des informations la concernant, mais cela restait dans mon esprit à
l'état de projet sans que je fasse quoi que ce soit pour le réaliser.
Je pressentais que l'expérience de sainte Thérèse
d'Avila était intéressante à double titre, tout
d'abord sur le plan spirituel, ensuite au niveau du lien que j'apercevais
entre la sophrologie et les états mystiques de Thérèse.
En 1986, divers événements se produisirent : mon apparente
inertie fat récompensée ! Je n'ai pas eu a chercher les
informations, elles sont venues à moi, grâce à une
amie préoccupée par la religion et la prière, qui
m'a demandé de lire Le Chemin de la perfection de Thérèse,
pour que je lui donne mon avis.
J'ai, bien entendu, pris le livre, intéressée et émue
qu'il me soit transmis par cette amie, que j'écoutais lorsqu'elle
en avait besoin. Il me semblait qu'il y avait là un signe. On
m'apportait un écrit de sainte Thérèse, à
laquelle j'avais tant songé sans trouver l'énergie de
concrétiser ma pensée, soit par négligence, soit
par manque du désir suffisant. Cette fois le livre était
là, je n'avais plus de prétexte pour le fuir. De plus,
il me venait par l'intermédiaire d'une personne que j'aidais,
et dont le rôle tout à coup s'inversait. Et cela prit sens
avec une grande force. J'étais amenée à quelque
chose d'essentiel : l'humilité. Ce qui ne m'empêcha pas
de continuer de douter, comme le montre mon attitude d'alors : j'ouvris
quelques jours après cet ouvrage et je fus aussitôt rebutée
par les termes chrétiens tels que : mortification, discipline,
obéissance, prière, péché... Je le refermai
aussitôt.
Toujours ces vieilles lunes chrétiennes, je ne voulais plus
en entendre parler, elles m'avaient trop déçue dans mon
enfance. Pourtant, je savais, depuis de nombreuses années, que
l'important, c'est le sens caché. Ces mots qui me rebutaient
avaient-ils bien le sens que je leur donnais ?
A quelque temps de là, je repris Le Chemin de la perfection
et je m'aperçus que chaque mot révélait un sens,
et que ma compréhension n'avait rien à voir avec celle
qui m'avait fait refermer le livre. De plus, comme je l'avais présumé,
je découvris l'oraison et ses similitudes avec des techniques
actuelles (sophrologie, hypnose eriksonienne) que je pratiquais dans
ma clinique. J'étais frappée par cette similitude entre
les deux expériences ; cependant, les résultats apparents
semblaient différents. D'où venait cet écart ?
Sans aucun doute de l'intention : sainte Thérèse recherchait
le Divin, les sophrologues cherchaient à soigner.
Touchée par l'importance que représentait pour moi ce
texte, mon amie se procura les autres ouvrages de Thérèse
et me les apporta, comme précédemment. Elle était
très satisfaite de mon enthousiasme, mais, curieusement, son
intérêt initial pour l'oeuvre de Thérèse
n'eut pas de suites. Comme si elle n'avait été que l'instrument
de mon perfectionnement interne.
Dans le même temps, les événements m'amenèrent
à rencontrer celle qui devait devenir l'instigatrice de IANDS-France,
Évelyne-Sarah Mercier. Elle-même n'avait pas encore fait
le lien entre la voix nocturne qu'elle avait entendue et la création
de l'IANDS. J'avais lu, à sa parution, le premier livre de Moody
et je n'avais aucune autre information sur les NDE, les états
proches de la mort. Les circonstances de l'existence ont fait que nous
ne nous sommes plus revues, mais je lui avais signifié mon intérêt
pour la recherche concernant ces phénomènes. Elle a repris
contact avec moi, par la suite, pour me proposer de devenir membre de
IANDS-France.
Toujours à la même période, sans que j'établisse
de lien conscient entre les événements, je constituai
des groupes de relaxation dynamique. C'est à ce moment que je
rencontrai des personnes qui se décorporaient en séance.
Je fus étonnée, mais accueillis cela avec beaucoup de
précaution. J'avais pratiqué la sophrologie statique sans
obtenir des états de ce genre, et la littérature spécialisée
n'en faisait pas état !
Ces trois événements - l'ouverture des groupes de relaxation
dynamique, les ouvrages de sainte Thérèse qui m'ont été
remis, la rencontre avec Évelyne-Sarah Mercier - m'étonnent
encore, et je crois qu'ils font partie de la chaîne des signifiants
au sens lacanien du terme. Il s'agit, pour tous les acteurs de ces circonstances,
d'un savoir inconscient qui surprend et fait comprendre, d'un «
savoir structuré », nous dit Lacan.
Ces signifiants n'ont eu de valeur que lorsqu'ils ont pris sens pour
moi. Ils sont devenus des signes qui me parlent.
Les trois grandes règles, ainsi que les trois sources, structurent
et alimentent cet exposé, sur ce que j'appellerai des lois d'évolution
spirituelle.
Comparer des pratiques, qui produisent des effets, sous certaines conditions
(intention, émotion, discernement) et opèrent les mêmes
transformations chez le sujet n'est pas cependant le seul rapprochement
possible.
Il existe aussi une phénoménologie subjective structurée
et partagée, qui peut sembler extérieure au sujet, mais
qui, en réalité, est liée au processus interne
de spiritualisation : les visions, les personnes décédées,
la lumière, etc.
Il existe trois constantes fondamentales l'intention,
l'émotion et le discernement
L'intention
La non-souffrance
Lorsque je regarde profondément en moi, et que je cherche ce
qui m'a poussée en avant dans la recherche spirituelle, avant
même la rencontre avec mon guide, je trouve tout d'abord un manque.
Mais c'est seulement aujourd'hui que je peux dire quel était
le premier propulseur. Il s'agissait, tout simplement, de la recherche
de la non-souffrance psychique et physique. Notre état d'être
humain souffrant ne me semble pas une fatalité. Pourquoi attendre
le salut après la mort ? C'est ici et maintenant que nous pouvons
atteindre la plénitude et la paix.
Sainte Thérèse d'Avila, dans Ma vie. Relations spirituelles,
fait allusion à ce qui la guide dans son approche du divin :
Thérèse cherche à atteindre le divin. Elle entre
au couvent à l'âge de vingt ans, le 2 novembre 1535. Peu
de temps après, elle tombe très gravement malade et frôle
la mort.
On a déjà laissé couler la cire sur ses paupières
et sa sépulture est ouverte depuis un jour et demi, lorsqu'elle
revient à elle. Elle prend conscience que son salut est bien
compromis, et qu'elle est loin de la perfection intérieure. Cette
perspective la jette dans un grand effroi. Elle s'écrie : «
0 mon âme ! Comment n'as-tu pas réfléchi au péril
dont le Seigneur t'a délivrée ? »
Elle se met à lire, avec grand intérêt, un livre
que son oncle lui a offert précédemment : un traité
de l'oraison de recueillement. Il lui faudra attendre neuf mois avant
d'expérimenter l'oraison de quiétude et quelquefois même
celle d'union, de façon très brève mais réelle.
Elle a alors 23 ans, et ce n'est que bien plus tard qu'elle pourra reconnaître
ce qu'elle a vécu pendant cette période. Elle atteindra
sa maturité spirituelle au bout de plus de trente ans de recherche,
après avoir fait oraison deux heures par jour, pendant toute
son existence religieuse. Elle eut des visions, des ravissements et
la description qu'elle en a faite nous permet d'apprécier leur
similitude avec les NDE.
Thérèse recherche la vraie Vie ; pour elle, cette vie
que nous choyons n'est pas la vie, mais la mort. En accédant
à cette vraie vie, elle se détache de la vie ordinaire,
notamment après un état de ravissement qui la transforme
profondément : « Le ravissement produit, de plus, un
détachement étrange, dont je ne saurais donner l'idée.
A la vérité, ces grâces sont accompagnées
d'un entier détachement des créatures... il semble que
le corps lui-même en vienne, de fait, à ce détachement.
On se sent alors beaucoup plus étranger aux choses de la terre
et la vie en est infiniment plus douloureuse. L'âme voit jusqu'à
l'évidence le peu de valeur, le néant de tout ce qui est
ici-bas. [..] D'ailleurs, comment continuer a vivre, quand on voit des
yeux l'immense erreur, le profond aveuglement où nous sommes
tous plongés ? »
Les expérienceurs du cinquième stade, lors de leur retour,
éprouvent le même genre de difficulté, le même
désintérêt que sainte Thérèse d'Avila.
