LA MORT TRANSFIGURÉE

Recherches sur les expériences vécues aux approches de la mort (NDE)

 

 

INTRODUCTION GÉNÉRALE

L'énigme des NDE, un défi à relever

Évelyne-Sarah MERCIER
anthropologue

 
 

" La découverte dans l'homme de plans inconscients profonds, structuraux et dynamiques, équivaut à un renversement copernicien et oblige l'esprit à rechercher, par-delà la déréliction des éléments caducs, de nouveaux modèles de vie, de nouveaux schémas d'existence.

On ne peut plus philosopher, on ne peut plus simplement vivre sans être marqué, consciemment ou non, qu'on y adhère ou qu'on les récuse, par ces données nouvelles, "

Roland Caen

Que vous soyez chercheur professionnel, chercheur, dans votre vie, de vérité, on simplement curieux, je vous invite à faire un test avant d'entrer dans ce livre. Lisez la lettre reproduite ci-dessous et, juste après l'avoir terminée, notez les réflexions et sentiments qu'elle vous inspire. Vous récolterez ainsi une information préliminaire du plus grand intérêt sur vos croyances, vos affects, vos connaissances. Soyez conscient que tout ce que vous êtes actuellement va fortement réagir au fil des pages. Il est donc important, pont, vous, d'évaluer, avant, ce qui va interagir, pour mesurer et comprendre le chemin parcouru lorsque vous refermerez cet ouvrage.
 
 

o Le 15.04.1991

o Madame,

" En lisant la revue L'Autre Monde, à laquelle vous avez accordé un entretien, j'ai appris que vous faisiez partie d'une association qui étudie les cas de mort imminente et qu'elle lançait une enquête à ce sujet.

" Or, moi-même, un jour, je me suis trouvée dans une situation où ma mort était inéluctable et imminente. Je n'ai fait part de cette expérience qu'à un petit nombre de personnes et encore certaines ne peuvent pas l'accepter. Cela leur fait peur. Voici ce qui s'est passé.

" C'était au début du mois de juillet 1983. Avec mon mari et ma fille de six ans, nous passions quelques jours de vacances chez ma mère, à Narbonne.

" Un soir, mon mari et mot, nous sommes allés au cinéma à Béziers, ville distante de trente kilomètres, Sur le chemin du retour, nous roulions à une vitesse modérée, sur une route à deux voies. Mon mari conduisait. A notre droite, il y avait un ravin. Un camion s'apprêtait à nous croiser. Tout d'un coup, une voiture a entrepris de le doubler et a foncé sur nous à grande vitesse.

" J'ai pensé : « la mort ». Je suis montée immédiatement au-dessus de mon corps. Je voyais au-dessous de moi les véhicules qui se faisaient face. Ils roulaient infiniment lentement. Le temps s'était presque arrêté. Je constatais que l'accident était inévitable, j'apercevais mon corps à l'intérieur de la voiture. Ce qui allait lui arriver m'indifférait totalement. Je voyais mon mari au volant. Je savais que ses efforts seraient vains.

" Je me retournai. En face de moi se tenait, immobile et silencieux, un être immense, comme un ange. Son visage était lumineux, mais dans l'ombre. Il émanait de lui une puissance, une sagesse, un amour au-delà de tout ce que l'on peut imaginer.

" Il venait me chercher, Ma joie était indescriptible, autant que mon impatience de le suivre. Je voyais loin, à l'horizon, au-dessus d'un nuage, « mes frères », dont je réalisai l'existence à l'instant même. Ils m'attendaient. Mon exil allait se terminer, car je réalisai aussi que ma place était avec eux. J'allais les rejoindre,

" Mon guide me confirma que c'était le moment. Pourtant, tout d'un coup, je réalisai qu'il paraissait surpris, et qu'il hésitait. Il restait silencieux et immobile. Il attendait quelque chose. Moi, je commençais à m'impatienter. Il attendait quelque chose. Mais quoi ? Il me laissait du temps, et je voyais les véhicules en bas qui se rapprochaient encore. Je savais que je disposais d'un délai pour trouver quelque chose. Il ne m'aiderait pas. C'est comme si je souffrais d'amnésie.

" Tout d'un coup, je vis ma fille, loin là-bas, dans sa chambre en train de dormir, ma mère (sa grand-mère), à côté.

" J'éprouvai une immense peine. Je me suis mise à genoux devant l'être, et lui dis : - Je sais que tout ce que tu fais est juste, mais ma fille, une épreuve si terrible, perdre ses deux parents à la fois, est-ce juste ? Fais que mon mari, au moins, ne meure pas. "

" Alors, je vis enfin son visage et entendis sa voix. Il me repoussa sur terre en disant : - Puisque tu ne demandes rien pour toi, retourne, ce n'est pas l'heure. "

" Je vis qu'il était joyeux de la manière dont j'avais réagi, et qu'il m'avait éprouvée. Son visage était plus lumineux que le soleil, et sa voix, une vibration énorme.

" Je retombai à ma place, dans l'auto, et vis les phares s'écarter. Mon mari et moi sommes restés longtemps arrêtés au bord de la route. Il avait conscience que nous aurions dû mourir. Je lui racontai ce qui venait d'arriver. Il le crut sans réserve. Cela ne l'effraya pas du tout.

" Moi-même, ce qui m'étonna, c'est mon propre détachement devant ma mort. Je lis souvent qu'on interprète ce genre d'images comme une forte décharge de neurotransmetteurs dans le cerveau. Je crois qu'en ce qui me concerne, il n'y a eu aucune émotion avant que je réalise ce qui allait arriver à ma fille.

" Je me suis trouvée plusieurs fois dans des situations de danger, j'ai eu des « décharges émotionnelles » de peur, mais là, à cet instant, rien ne s'est passé de cette sorte, à mon grand étonnement ultérieur.

" Ma mère et ma soeur n'ont pu accepter ce récit, cela leur faisait peur.

" Je comprends que celui-ci ne peut, pour ce qui est de votre recherche, retenir votre attention de la même manière que des cas où il y a preuve matérielle d'un état de 'mort imminente' coma, perte de conscience, etc.

" Pour mon cas, il n'y a rien, sauf la conviction de mon mari, Il faut de plus accepter que, alors que matériellement tout s'est passé en moins d'un quart de seconde, moi j'avais « le temps qu'il faut ».

" Depuis lors, ma personnalité a gardé de profondes traces de cette expérience.

" Ma conception du temps s'est élargie. Ce qui m'est arrivé s'est passé à la fois dans notre temps matériel et dans un autre univers, où les contradictions n'existent pas. L'être qui était en face de moi était plus lumineux que le soleil, dans l'ombre, et son éclat ne blessait pas les yeux. Il était omniscient, mais pouvait être surpris et hésiter. Sa liberté et son amour étaient absolus.

" Le schéma du déroulement de ce qui m'est arrivé diffère des cas classiques. Pourtant j'espère que cela apportera un élément à votre enquête. Quelle que soit votre impression, pour moi cette rencontre est une vérité totale. J'aurais dû mourir il y a huit ans.

" Je vous souhaite, Madame, de poursuivre votre quête avec rigueur, détermination et courage. Soyez assurée de ma profonde sympathie.

M. B. "

Ce témoignage respire l'authenticité. Sa sobriété est plus efficace que tous les longs discours. L'expérience de M.B. contient en germe toutes les questions dont la NDE est porteuse : proximité nécessaire ou non de la mort, relation entre le psychologique et le physiologique, relativité de la matière, de l'espace et du temps, fonctionnement du cerveau, nature de la transcendance, du bien et du mal, de l'amour, de la lumière, de la vérité, de la liberté et du déterminisme, existence de l'après-vie et d'autres mondes, peur de la mort et de ce qui nous dépasse, sens de la vie, etc.

Notre ouvrage traitera, plus ou moins complètement, de tous ces points qui trouvent, avec la NDE, comme une vie nouvelle, par un de ces paradoxes dont la NDE est coutumière. Doit-on en effet passer par la mort pour accéder à la vraie vie ? Ou bien était-ce que nous étions morts avant ? Nous fallait-il toucher ce point extrême où les deux se rejoignent, pour enfin comprendre l'essence de l'existence ?

A ces questions-là, nous ne répondrons pas, car le secret est personnel, mais méditer dessus, c'est déjà se rapprocher de son intériorité.

Ce livre constitue une première mondiale, tant par sa forme que par son contenu. Il se veut état des lieux, source d'information et d'inspiration pour la recherche future, afin qu'on en finisse avec les sempiternels préliminaires.

Il est le résultat de quatre ans d'existence de IANDS-France, fondée fin 1987 1. Avant nous se sont succédés IANDS-Etats-Unis en 1980 et IANDS-Royaunie-Uni en 1986. Depuis se sont créées IANDS-Belgique, IANDS-Pays nordiques, IANDS-Pays-Bas, IANDS-Québec. IANDS constitue un vaste mouvement international, interconnecté, indépendant des institutions qui intègrent frileusement ces recherches de pointe, mais regroupant des scientifiques institutionnels et des professionnels patentés.

Il représente un espoir de renouveau car il porte une vision plurielle mais unificatrice du monde, de son évolution et d'une nouvelle révolution copernicienne. Il s'agit, en effet, d'inverser les sens pour retrouver le Sens, de poser autrement la question des valeurs directrices et de chercher ailleurs le centre du réel. La lumière vécue par des milliers de personnes en mort imminente fait pâlir toutes nos lumières physiques. L'être de lumière renvoie à la lumière de l'être. C'est donc une invite à tourner nos regards vers un tout autre soleil. Où et comment le chercher ? Dix-huit représentants des sciences dures et humaines s'interrogent avec rigueur et authenticité... pour vous interroger.
 
 

Quelques indispensables précisions

Imminence de la mort

Si l'approche de la mort est un facteur favorisant pour avoir une NDE, ce n'est une condition ni nécessaire ni suffisante. La simple perception mentale consciente de sa mort proche, sans atteinte physique, comme le montre l'expérience citée en entrée, peut suffire. Il existe des cas où, bien qu'en mort imminente, le sujet n'a pas réalisé être en danger, mais on ne peut exclure une perception inconsciente. Enfin,des NDE adviennent chez des personnes n'avant apparemment ni frôlé la mort ni cru à leur mort.

Les expérienceurs 2 n'ont, scientifiquement parlant, aucunement visité un hypothétique au-delà, mais sont allés de plus en plus loin dans cet entre-deux de la vie et de la mort que permettent les techniques de réanimation.

Ces précisions soulèvent la question de la définition de la mort. Actuellement, on distingue mort apparente et mort cérébrale. Dans le premier cas, il s'agit le plus souvent d'un arrêt cardio-respiratoire. Les récents progrès de la réanimation font que l'on peut récupérer ces patients et les ramener à la vie sans séquelles, pour autant que l'arrêt de l'oxygénation cérébrale n'ait pas excédé quelques minutes (sauf en cas d'hypothermie, comme dans une noyade en eau glacée, où ce temps peut être beaucoup plus long).