Leur vie précédant leur NDE n'a plus d'attrait pour eux.
On peut considérer que les états mystiques de Thérèse
et les NDE opèrent le même type de détachement.
Il peut exister, en sophrologie, une sensation de détachement
réel, mais nettement moins radicale. On observe bien, cependant,
une modification du comportement dans une situation stressante : stress
endigué lors d'un examen, grand calme au volant, meilleur sommeil,
conflits moins exacerbés, etc.
C'est au niveau physique qu'on trouve des analogies troublantes :
Thérèse a été très gravement malade
et sa santé a longtemps été chancelante. Pourtant,
plus elle vieillit, plus elle se sent en forme, et elle n'est plus malade.
Les expérienceurs, eux aussi, recouvrent, parfois inexplicablement,
la santé après leur NDE. On trouve des phénomènes
de guérison qui restent incompréhensibles pour la médecine.
Après une première séance de relaxation dynamique,
une patiente me dit : « Je me sens très bien. C'est curieux,
je souffre depuis des années d'une colite et j'avais mal en entrant
ici, et je ne ressens plus aucune douleur. Je suis très contente.
» A partir de ce jour-là, elle n'eut plus de colite. Quelques
mois plus tard, je dus lui rappeler qu'elle souffrait auparavant de
cette maladie. Notons que cette personne se décorpora par la
suite, ce qui me semble important et sera développé plus
loin.
D'ores et déjà, il apparaît que les états
de conscience modifiée ont des effets plus ou moins intenses.
Les états mystiques de Thérèse et les NDE ont des
retentissements qui semblent équivalents, mais la sophrologie
est loin d'atteindre ces résultats.
Dans cette quête de la non-souffrance, je pensais qu'il fallait
tenter d'aller au-delà des limites que notre société,
rationnelle, reconnaissait. D'où mon intérêt pour
la sophrologie et le spirituel. Mais il m'a semblé qu'il ne fallait
pas rejeter les autres disciplines, en particulier la psychanalyse.
Intimement persuadée que ces techniques ne sont pas opposées,
mais qu'elles sont vraisemblablement complémentaires, j'ai cherché
et je continue de chercher la possibilité de faire des liens
et de reconnaître les limites thérapeutiques de chacune
d'elles.
Je sentais qu'il ne fallait pas tomber dans le piège des querelles
d'écoles. Or, même en ce qui concerne l'utilisation d'un
même phénomène, comme les états de conscience
modifiée, on a vu s'opposer la sophrologie et l'hypnose. Bien
sûr, les méthodes sont différentes, et doivent le
rester. Il ne s'agit pas de faire du syncrétisme. Mais elles
peuvent être appréhendées dans une globalité
tout en gardant leur spécificité.
La quête de l'unité
Ce besoin de conciliation des contraires (ou du moins de ce qui apparaît
comme tel) me conduit à une autre dimension de l'intention, par-delà
la non-souffrance: une aspiration naturelle à l'unité.
Intellectuellement, j'avais le désir de faire des liens, c'est-à-dire
relier, ce mot est d'ailleurs l'origine latine de religion (religare).
Mais ce besoin n'était pas uniquement mental, il était
tout autant viscéral.
Au fond, au-delà de la non-souffrance, il existe un but dépendant
du premier, qui en est une étape, un préalable : l'union
qu'on appelle mystique, la jouissance de ne plus être séparé,
de ne plus faire qu'Un.
Tout le discours des expérienceurs culmine dans cette fusion
avec la lumière, véritable extase tout à fait similaire
à celle des mystiques *.
* Voir à ce sujet l'article
de François Brune, dans cette même partie.
Sainte Thérèse d'Avila, lors de la pacification interne
de son être, se tend tout entière vers le Divin. Pour l'atteindre,
elle recherche la Voie, le chemin de la perfection. Pour cela, il lui
faut des repères, des ouvertures, et son outil principal est
l'oraison. Mais elle ne se contente pas seulement de l'oraison, elle
préconise de compléter l'expérience avec la lecture
des bons livres qui lui permettent de ne pas s'éloigner de la
Doctrine et aussi avec la connaissance de Soi. Elle insiste beaucoup,
tout au long de ses ouvrages, sur ce triptyque.
L'émotion
Un vécu émotionnel intense paraît essentiel pour
déclencher les changements. Mais il ne se produit que dans des
situations particulières, nécessitant quelques préalables.
J'ai observé très peu de cas de décorporation
au cours de ma pratique de relaxation dynamique (une branche de la sophrologie)
: c'est un phénomène rare. Il est plus fréquent
de voir apparaître des images mystiques, dégageant moins
d'émotion que celles relatées par sainte Thérèse,
mais bien existantes. Les personnes qui se trouvent confrontées
à cette réalité hallucinatoire n'osent pas en parler
devant le groupe. Elles m'en parlent en privé. Je leur signifie
que c'est la manifestation de la représentation du divin, du
spirituel en elles. Elles devraient en parler ouvertement, car cela
pourrait aider les autres. C'est toujours difficile de les convaincre
de le faire dans les premiers temps. J'ai même rencontré
une jeune femme qui n'acceptait pas d'avoir des images mariales, parce
qu'elle avait tourné le dos à l'église. Pourtant
ces images s'imposaient à elle presque à chaque séance.
Petit à petit, elle comprit qu'elle s'était détournée
de l'enseignement de l'église parce qu'il n'entrait pas en résonance
avec le divin qui gisait au plus profond d'elle-même. Elle se
rendit compte que celui-ci n'en existait pas moins, puisque ces images
en étaient une manifestation. Elle obtint, elle aussi, un changement
de comportement, de façon moins manifeste, peut-être, mais
bien réelle.
Le fait que des images aient trait à la symbolique religieuse
crée une émotion qui entraîne une transformation
plus ou moins intense, et toujours proportionnelle à l'émotion
ressentie.
Des sujets peuvent avoir des images religieuses, avec ou sans émotion
concomitante. Ces images semblent inopérantes dans l'immédiat.
En fait, elles préparent le terrain. Tant qu'il n'y a pas de
réel « lâcher-prise », il s'agit d'une étape
intermédiaire, qu'il ne faut surtout pas sous-évaluer.
Elles permettent, semble-t-il, de se rapprocher de soi, d'apprivoiser
sa dimension spirituelle, de préparer le passage au vécu
émotionnel.
Une autre capacité me paraît faciliter l'accès
à l'émotion spirituelle. J'en donnerai pour exemple le
cas de cette patiente qui se décorporait.
Grâce à une première séance de relaxation
dynamique, nous l'avons vu, sa colite chronique a disparu. Il s'agit,
néanmoins, d'un cas relativement rare. J'eus, par la suite, une
information qui me confirma dans mes hypothèses concernant les
similitudes entre ces états : consécutivement à
un entraînement régulier à la relaxation dynamique,
cette personne s'est mise à se décorporer. Elle voyait
son corps comme si elle était en dehors de lui ; il lui apparaissait
comme un sac vide, terne, une sorte d'enveloppe sans forme. Elle avait
une faculté d'état de conscience modifiée qui dépassait
les normes que je connaissais, et cela semblait expliquer sa guérison
surprenante et instantanée.
Elle en retirait de nombreux effets bénéfiques, tant
sur le plan physique que psychique, et cela lui permettait de se ressourcer.
J'ai pu reprendre contact avec elle, environ six mois après
son départ. Elle continuait à se décorporer, presque
chaque soir. Son problème était de revenir à un
état de veille ou de conscience ordinaire. C'était toujours
très difficile, tant elle se sentait bien hors de son corps.
Lors des mouvements ou des non-mouvements de la relaxation dynamique
qu'elle pratiquait en groupe, elle se laissait aller au son de ma voix
; ce qu'elle trouvait toujours très reposant. N'avoir rien à
se dire, rien à faire, seulement se laisser porter. Et ma voix
faisait, dès lors, comme partie d'elle-même ; elle l'avait
intégrée et, quand elle renâclait à revenir,
elle m'entendait lui dire qu'il fallait réintégrer son
corps. Cela la rassurait beaucoup, puisque l'expérience lui avait
démontré que cette injonction était parfaitement
efficace.
Cette personne faisait confiance à ma voix, elle se laissait
aller au son de celle-ci, elle se laissait porter. Sa volonté
personnelle n'intervenait plus. Elle opérait un « lâcher-prise
».
Sainte Thérèse savait, elle aussi, qu'il lui fallait
lâcher prise, qu'il lui fallait bannir toute confiance en elle,
mourir à son ego, se laisser guider, ne plus être dans
un sentiment de toute-puissance. (Mais, pour abandonner cette confiance
en soi, il faut déjà la posséder ; ce qui peut
faire, d'ailleurs, l'objet d'un travail psychanalytique ou psyphothérapeutique).