La définition du concept de mort cérébrale a été rendue nécessaire du fait de la capacité des techniques de réanimation (respirateurs artificiels) à entretenir les fonctions cardio-pulmonaires pendant de longues périodes, maintenant le corps en vie alors que toute fonction cérébrale a disparu de façon définitive. Un certain nombre de critères sont nécessaires pour pouvoir parier de mort cérébrale, parmi lesquels on peut citer :

- aucune activité motrice ni réflexe au-dessus du cou (certains réflexes médullaires peuvent persister au-dessous) ;

- aucune réponse aux stimuli nociceptifs ;

- aucun mouvement respiratoire spontané (malades sous oxygène, respirateur débranché) ;

- électro-encéphalogramme (EEG) nul pendant 30 minutes ;

- absence de vascularisation cérébrale à l'angiographie, etc. 3. Tous ces critères sont là pour donner la certitude qu'il s'agit bien d'une mort cérébrale définitive et irréversible.

Quant au coma, il s'agit de l'association de troubles de la vie de relation (sensibilité, motricité), de troubles des fonctions végétatives (cardiaques, respiratoires, vaso-motrices) et de troubles de la conscience, allant du stade 1 (coma vigil ou léger), où une partie de la conscience est conservée, jusqu'au coma dépassé (stade IV) correspondant à la mort cérébrale.

La définition médicale est une convention très dépendante de notre connaissance des processus de la mort et de la finesse de nos instruments de mesure. Si nous avons pu repousser jusqu'à maintenant le seuil de son irréversibilité, c'est que nous pourrons encore probablement le repousser demain. L'étude des NDE pourrait contribuer à faire progresser notre connaissance de ce seuil et éclairer d'un jour nouveau quelques-uns de ses enjeux.
 
 

Expérience et croyance

Pour les témoins, en général, c'est l'impression vécue qui compte beaucoup plus qu'une situation médicalement constatée. Ils sont presque tous persuadés d'avoir fait une incursion dans l'après-mort.

Comme en psychologie, nous avons ici une expérience subjective réelle que nous devons examiner par des méthodes comparatives et analytiques pour en extraire l'objectivité.

Mais utiliser une méthode admise en sciences humaines ne résout pas l'énigme de la croyance, ou de la foi, et de son efficacité. Comme en homéopathie, parler d'effet placebo est une façon de contourner notre ignorance. Le mot croyance a très souvent une connotation dévalorisante : « ce n'est qu'une croyance ». Il convient de la distinguer de l'opinion, La croyance s'enracine dans une expérience et a le pouvoir de transformer nos perceptions, notre compréhension, nos émotions. Mais en retour, perception, compréhension et émotion peuvent complètement transformer nos croyances et nous restructurer.

L'émotion, les affects ont également tendance à être considérés comme moins fiables que des évaluations intellectuelles et logiques. Rien n'est moins sûr.

La NDE nous montre certaines situations où l'émotion, par sa qualité, sa profondeur, semble être le moteur d'une très grande efficience mentale et cognitive. Elle pointe aussi que la croyance, à cette occasion., peut prendre statut de foi. Le vrai pour soi est devenu le réel en soi. Mais le vrai des expérienceurs est suffisamment partagé pour devenir une hypothèse de réel.

Il nous faut donc réviser nos a priori et apprendre à discerner, avec d'autres yeux, nos hiérarchies sans entrer dans la confusion.
 
 

La notion de Dieu

Voici encore une superbe boite noire,

Sous des appellations diverses, les témoins éprouvent le besoin de nommer un vécu particulier : sentiment qu'il existe au-delà de la personnalité quotidienne, une puissance, une volonté qui jouissent d'indépendance et nous dépassent. Ils éprouvent, à leur égard, adoration, peur, respect. Ils utiliseront, selon leur préférence, les termes : énergie, être suprême, transcendance, Divin, Dieu, source, amour, lumière, etc.

Fréquemment, ils hésitent à employer des mots appartenant au religieux, voulant se démarquer des églises et des dogmes, tant leur vécu paraît s'écarter des religions dans lesquelles ils ont baigné. Si donc ils emploient un terme religieux, cela peut simplement être parce qu'ils n'en ont pas trouvé d'autre. Il y a rarement adéquation avec le sens d'origine.

Il en est de même pour les mots. âme, esprit, religieux, spirituel, etc.

Plutôt que de risquer une allergie, détachez-vous de l'empreinte religieuse de ce vocabulaire, pour chercher sous l'appellation approximative les caractéristiques de ce qui est décrit. Cette mise en garde n' est pas un détail, mais un problème de fond.

De quoi parlent donc les expérienceurs ? Quelle est la nature du divin ? Peut-on assimiler Dieu et énergie, ou le contraire ? Dieu n'est-il que l'élan vital ? Les témoins ne désignent-ils pas simplement de la sorte des contenus autonomes de la psyché ? Ne mélange-t-on pas des niveaux de réalité ? Vivent-ils tous le même plan de transcendance ?

Derrière les lunettes anciennes, c'est d'un regard neuf qu'il faut habiller nos yeux.
 
 

Pourquoi une recherche pluridisciplinaire ?

A l'issue de cet ouvrage, vous éprouverez peut-être la sensation d'être abondamment nourri, mais aussi un besoin de laisser reposer pour digérer. J'imagine qu'après la guerre, de nombreuses personnes ont dû se retrouver dans ce cas : le tube digestif n'était pas entraîné à assimiler autant de nourritures variées. L'analogie avec le phénomène NDE est amusante à faire : des recherches, menées souvent de façon univoque, n'ont pas encore fourni les clefs d'une diététique intégrant à la fois le biologique, le psychique, le génétique, l'énergétique, etc. On est passé par des théories fondées sur des modes de pensée mécanistes (balance calorique), des tentations magiques (régimes à aliment unique, cocktail médicamenteux dangereux), des solutions miracles qui fonctionnent peut-être en partie grâce à la foi du consommateur (macrobiotique, instinctothérapie, etc.). Il s'agit à l'évidence d'un phénomène complexe, mais nous courons encore après un idéal de simplification.

Il en est de même pour la NDE et son étude. Après des siècles de déni, qu'il soit matérialiste ou spiritualiste, on voudrait toujours la résumer à l'un de ces pôles et nier le second. Ce faisant, ou amplifie le pôle choisi et du même coup on le disqualifie. L'intoxication mentale n'est pas loin.

Ne disposant pas encore de formule réalisant l'harmonie des divers ingrédients, ce livre collectif commence par nourrir chaque organe de savoir. Seules quelques tentatives tentent de dépasser ce cloisonnement. Elles sont le fait de chercheurs puisant leur inspiration à plusieurs sources de connaissance. Ce n'est pas un hasard, à mon sens, si la recherche organisée a été initiée aux Etats-Unis par un sociologue, John Audette, et si IANDS-France est dirigée, depuis sa création, par deux anthropologues.

La NDE fait appel à une approche pluridisciplinaire, parce qu'elle interroge intrinsèquement le biologique, le physique, le psychologique et le spirituel. Elle demande une recherche anthropologique, au sens large et fort, des méthodes scientifiques plurielles et adaptées.

L'approche actuelle est donc nécessairement pluridisciplinaire. C'est une phase de transition indispensable, mais non vraiment satisfaisante. Ainsi que se plaît à le souligner Louis-Vincent Thomas, la NDE est un phénomène total qu'il faudrait expliquer dans sa globalité et non compartimenter. Cette façon de voir recoupe la distinction d'Edgar Morin entre phénomène compliqué et phénomène complexe.

En tant que phénomène complexe, la NDE exige l'intervention de plusieurs niveaux d'explication, non exclusifs les uns des autres, mais complémentaires, en attendant qu'un jour, peut-être, nous puissions comprendre les liens entre ces différents niveaux. Car nous savons qu'il nous faudra aussi expliquer la NDE dans sa totalité et que le grand mystère réside dans ces liens.

Que faire donc en attendant ? Nous n'avons pas le choix : essayer d'embrasser tous les aspects de la NDE, sans opérer de réduction, profiter de tous les embryons de vérité qu'elle recèle et accepter que la question reste ouverte. Nous vivants, comme le dit l'aphorisme de Wittgenstein 4 ne le saurons peut-être jamais, et nous morts, que nous survivions ou pas, n'en aurons sûrement plus rien à faire. Telle est la condition humaine.
 
 

Juger l'arbre à ses fruits

En dehors de toute réponse ontologique, et de toute croyance personnelle, une chose devrait nous importer : juger l'arbre à ses fruits. Qu'apporte la NDE dans ses effets ?

A titre de comparaison, je vous propose une réflexion sur une expérience personnelle, à l'origine de la fondation de IANDS-France.

Début juillet 1986, j'ignorais tout de l'existence des NDE et, ni plus ni moins que quiconque, ne m'interrogeais sur la mort, Une émission sur France-Culture entendue par hasard, le contraste entre le calme de Patrice Van Eersel et l'agressivité de journalistes rationalistes et condescendants, la lecture immédiate de son livre 5 ont déclenché une expérience de conversion similaire, dans son principe, à une NDE, Le 8 juillet au soir j'avais achevé le livre et dans la nuit du 8 au 9, à deux heures du matin, je fus réveillée par une voix qui me disait à l'oreille : « IANDS, IANDS, IANDS. » L'association était mentionnée dans le livre, mais c'est Elisabeth KübIer-Ross qui avait mobilisé toute mon attention. Entre deux heures et trois heures du matin, je conçus tout un programme de recherche, dont cet ouvrage collectif est un premier aboutissement. Ayant fait un long cursus universitaire en sciences économiques, j'étais à l'époque cadre financier dans une grosse entreprise de BTP. Pourtant, dans la semaine qui suivit, je décidai de tout abandonner pour me consacrer à ce programme de recherche. Je ne pensais pas à l'époque à fonder IANDS-France, et commençai par entreprendre des études en anthropologie avec Louis-Vincent Thomas, Ce n'est qu'un an plus tard, à l'occasion de ma rencontre avec David Lorimer 6, que je décidai, tout aussi brutalement, de créer IANDS-France. Un rendez-vous avec Hélène Renard, recommandée par D. Lorimer, scella cette décision. Louis-Vincent Thomas fut le premier à s'engager sur le projet que j'avais élaboré en juin 1987.

Comme dans une NDE, le changement de vie se fait sur une expérience de quelques instants, et, comme avec elle, la concrétisation de l'enjeu profond nécessite un délai. De la même façon, un événement ancien de ma vie ayant à voir avec la mort m'y avait sûrement prédisposée 7. On ne peut écarter le fait qu'une information existait dans mon inconscient qui a donné forme à mon expérience, comme dans la NDE la présence d'un modèle archétypal. Les interprétations de cette manifestation sont les mêmes que pour une NDE : état modifié de conscience entre sommeil et veille avec corrélats neurophysiologiques, hallucinations, expression extériorisée d'un sous-état du moi, irruption du Soi, intervention d'un guide ou d'un ange gardien, « missionnement »... A vrai dire, je n'ai pas les moyens de savoir et cela m'importe peu. Ce qui compte, comme pour une NDE, est ce que j'en ai fait. Ou encore, est-ce que la fondation de IANDS et mon investissement dans ce domaine sont un facteur d'évolution et de bien-être personnellement et socialement ?

En ce qui concerne directement la NDE, il faudrait se demander :

- Les expérienceurs se sentent-ils mieux qu'avant, se sont-ils développés positivement ?

- La société dans son ensemble peut-elle en profiter pour conjurer, consciemment ou inconsciemment, sa peur de la mort à laquelle sont liées toute une série d'aberrations ?

- Notre civilisation peut-elle, à cette occasion, devenir plus sage ?

- La connaissance humaine va-t-elle en profiter pour s'ouvrir à d'autres dimensions ?

- Arriverons-nous à sortir de la logique exclusive du « ou » pour celle du « et » et concevoir sans peur que nous existons peut-être sur plusieurs plans ?

Dans la limite des témoignages reçus 8, les témoins m'ont semblé porter encore en eux douleur et nostalgie. Ils ont acquis une sensibilité délicate à gérer et ne disposent pas toujours des moyens nécessaires à l'intégration positive de leur expérience. Sérénité par rapport à la mort ne signifie pas automatiquement sérénité et croissance par rapport à la vie. L'accompagnement adéquat des expérienceurs et de tous ceux qui ont vécu de façon spontanée une poussée de transcendance dépend de l'existence de structures sociales adéquates. Il ne s'agit ni de faire des expérienceurs des héros, ni d'en faire des aliénés. Il convient d'accepter ces expériences comme révélatrices de la nature humaine et du réel et comme enseignements sur les lois d'accès à la maturité.

L'étude des NDE en offre l'opportunité à double titre

- Expérience accessible à n'importe qui, au-delà de toute hiérarchie, elle est empiriquement source de connaissance et d'évolution. Elle nous met, en tant que telle, face à notre responsabilité personnelle d'être humain, coauteur du monde dans lequel nous vivons,

- Objet de savoir, dont la complexité reflète celle de l'univers, elle nous oblige à nous confronter à notre désir d'obscurité ou de lumière, de résister au changement ou d'aller de l'avant. Elle est, relativement à notre condition quotidienne, humainement déstabilisante, mais dans cette fonction elle est aussi terriblement humaine.

Sensibiliser tout être de bonne volonté à cette richesse intrinsèque de la NDE constitue, pour ce livre, une aspiration essentielle 9.
 
 

1. Voir annexe de présentation de l'association,

2. Nous employons indifféremment, pour désigner les personnes ayant vécu une NDE, les termes « expérienceur » (mot créé à partir du terme américain « NDEr », « Near Death Experiencer ») ou « témoin ».

3. Ces critères font l'objet d'une réflexion régulière ; ainsi par exemple, selon un voeu de l'académie de Médecine du 5.11.1991, la durée de constat de la réunion de tous les critères de la mort cérébrale devrait être adaptée aux conditions pathologiques et à l'âge du patient. Si la conviction de la mort cérébrale n'est pas sûre, il conviendrait de faire des investigations complémentaires, mais il est ajouté « selon les possibilités locales ». Ce qui signifie une certaine inégalité devant le seuil de la mort, que l'on trépasse dans un lieu équipé ou non. Par ailleurs, l'existence de cas exceptionnels exigerait un minimum de modestie en place de certitudes parfois affichées. Ainsi, en 1968, La Presse médicale n' 22 et La Tribune médicale n' 5, Médical Tribune - World Wide Report ont publié le cas " chez un patient en réanimation, d'une restitution ad integrum (autant qu'elle puisse l'être affirmée cliniquement) après un silence électrique cérébral de deux jours, la respiration est réapparue spontanément après un arrêt de 24 heures ". Cela relativise pour le moins la finesse de nos instruments de mesure de la mort. En fait, comme le précise Hubert Larcher dans sa thèse de médecine, dont est issu son livre La Mémoire du soleil, il conviendrait de distinguer biostase et thanatose : la biostase est l'arrêt complet, réversible de la vie fonctionnelle (synonymes : vie suspendue, mort apparente),- la thanatose est l'arrêt complet, irréversible, de la vie fonctionnelle avec conservation de l'intégrité organique (synonymes : vie apparente, mort suspendue, dormition).

4. Voir citation en exergue de la conclusion.

5. La Source noire, Patrice Van Eersel, Grasset, 1986.

6. Directeur de IANDS-Royaunie-Uni

7. Voir mon article dans la première partie : « Invariance et multiplicité des expériences de mort imminente. »

8. Depuis la fondation de IANDS, nous avons dû recevoir quelque trois cents témoignages écrits et oraux

9. A un second niveau, son ambition est aussi de stimuler la recherche scientifique. Le travail de fond mené par IANDS-Etats-Unis depuis dix ans et IANDS-France depuis quatre ans explique sans doute l'intérêt grandissant des médias et des chercheurs pour ce phénomène. Ainsi récemment, en France, deux thèses de médecine viennent d'être soutenues sur le sujet à Paris et à Lyon, une autre va l'être à Marseille ; en anthropologie, Stéphane Trompe-Baguenard s'intéresse à la fonction mythique et fait une thèse avec Antoine Faivre ; Domenico Cioffarelli explore la NDE à travers la pensée prélogique et la linguistique, en essayant de comprendre la scission des représentations de l'au-delà entre le versant indo-iranien et le versant gréco-latin ; enfin un chercheur enseignant de Montréal a le projet d'étudier l'impact d'une NDE de décideur au niveau de l'entreprise.

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Introduction de la première partie

Une expérience à la fois humaine

et humainement déstabilisante

" Rien que le phénomène. Mais aussi tout le phénomène. [...] Etablir autour de l'Homme, choisi pour centre, un ordre cohérent entre conséquent et antécédents ; découvrir, entre éléments de l'Univers, non point un système de relations ontologiques et causales, mais une loi expérimentale de récurrence [...] Ces pages représentent un effort pour voir, et faire voir, ce que devient et exige l'Homme, si on le place, tout entier et jusqu'au bout, dans le cadre des apparences. "

Pierre Teilhard de Chardin
(le Phénomène humain)

Cette première partie présente les faits, d'une part sur un échantillon français de population mélangée, d'autre part sur des populations particulières : les enfants et les « suicidants ».

Mais avant d'énumérer et de commenter les faits, je vous propose une réflexion sur les conditions de ce recueil de données, afin d'en finir avec toutes les platitudes énoncées comme autant de défenses et sur lesquelles les chercheurs en NDE ont évidemment fait le point avant de se lancer.

Les faits se présentent sous forme de récits personnels ou indirects de personnes qui pensent avoir vécu cette expérience. Nous ne recevons pas que des témoignages de NDE, car la définition n'est pas encore très claire dans toutes les tètes, mais il y a finalement peu d'écarts. Un certain nombre d'autocensures doivent se produire chez des expérienceurs qui ne se sont pas trouvés en circonstances constatées de mort imminente. J'en veux pour preuve les réticences, voire les craintes à nous parler, quand de telles personnes s'enhardissent à nous contacter.

On observe donc déjà, autour de la NDE type, un poids de normalité en tant qu'expérience de mort proche à valence positive et même extatique. Certes, la phénoménologie de cette expérience est largement confirmée, mais, depuis le début de la recherche aux Etats-Unis, on sait qu'une proximité de la mort n'est pas absolument nécessaire et qu'il existe des NDE négatives.
 
 

En revanche, deux assertions doivent être relativisées :

- Cette de l'absence d'incidence des caractéristiques démographiques, culturelles et sociales. Effectivement, à quelques nuances près (plus de femmes en parlent, les enfants ont des NDE moins mystiques), la NDE peut arriver, de la même façon, à n'importe qui, indépendamment de son âge, de son sexe, de son métier, de sa religion, etc.

Mais une analyse plus fouillée tendrait à montrer que la NDE n'arrive pas par hasard dans la vie de quelqu'un, Certains témoins sont convaincus d'avoir eu leur NDE parce qu'ils l'avaient voulu. Je dirais plutôt : ils avaient besoin de ce type de réponse. Cette manière de dire les choses accorde plus de place aux forces inconscientes, à l'histoire familiale et éventuellement sociale. Elle tient compte à la fois des dimensions personnelle, transgénérationnelle et transpersonnelle.

Cette façon, toute fonctionnelle, de voir la NDE n'enlève rien à sa valeur ontologique. Ce n'est pas parce que la NDE joue un rôle réparateur qu'elle n'est que cela. Elle peut aussi « brancher » sur d'autres réalités. Simplement, cette connexion est plus vitale pour certaines personnes que pour d'autres.

- L'autre versant de la NDE qu'il conviendrait de moduler est l'ampleur de ses effets. Les répercussions ne sont pas automatiquement positives, comme on a pu le dire et surtout le propager, de façon quasi mythique. Elles sont vraies, mais beaucoup plus difficiles à intégrer et à concrétiser qu'on ne le désirerait. Le facteur individuel (personnalité, croyances) intervient encore de façon déterminante.

Ces nouveaux éléments, analysés également, depuis peu, aux Etats-Unis (cf. K. Ring, B. Greyson, P. Atwater) situent la NDE dans un contexte plus humain et donc plus crédible. Mais lui ôter son côté magique ne supprime pas sa puissance opératoire. Expérience cruciale spécifique, elle est un facteur de perturbation extraordinaire de notre condition humaine ordinaire. Elle indique, en ce sens, à la fois notre contingence et notre capacité de transcendance.

Que des enfants, voire des bébés, aient des NDE est souvent considéré comme un fait plus résistant au déni. Il est très impressionnant d'entendre de la bouche de jeunes enfants, spontanément, les mêmes détails précis, avec, chez les plus petits, une absence d'étonnement. Les frontières du réel n'étant pas, pour eux, aussi nettes que pour les plus âgés, ils vivent comme naturelle une aventure qui nous parait incroyable.

Est-ce de là que vient leur propension à être moins mystiques ? Ce sentiment mystique, qu'on ne remarque d'ailleurs pas chez tous les adultes, pourrait n'être qu'un vécu dramatisé du caractère non ordinaire de la situation. Certains témoins précisent bien : " il n'y a rien de religieux là-dedans ", mais mentionnent en même temps, comme une évidence, leur sortie du corps, leur croyance nouvelle en une survie, leur accès aux métavaleurs, etc.

Une explication par les archétypes 1 s'appliquerait de façon satisfaisante aux enfants. D'une part, ces derniers semblent traduire, en termes de leur univers propre, une même expérience structurelle : un enfant, par exemple, a exprimé la décision de retour par la possibilité d'appuyer sur des boutons, l'un faisait revenir, l'autre rester. Leurs récits, d'autre part, paraissent refléter plus le bain culturel ambiant que les croyances familiales sur la mort, la survie, la divinité.

Les NDE vécues dans des tentatives de suicide soulèvent l'importance du sens donné à la vie. Les conclusions de leur analyse par Bruce Greyson montrent en effet qu'avoir envie de vivre et de se battre est très lié au sens que l'on donne aux événements et à leur insertion dans une signification personnelle globale. Ce sens existentiel est un sens transcendant en relation directe avec le système de croyances de l'individu, La NDE lui permet d'y accéder, La conviction d'avoir à s'accomplir dans la vie, pour réaliser ce sens personnel, est une constante des témoignages.

Le poids de la croyance est un fil rouge qui parcourt le « fait NDE ». Son influence sur le contenu de l'expérience n'est pas immédiate, mais existe probablement à certains niveaux. La NDE change les croyances du sujet, mais ce n'est pas tout. Non dévoilé jusqu'à présent apparaît un effet rétroactif de la croyance a posteriori (j'étais mort ou je ne l'étais pas) qui agit sur les conséquences de l'expérience.

Méthodologiquement, la circularité de l'effet croyance nous somme aussi de ne pas penser la NDE de façon simpliste : s'il y a changement des croyances sur la vie et la mort, il y a aussi, en boucle, influence des croyances sur la transformation induite par la NDE.

Cette complexité, loin de nous décourager, authentifie la NDE en tant que phénomène typiquement humain.

1. Voir cinquième et sixième parties.

Témoignages de la première partie

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Introduction de la deuxième partie

NDE et médecine :

l'attachement du corps médical au corps-objet est-il pathologique ?