« Une chose me manquait sans doute, je crois m'en rendre compte
à présent, c'est que je ne me confiais pas entièrement
en Sa Majesté [le Christ] et ne me défiais pas absolument
de moi-même. Je cherchais un remède, je prenais des moyens,
mais évidemment je ne comprenais pas que tout cela sert de peu
quand on ne bannit pas toute confiance en soi-même pour placer
totalement sa confiance en Dieu. »
Les expérienceurs, quant à eux, se trouvent confrontés
à un fabuleux lâcher-prise ; ils n'ont pas le choix, ils
sont persuadés qu'ils vont mourir (accident, chute, etc.).
Ce lâcher-prise est déclencheur de l'émotion, émotion
intense décrite ainsi par sainte Thérèse d'Avila,
au cours d'un ravissement :
« Au milieu de ces réflexions, je me sentis saisie
d'un véhément transport, dont je ne connaissais pas
la cause. Mon âme semblait vouloir s'échapper de mon
corps ; elle était comme hors d'elle-même, incapable
d'attendre davantage le bien qu'elle entrevoyait. Ce transport était
si excessif que je ne pouvais y résister, et il m'apparaissait
très différent de ceux que j'avais éprouvés
dans d'autres circonstances. Mon âme était si troublée
qu'elle ne savait ni ce qu'elle avait, ni ce qu'elle voulait. Je dus
m'appuyer, car, même assise, je ne pouvais me soutenir, les
forces naturelles m'abandonnant entièrement. [...]
« Durant ces ravissements, l'âme semble ne plus animer
le corps. On s'aperçoit fort bien que la chaleur naturelle
se retire et que le corps se refroidit progressivement, mais avec
de très grands délices. »
On ne peut qu'être frappé par la violence de son émotion,
par une intensité qu'on a du mal à se représenter
quand on ne l'a pas vécue. Pour la plupart d'entre nous, cela
ne provoque pas d'écho intérieur, même si nous comprenons
mentalement. Seuls peuvent identifier cette intense émotion ceux
qui ont vécu quelque chose de semblable, les personnes qui se
décorporent, et aussi les expérienceurs.
Pour ces derniers, une émotion considérable, pleine de
douceur, de suavité, se dégage également de l'union
et de la lumière. Elle est le moteur du changement,
Ce même type de changement a pu être observé chez
la personne qui s'est décorporée à l'aide de la
relaxation dynamique.
Sainte Thérèse sent bien la transformation opérer
en elle, à la suite d'un ravissement : « A partir de
ce jour je constatai en moi un bien plus haut degré d'amour divin
et des vertus beaucoup plus fortes. »
Le discernement
Une des grandes difficultés, dans ce genre d'expérience,
est de savoir apprécier à sa juste valeur le phénomène.
Il est nécessaire de se connaître si l'on ne veut pas se
tromper, mais il faut aussi avoir des références extérieures
sérieuses, et surtout éviter le piège de l'ego
spirituel.
Dans ma recherche, mon guide m'a incitée à lire les textes
de base (l'Ancien Testament, le Nouveau Testament, le Tao, le Yi King,
le Coran, etc.).
De même, sainte Thérèse incite ses filles à
trouver de bonnes références, mais aussi à se connaître
: « Sans doute, on ne doit jamais négliger la connaissance
de soi-même, et il n'est pas d'âme, fût-elle un géant
dans la vie spirituelle, qui n'ait souvent besoin de retourner à
l'enfance, à la mamelle. Il ne faut jamais l'oublier - au reste,
je le répéterai peut-être encore, tant c'est important.
Non, il n 'y a pas d'état d'oraison, pour élevé
qu'il puisse être, où il ne soit nécessaire de revenir
aux premiers principes. Dans le chemin de l'oraison, le souvenir de
ses péchés et la connaissance de soi-même sont le
pain avec lequel il faut manger tous les aliments, si délicats
qu'ils soient ; et sans ce pain, on ne serait point nourri. Mais encore
faut-il le prendre avec mesure. Quand une âme est déjà
assouplie et intimement convaincue qu'elle n'a rien de bon par elle-même...
quel besoin a-t-elle de consumer là son temps ? »
Cela reste valable à notre époque. Il faut nous pacifier
par des techniques d'état de conscience modifiée, lire
avec régularité les livres sacrés et de la connaissance,
mais aussi se connaître. Pour ce troisième point, les psychothérapies
et la psychanalyse peuvent remplir ce rôle, à condition
que le thérapeute ait lui-même effectué une démarche
spirituelle.
Certains expérienceurs l'ont ressenti ; ils ont commencé
à s'intéresser aux religions, alors que précédemment
ils ne s'en souciaient pas. D'autres ont entrepris une thérapie.
L'expérience dans laquelle ils ont été précipités
semble leur avoir épargné une partie d'un parcours long
et difficile, ou du moins elle leur a fait prendre conscience du spirituel
qui existait en eux. La plupart d'entre eux ont soif d'apprendre ; trouver
un cadre de référence pour comprendre la qualité
et le but de leur expérience inouïe leur apparaît
comme une nécessité absolue.
Cette connaissance de soi-même est nécessaire pour éviter
un piège redoutable : l'ego spirituel. Il entrave le cheminement
spirituel. La personne croit avoir atteint le but, alors qu'elle chemine
encore.
Sainte Thérèse nous met bien en garde contre cette erreur
: « Ce que j'ai compris, c'est que tout l'édifice de
l'oraison repose sur l'humilité. Et que plus une âme s'abaisse
dans l'oraison, plus Dieu l'élève. » « Une
âme ne doit pas chercher à s'élever avant que Dieu
ne l'élève. [...] Reconnaissons plutôt notre impuissance.
» « Que n'ai-je des paroles pour faire connaître ce
que vous donnez à ceux qui se confient en vous, et ce que perdent
ceux qui, une fois arrivés là, ne savent pas se dépouiller
d'eux-mêmes ! »
Pour éviter ce piège et celui de l'illusion, elle rencontre
quotidiennement son directeur de conscience. Car il lui faut discerner
les visions de l'illusion.
Dès ses premières expériences mystiques, elle
doute, lorsqu'elle découvre au bout de neuf mois l'oraison de
quiétude et d'union : « Je ne connaissais ni l'une ni
l'autre, et j'en ignorais la haute valeur. Il m'eût été
cependant, je le crois, très utile de la connaître. »
Pendant très longtemps, elle ignore la valeur de ce qu'elle
vit : « Ce fut pour moi un grand malheur car j'étais
en danger de revenir sur mes pas et de me perdre entièrement.
»
Puis, un jour, au cours d'une oraison, elle voit le Christ : «
Je le vis des yeux de l'âme, j'aurais pu le voir des yeux du corps.
Son image s'imprima tellement dans mon esprit qu'après plus de
vingt-six ans écoulés il me semble l'avoir devant les
yeux... La frayeur et le trouble me saisirent ; je ne voulais plus recevoir
ce visiteur. »
Nous pouvons, au passage, remarquer la même prégnance
de l'expérience chez les témoins de NDE.
Thérèse découvre la vision, mais elle n'a aucune
référence à ce sujet ; aussi s'interroge-t-elle
sur la réalité de cette vision. Est-elle d'origine démoniaque
? Ou est-elle vraie, juste ? Plus tard, elle découvrira que le
seul critère qu'il faut retenir, c'est l'action sur elle-même.
Si cette action est bénéfique, elle est vraie.
Les expérienceurs rencontrent les mêmes angoisses. Quelle
est cette expérience inhabituelle ? Est-ce un rêve ? Non,
c'est leur vie.
D'ailleurs, la communauté de vécu trouve une autre objectivité
dans une phénoménologie très proche.
Phénoménologie commune
Obstacle de l'entourage
Thérèse cherche autour d'elle des directeurs de conscience
compétents qui puissent lui permettre de s'assurer de la validité
de ses états mystiques. Bien qu'il lui soit difficile d'en parler,
elle fait part à ses confesseurs, le plus honnêtement possible,
de ce qu'elle entend, de ce qu'elle voit, de ce qu'elle ressent dans
son corps et au niveau de ses émotions, au cours de l'oraison,
et quelquefois en dehors de celle-ci.
Certains d'entre eux la retarderont sur sa voie et la feront inutilement
souffrir, en assimilant ses visions à des interventions démoniaques,
d'autres en la priant de ne plus faire oraison : « Ces directeurs,
n'entendant rien à la vie spirituelle, fatiguent à la
fois l'âme et le corps, et empêchent les progrès.
Une personne me raconta que le sien la tenait enchaînée
depuis huit ans dans la connaissance d'elle-même sans lui permettre
d'en sortir. Et pourtant Dieu l'avait déjà élevée
à l'oraison de quiétude. Il en résulta pour elle
de bien grandes souffrances. »
Fort heureusement, il s'en est trouvé qui, bien que ne vivant
pas ce genre d'état interne, ni ce niveau d'état de conscience,
furent capables non seulement de la comprendre, mais aussi de pressentir
et de lui assurer qu'elle était sur la Voie.
Même à l'époque de Thérèse, cette
expérience était insuffisamment partagée, y compris
au sein de l'église, pour que ses états mystiques soient
reconnus et validés.
Non visibles par les yeux extérieurs (encore que Thérèse
rayonnait), ces phénomènes n'en sont pas moins réels.
D'une réalité aussi importante que le rêve. Il ne
viendrait à personne l'idée de nier que le rêve
existe ; c'est un état suffisamment partagé pour qu'il
soit reconnu.
Les expérienceurs rencontrent la même difficulté
lorsqu'ils veulent partager le phénomène de leur NDE.
Les visions de sainte Thérèse d'Avila, tout comme les
phénomènes des NDE, existent : ils ont leur raison d'être,
même si nous ne la comprenons pas et, en aucun cas, il n'y a lieu
de les nier. Si elle avait rebroussé chemin, nous dit Thérèse,
cela eût été pour elle un grand préjudice.
De nos jours, il n'est que de voir la crainte de certaines personnes
qui pratiquent des techniques d'états de conscience modifiée
lorsqu'elles obtiennent sans le vouloir, des hallucinations non pathogènes,
visuelles, auditives, kinesthésiques, liées au Divin ou
non. Elles s'imaginent être anormales, alors que l'état
obtenu est la pacification interne de leur être (la haine se transforme
en amour, par exemple).
Pour éviter que les phénomènes qu'ils ont vécus
soient analysés à travers une grille de lecture non idoine
(démoniaque, pathologique), les expérienceurs et les participants
au groupe de relaxation dynamique préfèrent se taire.
Thérèse aussi : « Il me fût extrêmement
préjudiciable d'ignorer que l'on peut voir quelque chose autrement
que par les yeux du corps. [...] D'autre part, je n'osais en parler
à personne. »
L'entourage refuse de reconnaître l'expérience et le changement
de vie. On peut l'observer de nos jours. Sainte Thérèse
elle-même vécut cette situation.
Déconnexion du corps physique
Les expérienceurs de la mort imminente ressentent un détachement
corporel qui, pour certains, va jusqu'à la décorporation.
Ils observent des signes physiques précis, qu'ils relient à
leur mort prochaine, mais qui peuvent être plus simplement rattachés
à l'expérience de sortie temporaire du corps : brutalité
de l'arrachement, mort apparente du corps, apesanteur, etc. Les mêmes
indices cliniques sont décrits par sainte Thérèse
d'Avila.
Lors de ses ravissements, elle sentait un refroidissement du corps,
une perte de pouls, qui pouvaient être assimilés à
une mort. Cependant elle ne le vivait pas de façon dramatique,
bien au contraire. Le refroidissement de son corps dans l'état
de ravissement était un délice :
« Durant ces ravissements, l'âme semble ne plus animer
le corps. On s'aperçoit fort bien que la chaleur naturelle
se retire et que le Corps se refroidit progressivement, mais avec
de très grands délices. [...] Très souvent, sans
réflexion préalable, sans nulle coopération personnelle,
vous vous trouvez saisi par un mouvement d'une force et d'une impétuosité
inouïes.
« Je le répète, on sent, on voit qu'on est emporté,
mais on sait où on va. Malgré le plaisir qu'on éprouve,
la faiblesse naturelle, dans les commencements, cause un sentiment de
frayeur. [...] Défait, on est emporté malgré soi,
et avec une violence incroyable. J'ai bien souvent cherché à
résister et déployé pour cela toutes mes forces,
notamment en quelques circonstances où le ravissement me surprenait
en public; je l'ai fait bien des fois aussi en mon particulier, parce
que je craignais d'être trompée. Parfois, j'y réussissais
un peu, mais au prix d'une lassitude extraordinaire. J'en demeurais
brisée, comme si j'avais eu à lutter contre un géant.
D'autres fois, toute résistance devenait impossible. Mon âme
était emportée, et presque toujours, ma tête suivait
ce mouvement, sans que je pusse la retenir ; quelquefois même,
rarement pourtant, mon corps aussi était emporté, au point
de se trouver élevé de terre.
« Il m'arrive quelquefois de perdre presque entièrement
le pouls [...]. J'ai aussi les avant-bras très écartés
et les mains tellement raides que, parfois, je ne parviens pas à
les joindre. Il m'en reste jusqu'au lendemain une telle douleur dans
les poignets et dans tout le corps qu'il semblerait qu'on m'eût
disloquée. [...] Souvent, mon corps me semblait devenu léger,
au point de n'avoir plus de pesanteur ; parfois j'en arrivais à
ne plus sentir, en quelque sorte, mes pieds toucher le sol. Dans le
temps même du ravissement, le corps souvent est comme mort et
dans une totale impuissance ; il reste dans la position où il
a été surpris, debout ou assis, les mains ouvertes ou
fermées. Il est rare qu'on perde la connaissance. »
D'après ce qu'elle nous dit, elle entre dans certains cas dans
un état de catatonie, un état cataleptique, mais aussi
dans un état de grande légèreté, surtout
avec la sensation que le corps est comme mort. Son entourage, en la
voyant, se demande si elle est toujours vivante, aussi contrôle-t-il
son pouls.
En relaxation dynamique, une autre patiente qui, lorsqu'elle se décorporait,
se voyait comme morte, était saisie aussi d'un froid intense,
mais qui n'était jamais mal vécu.
D'autres sujets vivent, en sophrologie, des expériences de froid
et de légèreté bien moins intenses ; mais, la plupart
du temps, le refroidissement est mal vécu. Pour qu'il soit vécu
de façon positive, il faut atteindre des niveaux de conscience
plus élevés.
Pour autant, léviter lors de ses ravissements n'est pas forcément
le signe, selon Thérèse, d'un grand état de perfection.
Les expérienceurs aussi sont considérés comme
morts. En réalité, ils ne le sont pas puisque, tout comme
Thérèse, ils réintègrent la vie et leur
corps.
Panorama de la vie
Thérèse a vécu le panorama de la vie, d'une façon
très proche de celle des expérienceurs. Déclenché
sur l'injonction d'une instance transcendante, il s'assortit d'un bilan
de vie :
« Un soir, tandis que j'étais en oraison, le divin Maître
m'adressa quelques paroles qui me remettaient en mémoire les
grandes fautes de ma vie. Elles me remplirent de confusion et de peine.
De fait, ces paroles, lors même qu'elles ne sont pas dites avec
sévérité, provoquent un repentir et une douleur
qui anéantissent. Une seule d'entre elles fait plus avancer
une âme dans la connaissance d'elle-même qu'un temps considérable
passé à réfléchir sur sa misère,
parce qu'elles portent avec elles un caractère de vérité
auquel il lui est impossible de se soustraire.
« Quand je commets des fautes, et elles sont nombreuses, Sa Majesté
me les montre dans une telle lumière que j'en reste broyée.
»
Rencontre de personnes décédées
Les expérienceurs parlent de tunnel, de gouffre ou de cylindre,
dans lequel ils se trouvent aspirés. C'est dans ce tunnel, ou
à la transition vers la Lumière, qu'ils rencontrent des
êtres chers décédés. Thérèse
ne se sent pas, si l'on peut dire, aspirée par le bas, mais par
le haut : elle est transportée. C'est alors qu'il lui arrive
d'entrer en contact avec des membres de sa famille.
Un jour, alors qu'elle ne faisait aucun effort pour se recueillir,
elle fut saisie d'un ravissement d'une force irrésistible :
« II me sembla que j'étais transportée dans le ciel,
et les premières personnes que j' y aperçus furent mon
père et ma mère. »
La Lumière
Sainte Thérèse nous parle de la Lumière en utilisant
presque les mêmes termes que les expérienceurs du cinquième
stade :
« La différence est si grande entre la lumière
qui frappe nos yeux et celle qui brille dans ce séjour où
tout est lumière qu'il n'y a pas de comparaison à établir.