" Si notre cerveau était si simple que nous puissions le comprendre, nous serions nous-mêmes si simples que nous ne pourrions pas le comprendre. "

L. Watson

Le premier réflexe, quand on s'interroge sur la NDE, est souvent de se tourner vers le médecin. Est-ce parce que nous aurions tendance à considérer la NDE comme un fonctionnement pathologique, ou parce que l'approche de la mort nous fait regarder vers celui qui est censé nous en protéger ? Dans l'un et l'autre cas, je crains qu'il ne s'agisse de réactions conditionnées par un paradigme fortement matérialiste. N'est-ce pas la conscience identifiée au corps qui s'inquiète et cherche à se rassurer ?

S'il est juste de se dire que des circonstances physiques sont à la base de cette expérience, est-il aussi juste d'attendre des médecins des éclaircissements sur un phénomène qui semble complètement dépasser le corps dans sa conception médicale ?

Conformément à cette tendance, les premières hypothèses médicales ont fait de la NDE le résultat d'un fonctionnement pathologique de notre machinerie physique, sans prendre soin d'établir un réel diagnostic différentiel entre les pathologies connues invoquées et le syndrome NDE. Cette approche de la NDE faisait également fi de tous les autres aspects de I'expérience, notamment des transformations du sujet. Dans la plupart des cas, il était plus question de protéger un capital savoir-pouvoir que de mener une véritable recherche 1.

Il n'est pas étonnant que les réactions de la médecine classique soient portées à nier le côté transcendant de la NDE, puisque toute la médecine est conçue comme une lutte contre la maladie et non pas comme une préservation de la bonne santé.

Pourtant il existe une demande croissante pour des pratiques moins réifiantes et plus globales. La résistance de la médecine traditionnelle à intégrer les autres dimensions de l'homme pourrait bien être pathologique 2. Flexibilité et adaptabilité sont des lois d'évolution. Quand un corps ne s'adapte pas aux changements du milieu, il risque la maladie. C'est ainsi qu'un réseau parallèle de médecins se développe de façon marginale pour tenir compte sérieusement des nouveaux faits. Ils sont malheureusement obligés de rester discrets s'ils ne veulent pas risquer les foudres de la « légalité médicale ». Et comme la demande du public existe, il existe une kyrielle de praticiens de tous ordres dans laquelle il est difficile au patient de se repérer.

Depuis qu'ont été proposées ces hypothèses réductionnistes, dès le début des années 1980, des critiques et contre-propositions ont été présentées. Pour se pencher sur le problème en 1992 il faut d'abord connaître ce qui a été exploré. Le premier article de Jean-Pierre Jourdan effectue la synthèse de tous ces travaux. On s'aperçoit immédiatement que la question est éminemment complexe. Comme le suggère Jean-Pierre Jourdan, il faudrait développer une médecine transpersonnelle, homologue de la psychologie du même nom, qui intègre le spirituel. Construire une telle médecine équivaudrait à révolutionner les bases de la médecine classique. On comprend que peu de chercheurs s'y attellent.

Les psychologues transpersonnels ont remarqué que Freud avait axé sa réflexion sur les aspects névrotiques, pathologiques de la personnalité. C'est pourquoi ils ont complété sa théorie en prenant en compte ses aspects évolutifs et sains. Les freudiens ont eux aussi interprété les NDE comme des réactions protectrices et régressives au sens négatif du terme. Mais on sait que Freud a bâti son modèle sur un idéal de science classique, tout comme la médecine qui voudrait nier la normalité de la NDE.

Une autre attitude, plus créative, serait de s'émerveiller devant les ressources de notre nature. Au vu des nouvelles découvertes, il semblerait en effet que des programmes de secours (comme sur un ordinateur) pourraient se déclencher en cas de stress physiologique on psychologique important. Ces systèmes de protection du cerveau pourraient provoquer un branchement du cerveau sur d'autres réalités. On changerait, en quelque sorte, de filtre bergsonien. On peut aussi penser que démarre un processus, réversible en cas de mort provisoire, comparable à celui qui se produira au moment de la mort définitive. Melvin Morse et alii ont ainsi supposé : " C'est comme si cette zone du cerveau (le lobe temporal) représentait le siège de l'âme et servait de déclencheur pour la libération de l'âme à la mort ; cette zone pourrait tout aussi bien servir en cas de stress dans le cours de la vie. "

Avec la seconde contribution de Jean-Pierre Jourdan, des convergences inattendues entre articles se sont produites 3 :

- Jean-Pierre Jourdan émet l'hypothèse que la « kundalini dressée » correspondrait au serpent Ouroboros ayant enfin ouvert la bouche. J'évoque moi-même la symbolisation de la montée de kundalini sous la forme du dieu Quetzalcoatl, serpent à plumes, dont la gueule ouverte laisse voir un visage humain.

- Le rapport qu'établit Jean-Pierre Jourdan entre le souffle et les pensées-images parait très proche de celui d'Hubert Larcher entre d'une part les rythmes cardiaque et pulmonaire, et d'autre part les mots-images et phrases-idées.

- Nous invoquons tous les trois ces inversions des sens, de la pensée, de la logique nécessaires à l'éveil et à sa compréhension.

De façon toujours aussi rationnelle, Jean-Pierre Jourdan fait faire à son approche médicale un saut supplémentaire : comment jeter un pont entre des substrats neurophysiologiques et la symptomatologie qualifiée de mystique. Nous sommes ici à la frontière du matériel et du psychique. Comme pour toute émergence, le saut de l'un à l'autre reste un mystère. Mais, en attendant, des hypothèses sont posées : le cortex serait l'interface entre ces deux instances. On pourrait y tracer un itinéraire de propagation de la stimulation, corrélé aux manifestations psychophysiques. L'hippocampe et le rythme thêta seraient des clefs pour ces états de conscience modifiés, etc.

Si le développement de notre néo-cortex nous a rendus surpuissants, au détriment d'autres parties plus archaïques de notre cerveau, il serait bon qu'il se mette maintenant au service de notre être tout entier, Probablement pour avoir négligé d'intégrer nos cerveaux plus anciens, nous semblons maintenant inféodés aux systèmes de pensée auxquels le cortex a donné naissance et mus par les réflexes des premiers. La NDE n'indiquerait-elle pas qu'un autre type de collaboration entre les différents étages de notre évolution phylogénétique pourrait profiter à notre évolution tout court ?

Si le cortex du corps des médecins que la NDE rebute veut bien le concevoir, et si leurs cerveaux reptilien et limbique ne s'y opposent pas, la prise en compte de telles possibilités pourrait peut-être résoudre, de façon imprévue, quelques énigmes médicales.

1. Dans le modèle du genre, voir les hypothèses développées dans Science et vie de mars 1991. Nous ne voulons pas dire pour autant qu'il faille négliger les bases purement physiologiques de certaines perceptions. Par exemple la vision maculaire pour expliquer le tunnel (hypothèse d'Antoine Remond dans Science et vie), ou l'intense émission photonique des cellules qui explosent avant de mourir, pour la lumière (Jean-Pierre Garel dans Bulletin de l'IANDS n° 12).

2. Certaines pratiques contaminées par le critère marchand en sont peut-être le symptôme. Ce critère s'étend d'ailleurs aussi de façon encore plus pernicieuse dans le domaine de la spiritualité. Préciser ces déviances ne me fait oublier ni les performances extraordinaires de la médecine, ni les comportements réellement altruistes dans le milieu spirituel.

3. Convergences non concertées bien entendu. Voir nos deux articles dans la sixième partie.
 
 

Témoignage de la deuxième partie

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Introduction de la troisième partie

 


Cette partie de l'ouvrage est passionnante en raison des questions métaphysiques et méthodologiques qu'elle soulève.

Sans faille de logique, des réalités existent mathématiquement. Il est bien connu que certaines d'entre elles ont précédé, historiquement, leur mise en évidence « physique ».

De ces réalités des ponts sont jetés, visant à fonder certains aspects de la conscience et du spirituel. Le saut épistémologique est redoutable mais humainement incontournable. Comment, en effet, quand il s'agit de questions aussi fondamentales, ne pas extrapoler et modéliser, en un mot, chercher à comprendre ?

C'est ainsi que l'homme a développé sa réflexion, mais c'est également dans ce progrès que se sont révélées les embûches de l'anthropomorphisme et la précarité des vérités atteintes. Si ces dernières sont de plus en plus performantes, dans la mesure où elles augmentent sans cesse notre intelligence et notre puissance d'action, ce que nous appelons le réel se dérobe de plus en plus à notre entendement. Apparaissant comme une convention liée à une échelle de perception, il se défait, dans le même temps, de tout sens intrinsèque.

Or, affectivement, nous avons besoin de représentations de la réalité qui soient signifiantes. C'est à cet endroit que se font les bascules délicates. Les théories physiques ont-elles un sens en elles-mêmes ? Est-ce notre humanité qui, inévitablement, en rajoute ? Cette question de fond est au coeur des trois articles constituant ce chapitre.
 
 

Rencontre synchronistique 1 entre un modèle et la multiplication d'une expérience

Le modèle de Régis et Brigitte Dutheil devient de plus en plus populaire. Les qualités pédagogiques de ses auteurs y sont pour beaucoup, mais il « fonctionne » auprès du grand publie pour d'autres raisons : d'une part la qualification scientifique de Régis Dutheil, de l'autre la compréhension analogique qu'il favorise et son caractère très globalisant. C'est en somme un modèle qui parle « directement » à notre cerveau droit, tout en rassurant notre hémisphère gauche.

Les analogies sont souvent séduisantes, mais il faut être très prudent avec elles, car si elles s'imposent à l'esprit elles ne garantissent pas la légitimité de la comparaison. Transférer un concept d'une science à l'autre n'équivaut pas à transférer une démonstration. Elles peuvent d'ailleurs, par glissements imperceptibles de sens, provoquer des confusions. La progression scientifique s'est pourtant nourrie de ces migrations et transformations. Comme le dit Edgar Morin, " la science serait totalement embouteillée si les concepts ne migraient pas clandestinement 2 ".

Le modèle de R. et B. Dutheil est présenté comme une axiomatique. Depuis l'article de Kurt Gödel, en 1931, nous savons que tout système formel (mathématique ou symbolique) est nécessairement incomplet. Indémontrable en lui-même, sa consistance ne peut être prouvée qu'en ayant recours à des méthodes de preuves plus générales que celles générées par le système lui-même. La décidabilité 3 est ainsi repoussée à l'infini. Il faut donc avoir à l'esprit que toutes nos représentations formalisées du monde, aussi sophistiquées soient-elles, sont impropres à garantir la réalité de la réalité.

Nos auteurs sont irréprochables à ce sujet : ils ne prétendent pas faire la démonstration scientifique de la nature superlumineuse de la conscience, mais proposent un modèle. Il faut donc s'attacher avant tout à sa cohérence interne et à son heuristique.

A cet égard, leur modèle vaut autant par la façon dont il éclaire les expériences au seuil de la mort que par les zones laissées dans l'ombre, qui appellent à poursuivre la recherche dans des directions précises. Ce n'est pas un hasard si certaines questions se sont constituées en points aveugles, car elles ont encore, au sein de la pensée moderne, le statut de boîte noire. Il s'agit des notions de conscience, d'information et de sens.