La clarté du soleil ne semble plus ensuite que laideur. Non,
l'imagination la plus subtile est incapable de se peindre, de se représenter
celle lumière telle qu'elle est [...] Les sens se trouvent
alors dans une telle jouissance et une telle suavité qu'il
est impossible d'en donner l'idée. Ainsi, mieux vaut n'en rien
dire de plus. [...]
« Après ces faveurs, mon âme voudrait rester
toujours en celle région supérieure et ne plus revenir
à la vie, tant elle conçoit de mépris pour toutes
les choses d'ici-bas. De fait, elles ne semblent plus que fumier. [...]
« Tout ce que je vois des yeux du corps me fait alors l'effet
d'un rêve et d'une plaisanterie. Ce que l'âme aperçu
de ses yeux intérieurs, voilà ce qu'elle appelle de ses
voeux. »
Lors de séances de relaxation dynamique, certains sujets voient
une sphère lumineuse d'un diamètre de 50 cm à 1
m, d'autres une colonne de lumière. Les sujets décrivent
cette lumière comme étant très blanche et pénétrante,
presque palpable
Une fonction commune : transformer l'âme
La vie de Thérèse d'Avila a été consacrée
à l'expérience mystique, dans le cadre de la tradition
chrétienne. Tous ses ravissements et ses extases ont transformé
son âme. Les caractéristiques de cette transformation sont
tout à fait comparables à celles observées chez
les expérienceurs.
Pacification
Dans sa vie, il semble qu'il n'y ait plus place pour les conflits d'aucun
ordre. C'est un véritable détachement :
« La vie est devenue pour moi une sorte de rêve et
tout ce qui frappe mes yeux, je crois le voir en songe. Je ne vois
en moi ni contentement ni peine de quelque importance. Un événement
fait-il naître en mon âme l'une ou l'autre de ces impressions,
elle passe si promptement que je m'en émerveille, et je n'en
suis pas plus touchée que d'un rêve que j'aurais eu :
cela est la pure vérité. »
Thérèse a donc atteint un état d'équilibre
remarquable.
Amour
Sainte Thérèse éprouve de la compassion, sentiment
qu'elle ne possédait pas naturellement :
« Je me sens beaucoup plus de compassion pour les pauvres
que je n'en avais auparavant. Ils me font une profonde pitié,
et j'éprouve un ardent désir de les secourir, tellement
que, si je m'écoutais, je leur donnerais les vêtements
qui me couvrent. Ils ne m'inspirent aucun dégoût, quoique
je les approche et les touche. C'est maintenant, je le vois, un don
de Dieu ; auparavant, je faisais l'aumône pour l'amour de Lui,
mais je n'avais pas pour les pauvres de compassion naturelle ; je
constate sur ce point un progrès évident. »
Effet de contagion
Elle aide aussi les autres dans leur cheminement, en leur parlant de
son expérience, mais aussi en intervenant pour le perfectionnement
de l'âme de nombreuses personnes :
« Ces faveurs sont en si grand nombre que je pourrais en
faire le récit sans me fatiguer, et sans fatiguer en même
temps ceux qui me liraient. D'ordinaire, ces faveurs regardaient beaucoup
plus la santé de l'âme que celle du corps. Tout cela
est très connu, et bien des personnes peuvent l'attester. »
La transformation des expérienceurs du cinquième stade,
comme celle de Thérèse d'Avila, entraîne des changements
de toutes sortes chez d'autres personnes proches, quelquefois à
leur demande, mais aussi à leur insu.
Il en fut de même pour la personne qui a vu disparaître
sa colite en séance de relaxation dynamique. Elle devint de plus
en plus patiente, notamment dans son travail auprès d'adolescents.
Si elle se sentait fatiguée, donc moins disponible, elle se relaxait,
sans pour autant se décorporer, en s'isolant dans une pièce
et elle retrouvait ainsi toutes ses ressources. « J'ai tellement
changé après presque deux ans d'entraînement, disait-elle
au groupe, que, par rapport à mon état interne précédent,
je me fais l'effet d'un ange. » Tous ceux qui pratiquaient avec
elle savaient que c'était exact ; ils percevaient cet état
et en ressentaient également les bienfaits quand elle exprimait
ce qu'elle venait de vivre - cela sans qu'ils soient parvenus eux-mêmes
à une telle intensité d'expérience.
Plus de crainte de la mort
« Ces grâces [les phénomènes inhérents
à l'état de ravissement] m'ont enlevé presque entièrement
la crainte de la mort, qui, chez moi, avait toujours été
très vive. Mourir me paraît à présent la
chose du monde la plus facile pour les Serviteurs de Dieu, puisque l'âme
se voit en un instant affranchie de sa prison et introduite dans le
repos. Ces ravissements par lesquels Dieu emporte l'esprit et lui découvre
des choses merveilleuses ont beaucoup de rapport, ce me semble, avec
ce qui se passe au moment où l'âme, quittant le corps,
se trouve soudain en possession de tous les biens. »
Thérèse a le même vécu subjectif de perte
d'angoisse et fait la même extrapolation à la mort physique.
Cette remarquable identité nous conforte encore plus dans notre
rapprochement.
Dans la mesure où elle est recherche du Divin, Thérèse
comprend ce qui lui arrive et elle interprète sous forme d'analogie
:
« Ne parlons pas des douleurs de la séparation, dont
il faut tenir peu de compte. Aussi bien, ceux qui auront sincèrement
aimé Dieu et méprisé les biens de cette vie doivent
mourir avec plus de douceur. »
Renaissance et énergie
Sainte Thérèse se trouve complètement transformée,
elle a quitté sa tunique de peau pour un habit de lumière
:
« Je considérais ensuite, avec étonnement,
les effets de ce feu du véritable amour divin. Tout le vieil
homme, avec ses défauts, ses langueurs et ses misères,
est consumé. Comme le phénix, l'âme ici subit
un renouvellement total. Ses désirs se trouvent entièrement
changés, sa vigueur devient extraordinaire. Ainsi elle ne paraît
plus la même. »
Le Don
Tandis que les expérienceurs ont vécu leur NDE involontairement,
Thérèse d'Avila semble avoir voulu cette modification
interne, puisqu'elle y a consacré sa vie. Mais il ne faut pas
s'y tromper. En réalité, elle est parvenue à ces
états mystiques en abandonnant tout désir personnel, toute
volonté propre. Elle affirme que ses états extatiques
et les changements bénéfiques qu'elle a ressentis dans
sa psyché et dans son corps ne viennent pas d'elle-même
mais de sa recherche du Divin :
« Je le voyais très bien, c'était un don gratuit
et non le résultat de mes efforts. »
Les phénomènes des états proches de la mort et
de l'extase se rejoignent. Thérèse d'Avila peut trouver
cet état de béatitude non pas à sa propre diligence,
mais simplement en se mettant en état d'oraison - bien que quelquefois
elle en soit saisie sans le vouloir. Quant aux expérienceurs,
ils ne vivent, la plupart du temps, qu'une seule NDE. Ils peuvent cependant
renouer avec d'autres chemins dont nous parle Thérèse
(pratiquer l'oraison, se ressourcer aux grands textes, se connaître),
mais aussi avec les traditions spirituelles qui prennent des formes
diverses, mais dont le but et le sens restent les mêmes : transmuter
l'âme.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
D'AVILA Thérèse, Ma Vie. Relations spirituelles, Cerf,
1982.
D'AVILA Thérèse, Le Chemin de la perfection, Cerf, 1982.
NASIO J.-D., Cinq Leçons sur la théorie de Jacques Lacan,
Rivages, coll. « Psychanalyse », 1992.
VAN EERSEL Patrice, La Source noire, Grasset, 1986.
4.
PÉRENNITÉ D'UN VÉCU RELIGIEUX
L'union à Dieu et à l'univers chez les témoins
d'EMI et chez les mystiques
François BRUNE,
théologien
"C'est la communion parfaite, c'est la fusion sans mélange
et sans confusion. On est Lui et Lui est soi. On est tout ce qu'il
est. On a tout ce qu'il a. On le sait, on le voit presque. On le
sent, on le goûte, on en jouit, on en vit, on en meurt. "
Robert de Langeac
(La Vie cachée en Dieu)
Dès son premier ouvrage, Sur la frontière de la vie,
Kenneth Ring avait rapproché les Expériences de mort imminente
(EMI) * des expériences mystiques.
* Je préfère personnellement le terme
EFM : Expérience aux frontières de la mort
Cependant si, pour certains, la parenté entre ces deux types
d'expérience est évidente, pour d'autres, l'assimilation
apparaît sans fondement. On ne peut s'en tenir à une impression
d'ensemble. Des études comparatives plus précises sont
nécessaires.
Dans ces quelques pages, je n'aborderai qu'un point précis commun
à ces deux types d'expérience, mais un point particulièrement
important, celui qui, peut-être, nous en livre le sens profond.
Dans les deux cas, les heureux bénéficiaires de ces expériences
ont vécu un double paradoxe.
Ils avaient l'impression très forte d'être à la
fois « unis à Dieu », ce qui implique qu'ils s'en
sentaient encore distincts, et de ne plus « faire qu'un avec Dieu
», ce qui implique logiquement qu'ils ne s'en distinguaient plus.
De même, ils avaient l'impression d'être « unis à
tout l'Univers » et, en même temps, de « ne plus faire
qu'un avec tout l'Univers ». Comment peut-il y avoir, à
la fois, distinction et non-distinction ?
Cette double impression semble avoir une importance particulière,
non seulement parce qu'elle est le sommet de ces deux expériences
(mystique et à l'approche de la mort), mais parce qu'elle est
vécue dans toutes les cultures et à toutes les époques,
au-delà de tout dogme établi ou de toutes convictions
philosophiques antérieures.
Je ne citerai que très peu de textes. Il ne pourrait être
question ici de mener l'étude à son terme. Mais quelques
exemples, parmi beaucoup d'autres possibles, suffiront à montrer
l'intérêt de ces rapprochements.
Le lecteur notera à quel point tous ces grands témoins
d'expériences transcendantes tâtonnent dans leur vocabulaire.
C'est là un signe d'authenticité. Ils ne se recopient
pas. Mais la convergence de tous leurs témoignages n'en est pas
moins forte.
On remarquera la joie prodigieuse, l'exaltation qui se dégagent
de ces témoignages. Beaucoup de lecteurs seront sans doute surpris
par la force des textes, tant il est vrai, malheureusement, que nous
connaissons, en Occident surtout, des formes dégénérées
du sentiment religieux. Que les similitudes de vocabulaire ne nous égarent
pas. La vraie mystique est à l'antipode de la mièvrerie.
C'est du feu. Discerner le vrai mysticisme du faux n'est pas aisé.
La fraîcheur et l'intensité de ces expériences sont
leur meilleur signe d'authenticité.
Il faut préciser encore qu'il est souvent difficile de distinguer
vraiment, dans tous ces témoignages, l'union à Dieu de
l'union à l'Univers, tant les mystiques, comme les témoins
d'EMI, ont le sentiment aigü que l'Univers est plein de Dieu ou
que Dieu est présent dans l'Univers, comme la source de tout
être. Pour la clarté de l'exposé, nous examinerons
cependant, l'un après l'autre, les deux aspects de cette expérience.
L'union à Dieu
Chez les témoins d'EMI
Dans son étude intitulée Return from Death, Margot
Grey note que, parmi les rescapés de la mort qu'elle a interrogés,
beaucoup ont parlé d'une « présence » qu'ils
sentaient près d'eux pendant leur décorporation. Or, souvent,
ils prétendent qu'ils étaient conscients d'avoir une relation
très spéciale à cette présence, qui était
parfois comprise comme étant Dieu et parfois ressentie comme
le moi supérieur de l'individu. Très souvent les deux
étaient perçus comme n'étant qu'un seul et même
être [to be one and the same] et les gens soulignaient fréquemment
qu'il n'y a, en réalité, aucune séparation de Dieu.
L'un des témoins disait : « Je pense que c'est ce que Jésus
voulait dire quand il affirmait : Moi et mon Père, nous sommes
un. 1 »
Le lecteur aura remarqué les mots que j'ai soulignés
: « les deux » et « un seul et même être
». Nous trouvons aussi pour la première fois le rapprochement
fait par un des témoins entre ce qu'il a vécu et ce que
le Christ disait de sa relation à son Père céleste,
selon l'évangile de saint Jean.
Il est frappant de constater combien, dans les témoignages suivants,
il y a identité entre Dieu, l'Amour et la Lumière.
- « Je ne faisais qu'un avec la pure lumière et l'amour.
J'étais un avec Dieu et en même temps un avec
tout. »
- « J'étais soudain dans la lumière et c'était
beau ! Je n'avais aucun sentiment d'identité distincte. J'étais
dans la lumière et un avec elle. »
- « J'entrai dans l'arc de pur amour doré et de lumière.
Cette radiation d'amour me pénétra et aussitôt
je faisais partie d'elle et elle faisait partie de moi 2.
»
Joe Geraci : « Ça devient vous et vous devenez ça.
Je pourrais dire : " J'étais paix, j'étais amour. J'étais
la brillance, elle faisait partie de moi. " Vous savez, c'est tout.
Vous êtes omniscient et tout fait partie de vous. C'est tout simplement
merveilleux. C'était l'éternité... C'était
comme si j'avais toujours été là, et comme si je
devais y rester toujours, et que mon existence sur terre n'était
qu'un bref instant 3. »
Après de longues années de réflexion, une Française
l'a exprimé en des termes plus philosophiques, influencés
peut-être par ses études antérieures chez les soufis.
Mais la formule conviendrait très bien aux chrétiens orthodoxes
: « Je pense que nous faisons tous partie d'un grand tout ; que
nous sommes la multiplicité de l'unité, que nous sommes
la possibilité d'existence de Dieu dans la matière et
que nous sommes dans ce monde manifesté pour existencier les
énergies divines 4. »
Chez les mystiques
Le problème très précis que nous envisageons ici
d'une double relation à Dieu, par union et par identification,
ne se manifeste que dans les courants religieux où une relation
personnelle à un Dieu personnel est sauvegardée. Dans
les deux premières grandes Upanishads et, pour une bonne part,
dans les différents courants bouddhistes, chaque fois que l'âme
individuelle est censée se perdre dans le grand Fond originel,
le problème que nous évoquons ici ne se pose pas. Mais,
peu à peu, dans la suite des Upanishads, avec la réapparition
du Purusha des hymnes védiques, la question commence à
émerger. Dom Henri Le Saux commente alors ainsi le rôle
de cet Homme primordial : «Le Purusha des Upanishads est intériorité
non duelle de l'homme et de Dieu. » (Dans son Journal, le 28.12.1971).
Les témoignages que nous cherchons seront cependant plus nombreux
et plus directs dans les variantes de l'hindouisme influencées
par le courant de la bhakti, ainsi que, évidemment, dans les
trois grandes religions monothéistes. Voici seulement quelques
exemples, pris très arbitrairement, parmi beaucoup d'autres possibles.
Ramakrishna avait parfaitement conscience du problème:
« Avec le samâdhi [l'extase] le plus élevé
[...], c'est la fusion complète de son propre Moi avec celui
de Dieu. » Mais alors, reconnaît-il, qui pourra encore nous
parler de Dieu ? « Le bhakta [dévot] est désireux
que son moi ne soit pas englouti tout entier dans le samâdhi.
Il voudrait conserver assez d'individualité pour jouir de la
Vision divine comme d'une personne. Il voudrait goûter la saveur
du sucre au lieu de devenir sucre lui-même 5.
»
Voilà tout le problème : comment devenir le sucre tout
en goûtant le sucre !
Toukaram (ou, en abrégé, Toukâ) était le
fils d'un petit boutiquier de l'Inde, contemporain de Descartes. Analphabète,
il n'était pas pour autant illettré, car il avait appris
auprès des maîtres des milliers de vers par coeur. Il composa
plus de 4 000 psaumes, que ses fidèles disciples écrivaient
et que l'on scande encore aujourd'hui, sur les routes de pèlerinage
en Inde. Parlant de Dieu, il s'écrie : « Me voici dans
sa nature immergé, seuls nos noms maintenant diffèrent.
»
Retenons surtout ce poème, dans lequel le traducteur français,
pour garder au texte toute sa force, a sous-entendu le verbe «
être » à plusieurs reprises, comme dans l'original
marathe : (Toukâ s'adresse à Dieu.) « Je te donne
visage, Tu me rends infini. Nous deux, un seul corps. Un nouvel être
est né, le Toimoi, le moi-Toi. Entre nous plus de différence,
moi Toi, Toi Toukâ » (= je suis Toi, Tu es Toukâ)
6. On l'aura remarqué, il n'y a
plus qu'un seul « être », mais avec deux pronoms «
personnels ».
L'Islam nous fournirait d'innombrables textes dans le même sens.