Sauf à supposer interprétation inconsciemment modelée, la correspondance établie par nos auteurs entre le monde tachyonnique, tel que défini mathématiquement, et le inonde de la NDE, ressemble fort à une synchronicité.

A la suite de Kenneth Ring 4, R. et B. Dutheil reprennent l'hypothèse de l'existence d'une dimension plus fondamentale, le monde de la fréquence de Karl Pribram, auteur du modèle holographique de la conscience, et la complètent avec le concept des tachyons. Ce monde est doté, mathématiquement, de caractéristiques irréductibles à celles de notre espace ordinaire, mais qui ressemblent aux descriptions des expérienceurs : information totale, signification, synchronicité, temps inexistant, etc.

Faire de la. conscience une matière superlumineuse, c'est-à-dire la substantifier, mais de façon totalement différente et lui donner, à travers des qualités tachyonniques, certains des attributs connus de la conscience, est extrêmement astucieux. Leurs auteurs espèrent d'ailleurs réconcilier ainsi matérialistes et spiritualistes, courant unitaire et courant dualiste.

Rapprochés de certains témoignages, quelques points du modèle m'ont paru particulièrement adaptés :

La symbolisation de notre univers comme étant la doublure du vêtement dont le monde superlumineux serait l'endroit, rejoint tout à fait les images proposées par les témoins, pour le retour au corps physique : « enfler un manteau à l'envers », « le corps est comme un gant », etc,

Les témoins disent aussi aller dans une autre dimension, qu'ils interprètent souvent comme un autre plan de conscience. L'expression « ouverture du diaphragme de la conscience », utilisée par nos auteurs, est même utilisée par un expérienceur qui ne les avait pas lus. Dans cette dimension, les témoins ont bien accès au passé, au présent et au futur, ainsi qu'à une sorte de mémoire. Cette mémoire n'est pas seulement une banque de données, puisqu'elle comporte également la signification. Si le sens préside ici à l'organisation, on comprend cette nouvelle sensibilité des témoins à une causalité qui ne tient plus compte de l'espace et du temps, mais de la signification. L'itinéraire post-NDE semble d'ailleurs jonché de synchronicités.

La maladie et le vieillissement sont parfois interprétés comme le résultat d'une perturbation ou d'une perte d'information. On conçoit, dès lors, la corrélation entre le bien-être des témoins et la néguentropie croissante du monde superlumineux, entre ce bain d'informations et les guérisons ou régénérations ultérieures à la NDE.

Concevoir ses proches ou soi-même comme des hologrammes nécessite une petite gymnastique intellectuelle ; en revanche, on les imagine aisément s'appliquer à ce domaine intermédiaire du seuil de la mort : visions de l'au-delà assez stéréotypées, comme le disent justement R. et B. Dutheil (proches rencontrés, double lumineux, jardins idylliques), ne seraient que des projections conditionnées de nos programmations inconscientes.

Ce modèle fournit une solution au fameux dilemme déterminisme ou libre-arbitre, par l'application du principe physique de complémentarité entre espace sous-lumineux et espace superlumineux. Il s'agit bien, en effet, dans la bouche des témoins, d'une double logique liberté-déterminisme, impliquant des niveaux différents de conscience : coexistent, en quelque sorte, finalité transcendante et revendication de liberté.

Nous suivons enfin nos auteurs quand ils affirment que l'éventuelle après-mort doit être drastiquement différente de tout ce que nous pouvons imaginer, mais probablement conforme à ce que nous avons profondément été.

Mais il ne suffit pas, en recherche scientifique, de construire un modèle bien huilé tournant admirablement. La règle épistémologique de base est la rencontre entre concept et réel 5. Il convient donc de s'interroger sur les instances réellement éclairées par ce modèle. Ne pouvant tout traiter, je me contenterai d'aborder deux points essentiels par ailleurs développés dans les deux autres articles de cette partie

- la nature de la sensation, de l'information et du sens ;

- la nature de la dimension explorée par les témoins : conscience-matière tachyonnique, étage psychique intermédiaire, ou quatrième dimension ?

Quelle instance de conscience ?

R. et B. Dutheil 6 définissent la conscience comme une alliance de la sensation, c'est-à-dire la perception des phénomènes, et l'intelligence qui analyse ces sensations en nous renseignant sur leurs significations. Il y aurait, disent-ils, un mystère de la sensation : " la sensation naît entre le moment où le cortex produit l'activité électrique correspondant au décodage de la perception. et celui où le sujet a l'impression de voir quelque chose de précis [...] comme si une ultime transformation du message se produisait juste avant qu'il n'émerge du cortex et ne prenne une valeur significative ". L,a sensation, précisent-ils, appartient au inonde superlumineux, et le cortex, jouant son rôle de filtre, n'en laisse passer qu'une partie.

" La propriété capitale de cette conscience-matière lumineuse serait d'être en quelque sorte de l'information et de la signification à l'état pur. " Elle évoluerait constamment vers des états d'information et de signification de plus en plus grands."

Sensation, information, signification et conscience sont-elles au même niveau de complexité ? Comment discerner, sous des notions aussi générales et polyvalentes, les véritables instances en jeu ? Nous ne disposons pas d'assez de précisions dans le livre de R. et B. Dutheil pour faire clairement la part des choses.
 
 

La sensation

Pour nous guider dans notre discernement, des points de vue de spécialistes de la conscience sont nécessaires.

Pour Jung 7 la conscience est un organe d'orientation qui utilise certaines fonctions : la sensation (impressions sensorielles), la pensée sur un plan primitif (reconnaissance de la perception), l'intuition (perception spontanée de possibilités vagues) et le sentiment (attribution d'une valeur). Ces quatre fonctions nous renseignent donc sur l'existence d'une chose, sur ce qu'elle est, sur son origine et sa destination et enfin sur ce qu'elle représente pour nous. Cette conscience n'est qu'une partie de la psyché. C'est son aspect éveillé, quotidien.

A partir de sa connaissance des philosophies extrême-orientales, Jean-Louis Siémons 8 distingue en l'homme une partie physique, une partie psychique (les sens, la pensée, les sentiments, la mémoire... constituant une personnalité individuelle) et une conscience plus profonde que l'entité consciente. Dans les activités du mental figure la sensation.

Par rapport à ces grilles, la sensation apparaît comme une fonction de la conscience de veille dont le mystère réside dans le passage du perceptif au psychique. Un code personnel et social nous fait attribuer nom et valeur à une information sensible.

Prenons l'exemple de la sensation de rouge : sur la perception de la fréquence correspondant à la couleur rouge, l'individu français disposant d'une vue normale collera le mot « rouge » que, par éducation, il a appris à faire correspondre. A cette sensation, il associera des éléments affectifs et cognitifs, collectifs et individuels : il aime ou n'aime pas le rouge, cette couleur l'énerve ou le tonifie, elle signifie vitalité, passion, etc. Il y a, entre la perception et la sensation, la même relation qu'entre le territoire et la carte qui le représente.
 
 

Information-signification

La distinction se complique pour les notions d'information et de signification. La conscience superlumineuse, à laquelle accéderaient les témoins, serait essentiellement information et signification, totales et croissantes. Si l'on s'en tient aux acceptions courantes de ces mots, modèle et témoignages paraissent coïncider : les expérienceurs parlent d'omniscience momentanée et de compréhension soudaine du sens de leur vie. En fait, nous sommes dans le flou des deux côtés.

Pour nos auteurs, l'information est " une entité primordiale qui a la capacité de prendre diverses formes mais qu'on ne peut définir ". Compte tenu de la place centrale de l'information dans ce modèle, il est difficile d'en rester là, d'autant qu'une démarche scientifique se doit de préciser le plus possible.

En reprenant ce qu'en dit Edgar Morin, trois points me paraissent essentiels 2.

" L'information est une notion cruciale, un noeud gordien. Elle a un aspect polyscopique dont l'aspect communicationnel, auquel on la réduit souvent, ne rend pas compte : mémoire, savoir, message, programme, matrice organisationnelle. "

" L'information n'est pas un concept terminus, mais un concept point de départ. Elle doit être définie de façon physico-bio-anthropologique. "

" Ce qui est important, ce n'est pas l'information, c'est la computation qui traite et qui extrait des informations de l'univers. Les informations n'existent pas dans la nature, nous les y extrayons. "

Avec le travail de Louis-Marie Vincent, nous progressons dans l'effort de construction de concepts plus élaborés et de clarification du modèle de conscience tachyonnique 9. Louis-Marie Vincent procède, en effet, à une reformulation de la théorie de l'information qui va dans le sens des remarques d'Edgar Morin.

Ce premier défrichage a le mérite de ne pas réifier l'information et d'en faire une notion complexe en distinguant l'aspect physique de son support et l'aspect abstrait de sa signification. Les deux niveaux impliquent des procédés de décodage à la fois hétérogènes et complémentaires.

Cette distinction permet d'interpréter les différents types de communication dans la NDE de façon cohérente avec les postulats de la théorie de la conscience tachyonnique, à laquelle Louis-Marie Vincent se raccroche. Elle éclaire en retour partiellement cette dernière en ce qui concerne l'information et la signification

Les échanges d'informations se faisant entre expérienceur et entités se produiraient donc directement au niveau abstrait de l'information. Les sens ordinaires, supports habituels de la communication, étant apparemment hors service, il est effectivement simple de supposer que c'est de conscience à conscience que se font les transmissions. Cela explique aussi le caractère unilatéral de la communication entre témoin et entourage éveillé, « normalement incarné », incapable de percevoir consciemment sans ondes sonores ou lumineuses, les signaux de celui qui se trouve hors de son corps.

Il est évident que l'auteur exclut, dans sa modélisation, le caractère éventuellement projectif des entités. Pour reprendre le concept des formes-pensées tibétaines, toutes nos perceptions pourraient n'être que l'extériorisation d'instances psycho-affectives internes. Dans cet entre-deux de la vie et de la mort, les pensées pourraient avoir le même degré de matérialité que celui qui les émet et donc passer pour réelles et autonomes. La communication se réduirait alors à un échange entre éléments intérieurs au témoin.

Intéressante est l'interrogation de Louis-Marie Vincent sur le rapport entre support d'information et accès au signifié : la vue et l'ouïe, la plupart du temps préservées, sont transmises par des ondes, alors que le goût et l'odorat, presque toujours absents, le sont par des molécules. Étudiée plus en détail, cette question pourrait nous renseigner sur la nature des espaces atteints dans la NDE.

Ayant à coeur de spécifier, Louis-Marie Vincent définit ce que nous devons entendre par information et signification dans cette dimension tachyonnique. Il y est question de connaissance d'un langage (syntaxe et sémantique), à laquelle s'ajoute son interprétation, processus beaucoup plus global, qui est prise en compte du contexte. Il y est aussi besoin de mémoire pour la reconnaissance du message et sa compréhension par le récepteur.

Il s'agit donc d'un contenu de conscience accumulé par héritage et expérience, et de son programme de décodage, lui-même fruit d'un apprentissage et d'un stockage.
 
 

Conscience personnelle et conscience transpersonnelle

Comme beaucoup d'autres mots que nous utilisons dans notre réflexion, le mot sens a plusieurs significations. Sous l'appellation « sens » se regroupent système récepteur physiologique (ouïe, vue), signification (sémantique), sens existentiel (herméneutique) qui généralement génère un sens-direction (but, trajectoire, finalité). Le sens existentiel est très lié à la notion de finalité ; nous le sentons instinctivement, les expérienceurs le disent explicitement. Je ne crois pas que nous puissions statuer sur la réalité objective de ce sens, mais nous pouvons le situer dans une échelle ontologique.