Contentons-nous de quelques-uns des plus célèbres. Voici
d'abord le cri d'amour d'al-Hallâdj qui sent bien que son «
moi » fait obstacle à la fusion totale en Dieu : «
Entre moi et Toi, il y a un " c'est moi " qui me tourmente. Ah ! enlève
par Ton " c'est Moi ", mon " c'est moi " hors d'entre nous deux ! 7
»
Farîd Uddîn Attâr nous rapporte quelques exclamations
semblables attribuées à différents personnages
: « J'ignore si tu es moi ou si je suis toi; j'ai été
anéanti dans toi, et la dualité a été perdue
» ; « Nous deux ne faisons qu'un; nous ne sommes pas plusieurs
8. »
Au-delà de l'expérience elle-même, de ce qui est
éprouvé, aussi bien par le mystique que par les rescapés
de la mort, la difficulté est d'ordre conceptuel, lorsqu'il s'agit
de comprendre comment une telle expérience est possible et comment
elle peut fonctionner,
Spontanément, on aurait tendance à croire que plus l'union
est totale, plus la distinction des personnes doit disparaître.
Mais il faut que subsiste encore un minimum de trace du « moi
» pour que l'on puisse jouir de Dieu. Or, si faible que soit la
distinction (même réduite à la différence
des pronoms moi et Toi), elle implique que la fusion n'est pas encore
totale ; ce qui laisserait une insatisfaction intolérable chez
le mystique, et ne correspond d'ailleurs pas du tout à ce qu'il
affirme avoir éprouvé.
Le mystique chrétien dispose d'un point de référence
; c'est le mystère de la Trinité, tel qu'il a été
peu à peu compris et exprimé au cours des premiers conciles
: la distinction des personnes reste totale, sans pour autant faire
obstacle à l'union, ni risquer de la gêner, car le plan
des personnes et le plan de l'être sont totalement distincts.
Ce schéma conceptuel tente de rendre intelligibles les paroles
du Christ dans toute leur force : « Le Père et moi, nous
sommes un. »
Un des témoins interrogés par Margot Grey, probablement
de formation chrétienne, avait osé, nous l'avons vu, suggérer
que le même schéma était vraisemblablement sous-jacent
à son expérience d'union à Dieu.
Un mystique français, encore trop peu connu, a exprimé
de façon extraordinaire la même idée, ou plutôt
la même expérience. C'est Jean de Saint-Samson. Aveugle
depuis l'âge de trois ans, il dicte ses pensées, comme
Toukaram. Son français est celui du début du XVIIè
siècle. La phrase s'enfle, rebondit, se perd, se rattrape, nous
laissant deviner, par sa magnifique maladresse, quelque chose de l'intensité
même de l'expérience qui l'a emporté, soulevé,
balayé.
C'est l'âme qui s'adresse à Dieu (ici, le Christ) :
« Vous êtes mien et je suis vôtre. Vous me possédez
tout à tout, tout et totalement. Et nous ne sommes qu'un,
en l'un et en l'unique de nous deux qui sommes également
ravis de l'amour et de la beauté l'un de l'autre, l'un en l'autre,
et par les mutuels et ineffables embrassements l'un de l'autre, et
l'un en l'autre, où nous sommes possédant en égalité
de délices, en égalité de simplicité,
en simple amour, en notre simple et unique essence, par-dessus
l'action, par-dessus la passion, par-dessus l'inondation, par-dessus
l'amour même, en l'amour au même amour sans amour, en
la très simple, très unique et très attentive
vue réciproque et mutuelle en nous deux, en l'unique simple
de nous deux, où je suis totalement submergée et
perdue d'amour...9 »
On pourrait multiplier indéfiniment les exemples, de Maître
Eckhart à Robert de Langeac, chacun essayant d'exprimer ce mystère
vécu, avec ses propres mots, selon son époque, sa culture
et son tempérament. Pour l'essentiel, cela ne nous apporterait
rien de plus, sinon la preuve de l'extension et de la constance de cette
expérience, bien plus grandes qu'on ne le croit généralement.
Je me permets seulement de renvoyer à mon premier livre 10.
L'union aux autres et à l'Univers
La double expérience d'être uni à l'Univers et,
en même temps, de ne faire qu'un avec l'Univers peut prendre diverses
formes. Elle peut concerner tout l'Univers à la fois, ou se concentrer
plus particulièrement, du moins pendant quelque temps, sur certaines
personnes. Il peut s'agir alors d'une véritable osmose, que l'on
appelle souvent, en psychologie, un phénomène d'empathie.
Chez les témoins d'EMI
Margot Grey a éprouvé quelque chose de cela pendant sa
propre expérience : « J'étais consciente de ma propre
identité et je remarquais bien ma solitude, et cependant, je
sentais en même temps que je ne faisais qu'un avec l'espace infini
; je semblais en faire partie et il faisait partie de moi 11.
»
Outre sa propre expérience, elle a recueilli plusieurs témoignages
tout à fait semblables. Une femme trouvée chez elle dans
le coma, trois jours après une crise cardiaque, raconte : «
Je m'aperçus qu'il y avait beaucoup de monde autour de moi [...]
; l'une des impressions dont je me souviens le mieux à leur sujet
est une impression d'unité, de faire totalement partie de tout
ce qui m'entourait et me concernait. Il n'y avait aucune séparation
12,13. »
Cette communion avec l'Univers prend souvent la forme d'une véritable
osmose. Nous sommes alors en présence du phénomène
d'empathie.
« Certains, nous dit Phyllis Atwater, deviennent sensibles au
point de prendre sur eux, par empathie, la peine, les sentiments, les
maladies, les joies et les conditions des autres. L'année dernière,
raconte l'un de ces témoins, un petit garçon s'est perdu
dans les montagnes. On a trouvé son corps dix jours après
sa disparition. Pendant ces jours je souffrais physiquement pour
ce garçon - pas seulement de sa mort, mais de la souffrance morale
par laquelle il est passé avant de mourir 14.
»
Barbara Harris a été elle-même victime de cette
sensibilité extrême. Elle était un jour en train
de nettoyer sa piscine, lorsqu'elle ressentit une douleur perçante
dans sa hanche droite et tout le long de sa jambe. Elle apprit plus
tard qu'au même instant sa mère gisait sur un lit d'hôpital
et qu'on lui faisait une ponction de moelle à la hanche droite.
« Nous savons que notre moi ne s'arrête pas à notre
peau. C'est une illusion de croire que nous finissons à la surface
de notre peau. En réalité, nous ne sommes pas séparés.
Nous sommes réellement, ensemble, un seul être 15.
»
Chez les mystiques
Chez les mystiques, cette identification avec l'univers semble toujours
se faire en relation avec la perception de la présence de Dieu
en toutes choses.
Chez certains grands auteurs, les témoignages prennent une résonance
concrète, proche de ceux des rescapés de la mort. Mais
il faut parfois encore rassembler des éléments épars.
Ainsi chez Kabîr, humble tisserand de l'Inde de la fin du XVè
siècle, à mi-chemin entre l'islam et l'hindouisme. Indépendant
de toute religion officielle, il ne suit que son Maître intérieur,
à la suite d'une expérience personnelle soudaine et particulièrement
intense.
« J'ai regardé de mes deux yeux, et je n'ai rien vu que
Râm [Dieu] » ; « J'ai reconnu l'unité de tous
les êtres... » ; « Mais ce Kabîr, devenu Râm,
est sauvé ! »
Il y a, finalement, identification à tous les êtres en
Dieu, leur source commune. Mais ne nous y trompons pas. Par cette reconnaissance
même, Kabîr devient un vrai serviteur de Dieu et, loin d'être
absorbé en Dieu au point de disparaître, il participe à
la présence de Dieu en toutes choses :
« Je suis en tout, tout est en moi. Hors de moi, il n'y a rien
16. »
Très souvent, cependant, l'identification ne s'étend
explicitement qu'aux hommes. Ainsi chez Djalâl Od-Dîn Rûmî,
le grand mystique persan du Xlllè siècle, à
l'origine des derviches tourneurs :
« Devant moi, toutes les âmes ne sont qu'une,
Bien qu'une peau, telle une fourrure retournée,
Recouvre les corps que nous habitons.
Moi, je sais qui tu es, caché sous cette peau
Tu es ma propre âme dans des corps séparés 17.
»
Maître Eckhart disait de même : « Tant qu'il y a
un seul homme que tu aimes moins que toi-même, tu ne t'es jamais
vraiment aimé toi-même 18.
»
Nous trouvons une forme d'expression plus proche de celle des rescapés
de la mort chez Marie de Sainte Thérèse, mystique flamande
du XVIIè siècle:
« Une grande lumière m'illumine parfois et me révèle
d'une manière admirable l'insigne présence de l'être
de Dieu dans tous lieux et en toutes choses. Je crois alors nager
dans cette incommensurable essence et la rencontrer et la contempler
partout. Avec toutes les choses créées, je crois y disparaître
19. »
Mais c'est surtout dans les phénomènes d'empathie que
la mystique chrétienne fournit le plus d'exemples en correspondance
avec certaines expériences faites aux frontières de la
mort.
Ainsi, Anne-Catherine Emmerich, stigmatisée, consacra-t-elle
les dernières années de sa vie à un type bien particulier
d'assistance aux mourants. Dieu l'avertit même que c'était
précisément pour ce service qu'il prolongeait sa vie sur
terre. « Elle avait donc à assumer les maladies et les
douleurs de chacun, mais aussi à éprouver leurs vieux
penchants coupables et leurs états d'âme 20.
»
Thérèse Neumann, elle aussi stigmatisée, fit bien
souvent de même, prenant sur elle les maladies des autres qui
s'en trouvaient immédiatement soulagés 21.
Souvent, d'ailleurs, l'empathie ne s'arrête pas aux souffrances
physiques mais concerne bien davantage les souffrances morales, les
unes et les autres étant vues toujours comme des tentations,
ou des occasions de tentations. Les exemples sont alors innombrables
: sainte Marguerite-Marie Alacoque, que sa supérieure envoie
prier devant le Saint-Sacrement en tenant la place du roi, et qui se
trouve alors assaillie de tentations charnelles ; sainte Anne-Marie
Taïgi qui, pour empêcher quelqu'un de se suicider, doit endurer
elle-même un long et terrible désespoir ; soeur Faustine
Kowalska, souvent conduite intérieurement à prêter
assistance à des personnes agonisantes à des centaines
de kilomètres, en exerçant la vertu contraire à
leur tentation.
La raison ? Beaucoup l'ont fort bien exprimée : « Comment
ne pas souffrir quand un seul point du doigt souffre ? Nous sommes tous
un seul corps en Jésus-Christ 22.
»
L'allusion à la doctrine de saint Paul est ici évidente.
Il me semble donc que ces expériences aux frontières
de la mort, mieux connues aujourd'hui, rejoignent les témoignages
des mystiques et coïncident avec un mystère de la théologie
chrétienne, qui paraît ainsi d'une modernité inattendue.
Nous remontons aux origines mystiques du christianisme. Nous sommes
tous mystérieusement identifiés au corps du Christ. Nous
connaissons généralement en Occident une version plus
philosophique du christianisme, selon laquelle nous formons tous comme
un grand corps social, dont le Christ serait la tête. Mais il
y a, dès les premiers siècles, tout un autre courant d'interprétation,
beaucoup plus mystique, qui est resté le fondement commun à
toutes les églises orthodoxes et selon lequel chaque chrétien,
et même chaque homme, est, mystérieusement, mais réellement,
physiquement identifié au corps du Christ (« corps »
désignant ici, comme en hébreu, toute la nature humaine
du Christ : corps, âme et esprit). La vision de saint Paul dépasse
même la seule humanité ; selon lui, tout est créé
dans le Christ incarné, « car c'est en lui qu'ont
été créées toutes choses, dans les cieux
et sur la terre, les visibles et les invisibles... Il est avant toutes
choses et tout subsiste en lui 23. ».
C'est donc, pour le chrétien mystique, parce que nous sommes
tous dans le Christ que nous sommes tous emboîtés les uns
dans les autres. Le phénomène d'empathie n'est que la
manifestation accidentelle, épi-sodique, d'une osmose qui est
en réalité, dans cette perspective, constante et généralisée.
Elle se produit d'ailleurs à un niveau qui échappe à
l'espace et au temps, comme l'expérience mystique, comme l'expérience
aux frontières de la mort.
C'est bien pourquoi elle peut même s'exercer rétrospectivement
; le mystique pouvant devenir, à son tour, compatient du Christ,
comme dans le cas des stigmatisés. Il s'agit là, évidemment,
d'une théologie de la conversion, et du salut par osmose, par
influence exercée de l'intérieur, qui n'a rien à
voir avec toutes les théories de rachat des coupables par les
souffrances des innocents, développées généralement
en Occident 24.
Si, comme beaucoup le pensent de plus en plus, toute l'humanité
et même tout l'Univers sont comme un hologramme, nous dirions,
pour moderniser le langage mystique de saint Paul ou de saint Jean,
que, pour eux, le Christ est comme la plaque de l'hologramme.
Chacun interprétera ces témoignages comme il l'entendra,
selon ses préférences philosophiques ou religieuses.
Les variantes dans l'expression sont infimes. J'aurais pu en citer
beaucoup d'autres. Mais, au-delà de cette diversité des
formules, je pense que le lecteur aura senti que c'est bien le même
mystère paradoxal que vivent les uns et les autres.
1. Margot Grey, Return from Death, Londres,
Arkana, 1985, p. 76-77.
2. Ibidem, p. 33, 46, 48.
3. Cité par Kenneth Ring in Heading
toward Omega N. Y. : in Search of the Meaning of the Near Death Experience,
Quill William Morrow, 1984, p. 53-54.
4. Dossier de IANDS-France n° 1, questionnaire.
5. L'Enseignement de Râmakrîshna,
paroles groupées et annotées par Jean Herbert, Albin Michel,
1949, p. 573, n° 1493 et p . 440, n°1 183
6. Toukaram, Psaumes du pèlerin,
Gallimard, 1956, p. 154 et 160.
7. AI-Hallâdj, Diwân, traduction
de Louis Massignon, Cahiers du Sud, 1955, p. 104.
8. La Conférence des oiseaux, Ed.
Les Formes du Secret, 1979, p. 194 et 157.
9. Cité par Suzanne-Marie Bouchereaux
dans La Réforme des carmes en France et Jean de Saint-Samson,
Vrin, 1950, p. 248, note 5.
10. Pour que l'homme devienne Dieu, YMCA
Press, 1983 ; Dangles, 1992.
11. Margot Grey, op. cit., p.XIII
12. Ibid., p. 5 1.
13. Le même type d'expérience a
été constaté par Stanislas Grof à partir
de la thérapie LSD. Il a pu ainsi déclarer : « L'existence
de toutes les expériences possibles que nous venons de décrire
suggère que les limites spatiales qui maintiennent un individu
dans les limites étroites de son enveloppe physique ne sont pas
applicables au domaine de l'esprit. Dans les expériences transpersonnelles,
un individu peut vivre n'importe quelle constituante de l'univers sous
sa forme actuelle ou passée. [...] Des sujets sous LSD concluent
souvent qu'il n'existe aucune limite virtuelle entre eux et l'univers.
» In Stanislav Grof et Joan Halifax, La Rencontre de
l'homme avec la mort. Ed. du Rocher, 1982, repris par Le Club France-Loisirs,
1982, p. 79.
14. Phyllis M.H. Atwater: Coming back to
Life, Dodd, Mead and Company, New York, 1988, p. 90 ; à paraître
en français aux Ed. du Rocher en 1992.
15, Barbara Harris et Lionel C. Bascom, Full
Circle, Pocket Books, N.Y.» 1990, p. 111 et 189.
16. Kabîr, Au Cabaret de l'amour,
Gallimard, 1959, p. 189, 185, 187, 177 et 200.
17. Mawlânâ Djalâl Od-Dîn
Rûmî, Odes mystique,. Klincksieck, 1973, p. 93.
18. Maître Eckhart, Traités
et Sermons, Aubier, 1942, p. 177.
19. Dans La Vie spirituelle, juin 1935,
p. 293. On y trouvera bien d'autres textes semblables.
20. Wegener, Anna Katharina Emmerich, Das
innere und äussere Leben der Dienerin Gottes, Paul Pattloch
Verlag, 1972, p. 187.
21. E. Boniface, Thérèse Neutnann
la crucifiée, devant l'histoire et la science, Lethielleux,
1979, p. 254-256.
22. Anne-Catherine Emmerich, La Douloureuse
Passion de N.-S. Jésus-Christ, Téqui, 1922, p. 44.
23. Épître aux Colossiens,
ch. 1, v. 16-17.
24. Pour tout cela, je ne peux que renvoyer
à mon premier livre. Pour que l'homme devienne Dieu, YMCA-Press,
1983 ; Dangles, 1992. On y trouvera également une bonne anthologie
de ce phénomène d'empathie chez les mystiques et les références
à de nombreux autres cas non cités