On ne peut mélanger, souligne Djohar Si Ahmed, psychologue, le « décodage-conscientisation du travail psychanalytique » et le « dévoilement-révélation » qui va illuminer toute la vie ultérieure. C'est en effet dans ce second processus qu'est en oeuvre le sens existentiel. Il est du domaine de la foi et relève du religieux. Transcendant l'homme, on ne peut le saisir que dans l'expérience.

Il s'avère que les témoins contactent ces deux types de sens :

- Le premier apparaît dans le panorama de la vie. Il met en oeuvre une information-mémoire personnelle, une signification psycho-affective. Il renvoie à un inconscient personnel et à la constitution du Moi.

- Le second, plus fondateur, corrélé à une information plus vaste, se manifeste sous la forme d'un double lumineux, d'une entité, d'une voix off, ou d'une fulgurance intérieure. Il renvoie à une instance plus globale comme le Soi jungien et aux contenus d'un inconscient collectif.

A ce point de notre réflexion, nous devons distinguer, en termes de manifestation, une information-signification relevant de la psychologie personnelle dans laquelle figure la sensation et une information-herméneutique relevant de la psychologie transpersonnelle, située à un niveau plus fondateur (plus complexe). Les deux niveaux sont plus ou moins explorés par les témoins. Les différences entre les répercussions pourraient dépendre de l'atteinte plus ou moins profonde de ces zones.

Fondée sur une sagesse traditionnelle, la mise en garde de Jean-Louis Siémons sur l'impossibilité de confondre conscience et contenu de conscience peut ici s'appliquer. Des raisons de logique incitent également à la prudence ; ce dont sont parfaitement avertis R. et B. Dutheil 10.

A ne pas distinguer entre le plan de la conscience qui saisit et celui de l'information-signification-objet-de-saisie, on risque, en effet, de tomber dans un paradoxe fondamental. Celui même d'Epiménide de Crète. Si Epiménide le Crétois affirme que tous les Crétois sont menteurs, que pouvons-nous conclure ? Rien, il y a indécidabilité. En termes de logique, une classe ne peut pas être membre d'elle-même, sauf à produire une confusion de niveaux engendrant un paradoxe. Ainsi le démontre la théorie des types logiques de Bertrand Russel.

Telle que décrite actuellement par ses auteurs, la conscience tachyonnique regroupe des composantes hétérogènes : sensation et information-signification appartenant à la conscience personnelle ordinaire et conscience de l'étage supérieur (par définition).

Pour ne pas tomber dans le piège de l'autoréférence et pour mieux coller aux réalités psychologiques, elle devra donc se préciser. Dans cette attente, Jean-Louis Siémons 11 a tranché et l'interprète en référence à la théosophie. Les caractéristiques des tachyons pourraient en faire la méta-matière du monde astral, support de l'activité psychique, dont la sensation fait partie. Cet étage intermédiaire serait en effet « d'une qualité de matière ni physique, ni spirituelle [...], une pompe à informations [...1 qui enregistre [...] tous les événements collectifs et individuels de la scène terrestre. Dans l'interprétation de Jean-Louis Siémons, il conviendrait donc de bien différencier « l'entité consciente centrale et les machineries psycho-astrales qu'elle utilise à ses fins ».

La computation vivante d'Edgar Morin correspondrait-elle à cette machinerie ? La conscience tachyonnique deviendrait, dans ces acceptions, une sorte de super-ordinateur vivant, téléguidant les individus, constitutif d'une strate où la trame personnelle croise la chaîne collective du tissu de la conscience. Appareil psychique, machine à penser les pensées, elle jouirait d'une relative autonomie.

S'il en est ainsi, il doit exister une dimension supérieure au monde tachyonnique. L'article de Pierre Bacelon vient, fort à propos, apporter quelques indices à notre enquête.
 
 

Être plus grand que soi, ou ne pas être

Pour R. et B. Dutheil, la conscience fonctionnerait de manière holographique, faisant transformer par le cerveau les fréquences superlumineuses en hologrammes sous-lumineux. Mais Pierre Bacelon, qui s'appuie aussi sur le modèle de R. et B. Dutheil, montre que les témoins voient l'image pseudoscopique d'hologrammes dont nous serions l'image orthoscopique. L'image pseudoscopique est l'équivalent en relief (en trois dimensions spatiales) du négatif photographique ordinaire (en deux dimensions). Le monde tachyonnique serait-il donc fait d'hologrammes superlumineux (tachyonniques) et le nôtre d'hologrammes sous-lumineux (bradyonniques) ?

Pierre Bacelon (qui a vécu l'expérience de la lumière) fait apparaître le monde de la NDE comme un univers holographique dont nous serions l'image-miroir. L'expression « traverser le miroir » viendrait-elle de là ? Ne sommes-nous donc que la dimension retournée, extériorisée (ou intériorisée, selon la dimension où l'on se situe) de cette conversion psychique (holographique), densifiée, opacifiée d'un univers en amont du nôtre ?

Il est fortement recommandé de ne pas lire l'article de Pierre Bacelon, si l'on tient à ses référents spatiaux et temporels. S'y reprendre à deux fois et s'entraîner aux exercices suggérés est un mode d'emploi conseillé.

Au bout du voyage surgit une dimension où tout s'inverse : intérieur et extérieur, haut et bas, gauche et droite. Les visions psychédéliques ne sont plus des formes en mouvance, mais le résultat de notre propre mouvement entre ce monde et sa dimension-miroir. Le temps ne serait que la transposition psychique de la vibration du témoin qui s'inverse lui-même : faisant osciller sa conscience entre son intérieur et son extérieur, le rythme observé lui fournirait un repère événementiel traduit en temps chronologique. S'il est possible de percevoir objets et personnes en voyant au travers en même temps, c'est qu'ils sont visibles et transparents. Si coexistent deux mondes en miroir et que par expérience il soit possible de passer de l'un à l'autre, il doit se produire une rotation dans une quatrième dimension. Cette dimension serait, avec la nôtre, dans la même relation qu'un portrait sculpté avec un portrait peint.

La NDE nous oblige donc à concevoir l'existence d'une dimension supplémentaire de liberté. Est-ce cette dimension qui imprègne la vie des expérienceurs après une NDE ? Est-ce par elle que certains d'entre eux détiennent comme un pouvoir sur notre monde ordinaire et ressentent, vis-à-vis de lui, du détachement ?

Une fois posée cette quatrième dimension, comment ne pas extrapoler l'espace de réalité à une infinité de dimensions ? La logique de cette hypothèse ferait de la dernière dimension, englobant toutes les autres, « l'espace de Dieu ».

Philosophiquement, le postulat d'une quatrième dimension nous offre l'alternative suivante, exprimée par P.D. Ouspensky :

- soit nous n'avons vraiment que trois dimensions et n'existons alors que dans le rêve d'un être supérieur ,

- soit nous sommes des êtres à quatre dimensions et notre existence en trois dimensions, exprimée à travers le corps physique et la conscience ordinaire, n'est qu'une petite partie de nous. Notre quatrième dimension serait non seulement un concept spatial, mais aussi une conscience plus vaste, plus complexe, plus harmonieuse.

A travers l'analyse des contributions de R. et B. Dutheil, L.-M. Vincent, P. Bacelon, et J.-L. Siémons, une cohérence s'est petit à petit dessinée. Cette vision, très personnelle, pourrait ainsi se synthétiser:

Dans une dimension-miroir, holographique, constituée de matière tachyonnique, se situerait notre conscience personnelle, connectée à toutes les autres consciences passées, présentes et futures. Nous pourrions y accéder par détachement corporel, en cas d'accident ou autres circonstances particulières. Une quatrième dimension en est le passage obligé mais, de celle-là, le langage rationnel ne peut n'en dire. A moins, bien entendu, que notre cerveau n'évolue, mais nous devrons, alors, songer à une cinquième dimension.

Pour le moment, c'est encore l'aphorisme de Ludwig Wittgenstein 12 qui donne raison à Pierre Bacelon

" Mes propositions sont élucidantes à partir de ce fait que celui qui me comprend les reconnaît à la fin pour des non-sens, si, passant par elles - sur elles -, par-dessus elles, il est monté pour en sortir.

Il faut qu'il surmonte ces propositions ; alors il acquiert une juste vision du monde.

Ce dont on ne peut parler, il faut le taire. "
 
 

1. Une synchronicité est une coïncidence qui fait sens.

2. Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, ESF, 1990.

3. La décidabilité est la capacité à prendre une décision. En l'occurrence, cela signifie qu'aucun système ne contient intrinsèquement les éléments permettant de décider de sa justesse.

4. Kenneth Ring, Sur la frontière de la vie, Laffont, 1980. D'autres auteurs ont, depuis, utilisé les tachyons et l'holographie pour théoriser des domaines proches.

5. Georges Canguilhem a ainsi défini l'épistémologie comme « la conscience critique des méthodes actuelles d'un savoir adéquat à son objet », Études d'histoire et de philosophie des sciences, S; Vrin, 1968.

6. Régis et Brigitte Dutheil, L'Homme superlumineux, Sand, 1990.

7. Carl Gustave Jung, L'Homme à la découverte de son âme, Veriag A.G. Olten (1928), Albin Michel, 1987.

8. Communication personnelle, voir aussi « Réflexions sur science et conscience », in Troisième Millénaire, n°22.

9. Louis-Marie Vincent et Régis Dutheil ont coordonné leurs points de vue et participent au sein de l'IANDS au même groupe de recherche.

10. Voir dans L'Homme superlumineux, p. 93.

11. Rudy Rucker, La Quatrième Dimension, Houghton Mifflin Company, Boston (1984), Ed. du Seuil, 1985.

12. Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus (1918), Gallimard, 1986.
 
 

Témoignage de la troisième partie

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Introduction de la quatrième partie

" Sauter directement sur le plan des archétypes en espérant ainsi, grâce à cette espèce de charme et d'onction qui émane des idées éternelles, pouvoir court-circuiter les plans de l'ombre, les plans du marécage qui existent en chacun, et qui, au plan de l'inconscient personnel, correspondent en bref au plan freudien, serait la source des plus graves malentendus. "

Roland Cahen

Ce n'est ni parce que les premières hypothèses émises pour « réduire » les NDE étaient d'obédience freudienne, ni parce que les freudiens ont plus de mal à concevoir positivement les NDE que les jungiens, qu'on peut faire l'économie de la grille psychanalytique pour étudier les NDE. Il est visible que, dans son cours, la NDE implique le plan freudien, et que, dans l'intégration des répercussions, on ne peut négliger sa prise en compte. D'ailleurs, Roland Cahen, éminent spécialiste de Jung, prend soin de rappeler qu'il est plus grave pour un jungien d'éviter de travailler ce plan que pour un freudien de refuser d'envisager le plan jungien 1. On imagine, en effet, ce que peut donner la puissance acquise par le contact avec les archétypes et les symboles quand elle est conjuguée avec toutes les projections, inévitables si la mise en ordre intérieure n'a pas été accomplie.

Djohar Si Ahmed et Didier Dumas sont d'accord sur deux points de départ :

- la psychanalyse devrait s'intéresser aux NDE, en tant que fait humain, en tant que fait psychique, en tant que rapport à la mort ;

- mais elle doit se renouveler et se compléter.

Que peut donc offrir la psychanalyse pour penser la NDE et qu'est-ce qui lui fait défaut ?

Comme tout un chacun le sait, la psychanalyse s'est centrée sur les difficultés de l'être plutôt que sur ses possibilités de transcendance. L'ascension vers des niveaux d'être plus intégrés, plus évolués, lui est étrangère. Les outils conceptuels manquent donc et elle aurait tendance à rejeter hors de la normalité et de la réalité ce qui échappe à son entendement. Or, il s'avère évident, sans passer nécessairement par le phénomène NDE, que l'homme se caractérise par une tension entre horizontalité et verticalité.

L'historique de ce rejet, ses raisons, les forces et les limites de la psychanalyse sont clairement et complémentairement analysés par nos deux auteurs.

A l'image de leur formation de base, il est frappant de voir qu'ils mettent l'accent sur les aspects traumatiques ou négatifs de la NDE. Il fallait bien, de toute façon, y réfléchir ; ce que n'ont pas pris la peine de faire les psychologues transpersonnels 2. Les escamoter serait amputer la NDE de sa dimension humaine.

A cet égard, l'analyse de Djohar Si Ahmed est des plus salutaires, en ce qu'elle raccroche 3 l'intégration réussie de la NDE à la personnalité de l'expérienceur, et qu'elle distingue allégations d'amour et amour véritablement incarné.

Comme j'ai pu le constater, le renoncement, délibéré ou non, à l'absolu de la lumière par le retour « sur terre » peut réactiver une blessure et renforcer la faille ancienne, mais avec, cette fois, camouflage sous un discours exorcisant, malheureusement inopérant, comme tout simple déni.

Une des clefs de cette réussite ou de cet échec est le rapport renouvelé au corps. Il est très important d'envisager la NDE de ce point de vue, car, d'une part la décorporation est une énigme centrale, plus complexe qu'on ne le voudrait, d'un côté comme de l'autre, et d'autre part la relativisation du corps qui s'y opère a des répercussions comportementales énormes.

La psychologie transpersonnelle analyse la croissance de la personnalité par une série de désidentifications. Un des produits de la NDE est la désidentification au corps. Logiquement, on devrait y acquérir une plus grande liberté. A condition que la restructuration se fasse positivement.

Analysant la NDE sous cet angle, Pascal Le Malefan 4 fait ainsi l'hypothèse que la NDE replacerait le sujet dans des conditions similaires au processus d'identification de l'enfant. La NDE correspondrait à la troisième phase du miroir de Lacan, avec surenchère, puisque le corps extériorisé n'est plus une image reflétée dans un miroir, mais le corps réel. Le processus d'identification par extériorisation serait une base structurale de la construction de notre personnalité. Ce remaniement identificatoire se ferait avec succès dans la NDE, alors que dans les « névroses traumatiques » on observerait le scénario inverse : hantise et peur de la mort. Il est significatif de constater que le versant traumatique négatif de l'approche de la mort a été exploré d'abord. La NDE apparaît comme un événement traumatique dont les conséquences positives seraient théoriquement embarrassantes.

Cette interprétation se rapproche de celle d'Edgar Morin et de celle de la deuxième génération d'explications psychologiques américaines 5, pour laquelle il n'y a pas de réelle sortie du corps, mais dissociation temporaire de l'ego mental et de l'ego corporel.

Dans le même ordre d'idées, le concept développé en commun par Djohar Si Ahmed et Didier Dumas, celui d' « image inconsciente du corps » de Françoise Dolto, me semble être du plus grand intérêt. Cette « an-nature psychique » est une « image immatérielle et invisible, le noyau psychique, constitué à partir du corps réel, mais jouissant vis-à-vis de lui d'autonomie. Elle mémorise toute l'histoire de la personne et maintient en équilibre les forces du conscient et de l'inconscient ».

Le cas des enfants autistes pose effectivement la question de la coïncidence entre corps réel et image inconsciente du corps : selon Françoise Dolto, les enfants autistes « ne focalisent pas leur personne dans leur image du corps située dans l'espace et le volume de ce corps-là ». Or, nous savons que le pathologique et le paranormal sont, dans bien des cas, les versants inadapté/adapté des mêmes mécanismes. D'autre part, le paranormal, quand il est maîtrisé, peut devenir ce qu'il est loisible d'appeler, par différenciation, supranormal.

L'investissement de la conscience dans le corps ne serait-il qu'une étape de notre évolution ? Si la plupart d'entre nous en sont à ce stade et si d'autres y renoncent (pathologiquement, comme les autistes), ne peut-on aussi envisager que certains négocient plus souplement cette relation (les OBE expérienceurs) pour des adaptations ad hoc et que la mort soit la désidentification définitive, dont nos rescapés font provisoirement et brutalement l'expérience ?

Cette façon de voir ne dit pas jusqu'où peut aller l'autonomisation de cette énergie, d'ailleurs non définie substantiellement.

Sous des vocables psychologiques et avec une genèse très différente des équivalents religieux ou mythiques, mais plus conforme aux théories de l'émergence de la conscience, nous aurions peut-être là l'équivalent de l'âme, des entités, des fantômes, etc.

C'est à un autre fantôme que Didier Dumas recourt pour expliquer un cas clinique de Françoise Dolto. Certains trouveront le cas peut-être un peu léger, relativement à une NDE, mais c'est la fécondité de l'hypothèse qui importe. Pour ma part, elle m'a permis de « voir » autrement la NDE 3, même si, apparemment, Didier Dumas ne m'a pas suivie dans ce développement.

Ces approches sont à même de fournir un éclairage moins mystique ou religieux de phénomènes qui, pour certains, en sont trop entachés. Elles n'en font qu'en changer le sens, pas la portée.

Un nouvel étiquetage peut laisser apparaître des paris de réalité. S'aventurant sur la voie mystique, la psychanalyse pourrait non seulement en débusquer les pathologies et les remontées de la cave, mais aussi emprunter à cette voie un escabeau, pour enfin se hisser au grenier.
 
 

1. C-G. Jung, L'Homme ci Ici découverte de son âme. Verlag A.G. Oiten (1928), Albin Michel, 1987.

2. Celle négligence donne prise réactionnelle et critique aux rationalistes.

3. Voir aussi mon article « Invariance et multiplicité des expériences de mort imminente » dans la première partie.

4. Pascal Le Malefan préfère utiliser le terme EMI, en raison du débat français du XIXè siècle qui donna lieu à cette appellation, antérieure, donc à celle de Moody. Ce débat français portait en germe les principales interrogations et élaborations actuelles : discussions autour de la conception du moi, de la conscience et de la nature du cogito qui se manifeste dans la NDE. La notion de « moi vif » d'Egger renvoyait déjà à une idée de lucidité et de rapidité. L'EMI était considérée comme un phénomène non pathologique qu'il convenait d'interpréter. On avait déjà précisé qu'il ne s'agissait pas du moi du vrai mourant, mais de la réaction vraie du moi à l'idée de la mort. S'y étaient déjà manifestées des tentations mécanicistes et des protestations. Enfin, la démarche scientifique était délibérément promue en garde-fou du déni ou de l'amplification. Voir l'article de P. Le Malefan dans le Bulletin de l'IANDS n° 10,

5. Voir l'annexe de Sylvie Fréal qui recense ces travaux.
 
 

Témoignage de la quatrième partie

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Introduction de la cinquième partie

" Il y a assurément de l'inexprimable. Celui-ci se montre, il est l'élément mystique.. "

Ludwig Wittgenstein


 
 

Nous entrons avec cette partie dans le transpersonnel. Le mot transpersonnel a commencé à être utilisé par Assagioli et Jung. Il est devenu, depuis la fin des années 80, le qualificatif d'un mouvement de pensée.

La psychologie transpersonnelle « se préoccupe d'étendre le champ de l'investigation psychologique, afin d'inclure l'étude de l'état optimal de la santé psychique et du bien-être. Elle reconnaît la potentialité de faire l'expérience d'un large éventail d'états de conscience, certains d'entre eux pouvant conduire à une extension de l'identité, par-delà les limites habituelles de l'ego et de la personnalité [...]. Elle affirme l'importance de la modification de la conscience et la validité de l'expérience et de l'identité transcendantales 1 ».

Le transpersonnel tire une partie de son 'inspiration des écrits religieux, pour explorer comparativement les états de conscience supérieurs. C'est pourquoi le texte de François Brune, qui est, à proprement parler, du domaine du religieux, a été placé à la fin de cette partie. La démarcation n'est pas toujours facile à faire. Le transpersonnel utilise le mot religieux au sens large et, de toute façon, emprunte de nombreux concepts à la théologie. Il semble quand même qu'une progression, avec sauts qualitatifs, se fasse entre l'expérience transpersonnelle de la psychologie du même nom et les états mystiques des saints.

Quelques notions clés tirées de l'oeuvre de Jung sont utilisées par ces approches et méritent une définition préalable.

C.G. Jung a été amené à supposer l'existence d'un inconscient collectif et d'archétypes en constatant que l'inconscient ne renfermait pas seulement des contenus biographiques, accumulés depuis la naissance. Il existerait donc, en plus des matériaux personnels, un autre niveau, « plus profond », de matériaux impersonnels, collectifs, relativement vivants et agissants, constituant ce que Jung a appelé « inconscient collectif ». En psychologie, comme en symbolique, les indications de haut et de bas réfèrent respectivement aux aspects spirituels de la personne et à ses couches plus instinctuelles. De la même façon, la notion de profondeur signale une progression vers le noyau de l'être.

Parmi les contenus de l'inconscient collectif figurent les archétypes, qui peuvent se trouver revivifiés à l'occasion d'événements personnels et, de façon plus générale, dans un état de conscience différent de notre mode de penser habituel « C'est le vieux mode de penser primitif et analogique qui nous restitue les vieilles images ancestrales 2.» Ces structures mentales homologues « au plan mental de ce que sont les instincts au plan biologique 3 » seraient présentes dès les premiers instants de la vie et se perpétueraient comme les structures biologiques et anatomiques.

Ce concept permet donc de rendre compte des NDE de bébés et d'enfants.

Jung a également postulé l'existence d'une instance psychique plus large que le Moi. Le Moi n'est qu'un complexe parmi d'autres, il est le centre du champ conscienciel. Le Soi, en revanche, serait le sujet de la totalité de la psyché, le centre de la personnalité. Il y aurait « du Soi au Moi la même distance qu'il y a du Soleil à la Terre » 2. C'est autour du Soi que, dans l'analyse, la personnalité se réorganise.

Le processus de libération du Soi s'appelle l'individuation. S'individuer, c'est « tendre à devenir un être réellement individuel et, dans la mesure où nous entendons par individualité la forme de notre unicité la plus intime, notre unicité dernière et irrévocable, il s'agit de la réalisation de son Soi dans ce qu'il a de plus personnel et de plus rebelle à toute comparaison. Le Moi individué se ressent comme l'objet d'un sujet inconnu qui l'englobe ».

On comprend la séduction que peuvent exercer ces notions pour rendre compte des NDE. Nos auteurs, y compris moi-même, ne s'en sont pas privés. La NDE peut, en effet, fort bien être un archétype ; elle peut être vue comme une connexion avec le Soi 4 et comme une invitation à entrer dans le processus d'individuation.

Dans le premier article, le tableau est brossé très large, mais finement, à partir de cas concrets. Kenneth Ring démonte, par le simple bon sens, les habituelles objections des rationalistes. Vous y retrouverez avec plaisir cette observation étonnante de la chaussure de tennis perchée sur une corniche. J'ai moi-même rencontré, à Washington, Kimberly Clark, l'infirmière vérificatrice. Elle m'a paru avoir les pieds tout à fait sur terre !

Comme, de nos jours, en psychologie transpersonnelle, le modèle théosophique cherche à faire le lien entre des connaissances traditionnelles sur la conscience, ses états supérieurs et un cadre de réflexion occidental. Le concept d'Ego ou de Soi-Ego (attention aux confusions d'appellation) est très proche du Soi jungien. Cette grille offre l'avantage de produire une variété de distinctions qui mettent de l'ordre dans les subtilités des manifestations de la conscience et peuvent nous éclairer pour nos reformulations modernes

C'est avec l'article de Nicole Le Blond que le passage au religieux se fait tangible, car il est directement rattaché à un itinéraire personnel. Sinon, comment relier à soi des personnages comme sainte Thérèse d'Avila ?

Grâce à un souci pragmatique, donc à une recherche de méthodes pour évoluer spirituellement, on peut percevoir, nonobstant les différences de niveaux, les points communs de la démarche. Il semble donc bien qu'il existe des règles de transmutation de l'âme. Qualités de vécus, indices physiques, étapes... sont autant de balises pour reconnaître la voie.

Pour Nicole Le Blond, trois critères essentiels se signalent : l'intention, l'émotion et la circonspection, C'est dans la nature de l'émotion, sa force que se reconnaît aussi, pour le père Brune, la réalité de l'expérience mystique.

De la même façon, c'est en sentant ce qui nous émeut, au récit des expérienceurs, qu'on peut soi-même discerner l'authenticité, en l'autre et en soi.
 
 

1. Roger N. Walsh et Frances E. Vaughan, Au-delà de l'ego, le tout premier bilan en psychologie transpersonnelle (1980), La Table Ronde, 1984.

2. C.G. Jung, Dialectique du moi et de l'inconscient (1933), Gallimard, 1964.

3. Roland Cahen, in C.G. Jung, L'Homme à la découverte de son âme (1 928). Albin Michel, 1987.

4. Christine Hardy, dans son étude de notre échantillon, pose en effet l'hypothèse que la NDE serait une connexion temporaire avec le Soi.

Pat Penske, ex-présidente de IANDS-Etats-Unis, pourtant pasteur, ne verse pas dans le religieux que l'on pourrait escompter, et préfère utiliser l'inconscient pour suggérer la puissance, l'infini et l'interconnexion de notre espace intérieur. Sa version de la NDE est celle d'un archétype capté télépathiquement, par résonance, quand la conscience s'ouvre à l'approche de la mort.


Témoignage de la cinquième partie

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Introduction de la sixième partie

 

« Une réalisation spirituelle authentique n'est rien d'autre qu'une incarnation intégrale. »

Marie-Louise Von Franz


 
 

Les deux articles présentés ici tentent de tisser des liens entre les instances physiques, psychiques et spirituelles.

La grille avec laquelle j'analyse la NDE n'est pas nouvelle. Mais j'ai voulu aller au-delà des assertions vagues en démontrant précisément en quoi la NDE était un archétype.

L'idée a été, à ma connaissance, lancée par Stanislav Grof qui l'a en fait très peu développée, sa spécialité étant les expériences psychédéliques 1. Kenneth Ring y travaille actuellement. Je ne suis pas la seule anthropologue cherchant dans cette direction, mais nous avons chacun notre façon d'éclairer les questions sous un jour nouveau 2.

J'avance, quant à moi, l'hypothèse qu'il existe un itinéraire de sortie du principe conscient, que je trace à travers des sources traditionnelles et des témoignages contemporains. Connaître d'éventuelles voies physiques, même subtiles, et les lois qui leur sont attachées pourrait nous faire redécouvrir les secrets de l'initiation et nous faire trouver les moyens de résoudre les crises de l'homme et du monde modernes,

Nous ne pouvons revenir en arrière, car nous avons besoin d'une lucidité adaptée à l'évolution de notre intelligence. Mais nous pouvons, grâce aux moyens d'investigation modernes, mettre au point des méthodes fiables afin d'établir cette connexion entre nos différents cerveaux et d'en finir avec notre schizophrénie mortifère.

Renouer avec les hiérogamies intimes, en régressant vers l'origine, est certes un beau projet. Nombreux sont aujourd'hui ceux qui, de bric et de broc, y aspirent ou le vendent. Mais, sans le soleil de la conscience, jamais nous ne pourrons convertir l'ombre en lumière, programmer l'évolution et encore moins atteindre la transfiguration.

Nous achevons cet ensemble de contributions avec un texte à caractère quelque peu ésotérique. Hubert Larcher l'a voulu ainsi, et il m'a semblé être la juste terminaison d'un ouvrage qui suggère, plus que la réflexion, l'alchimisation.

Pour accéder à son contenu, il vous faudra élever d'un cran l'exercice de votre esprit. Ne comptez pas sur les rouages bien huilés de votre machine à penser. Conforme à son objet, ce texte, au fil de son déroulement, monte en complexité. La pensée, y est-il rappelé, va beaucoup plus vite que la lumière dans le vide ; pourtant il ne vous servira à rien de vouloir aller très vite. Comme il y est question de l'intériorisation des sens, c'est en tournant votre oeil vers l'intérieur que vous comprendrez de quoi il s'agit effectivement. Comprendre veut dire prendre avec soi, donc transformer, ou mieux alchimiser. Passez-y suffisamment de temps pour non seulement le lire, mais aussi le méditer. Consacrez-lui une énergie d'effort vers un « je-ne-sais-quoi » et laissez faire un « je-ne-sais-comment ». Alors, quand vous vous y attendrez le moins, vous en saisirez le sens, ce scintillement du courant qui passe dans de nouveaux circuits, la joie d'avoir franchi un échelon. Car c'est bien à une ascension que nous invite ce texte.

Sans prétendre me faire l'exégète de cette lettre, car je vous priverais ainsi de votre démarche personnelle, je voudrais en souligner, à votre attention, quelques points, pour faire des liens avec notre sujet et signaler quelques remises en cause latentes. Celles-ci ont été soulevées précédemment, mais elles trouvent ici leur expression la plus subtile et leur vertu la plus déstabilisante.

Vous pensiez peut-être que le présent de votre perception était évident : ce que vous voyez « est » au moment où vous le voyez, tel que vous le percevez. Vous découvrirez qu'il n'en est rien. Dans votre perception se télescopent passé, présent, futur. En revanche, il existe un présent de la conscience qui perçoit.

Au passage, nous nous réjouissons que la distance entre l'oeil et la zone visuelle du cerveau soit plus grande que celle qui relie l'oreille à l'aire auditive. Mais c'est une réaction de confort liée à notre habitude de considérer que le mouvement des lèvres correspond exactement aux sons prononcés. Pourquoi la normalité ne serait-elle pas comme un film dont la bande-son serait mal synchronisée ? Notre anatomie aurait pu en décider autrement.

Ne pleurons pas trop sur la relativisation induite de notre accès à la « Vérité ». C'est une illusion depuis longtemps battue en brèche et que nous n'entretenons que par idéologie. La conscience est donc l'ultime objet d'étude du réel. Constat embarrassant car rien n'est plus difficile à cerner. Du moins avons-nous la consolation d'observer dans la bonne direction. Nous ne ferons pas comme cet homme qui, rentrant chez lui la nuit, avait fait tomber sa clef et la cherchait sous le lampadaire, alors qu'il l'avait vue rouler sous une automobile. Parce que là, au moins, il y avait de la lumière.

Nous sommes ici dans le même type de réflexion que celle à laquelle nous convie Pierre Bacelon : qu'elle est la réalité de notre perception, où sont vraiment le creux et le plein, le dehors et le dedans, l'envers et l'endroit ?

Peut-être pensiez-vous aussi que les réactions physiologiques à une stimulation sensorielle étaient déterminées seulement par ladite stimulation ? Autre fausse évidence, Non seulement cette réaction est subordonnée au psychique, mais l'intention peut se substituer aux stimuli externes pour provoquer le même effet dans le cerveau.

Voici donc que l'instance psychique rivalise, et même supplante dans ses effets, la réalité dite objective. Il nous faudra, ailleurs, chercher l'immédiateté.

Pour vous, le sens commun était le bon sens, ou encore la raison partagée par la communauté des hommes. Vous allez découvrir qu'il en existe un autre, qui synthétise les sens particuliers pour restituer la continuité de la perception. Peut-être, après tout, sommes-nous dans une fonction similaire : fédérer, harmoniser ?

Mais ce centre des sens, qui en constitue la partie interne, sous l'effet de la vie mystique, peut atteindre une purification, une puissance, qui le transforme en organe de lucidité. Dans l'origine latine de lucidité, il y a lumière. Etre lucide, c'est percevoir la vraie raison des choses, souvent cachée, passer derrière les apparences, radiographier les âmes, voir à travers l'espace et le temps.

Il n'est pas interdit de rêver à une transformation similaire du sens commun social. Aurions-nous une société moins éclatée, moins dupe de l'apparat, plus tournée vers l'essentiel ?

Les témoins de NDE remettent en scène certains phénomènes connus de la mystique. Ils parlent beaucoup de synchronicité, c'est-à-dire de ce lien de sens entre un événement psychique et un événement extérieur. Ils invoquent des capacités paranormales. C'est encore poser le problème de l'intérieur et de l'extérieur. Tout comme le retournement des sens vers le dedans, qui fait disparaître les cloisonnements du réel, la synchronicité révèle des affinités entre les deux mondes apparemment séparés. La psychokinèse démontre, en acte, l'absence de discontinuité. Elles remettent en cause la causalité linéaire, ou locale.

Les expérienceurs semblent accéder à une information totale, un lieu où toute la mémoire individuelle et ancestrale, passée, présente, future serait déposée, Qu'est-ce donc qui, en nous, serait porteur et/ou interface, et qui nous « relationnerait » aux autres, à l'univers et au 'l'out-Autre ?

Hubert Larcher s'est inspiré de sa thèse de médecine pour écrire un livre, au titre sans doute un peu effrayant : Le sang peut-il vaincre la mort ?3 Il nous suggère des analogies quelque peu renversantes, mais propres à provoquer en nous un peu de cette inversion. C'est surtout à partir de là que vous devrez faire appel à ce qui, au plus profond de votre être, sait. Le langage poétique et hermétique devient le vecteur approprié de cette interrogation.

Soleil de la mémoire, le sang n'est-il pas aussi mémoire du soleil, symbole universel de la divinité qui, pour une part, nous habite ?

Et quand notre conscience, « lumière intérieure psychique », s'épure dans son face-à-face avec la mort, ne réalise-t-elle pas sa véritable nature, informant la matière et la métamorphosant de façon plus ou moins irréversible ? Elle aboutit alors à cette transformation du régime sensoriel et à cette mutation ontologique, dont parle Mircea Eliade.

A quelles réalités correspond donc l'illumination ?

L'hypothèse de la conscience tachyonnique de Régis et Brigitte Dutheil fait coïncider matière et conscience 4.

Les expérienceurs assimilent lumière contemplée, amour divin et identité fondamentale de l'humain. De même que la vision béatifique a pu être qualifiée de vision océanique 5, les témoins se baignent dans la lumière-mère, rencontrée au seuil du grand passage.

Existe-t-il des zones du cerveau qui pourraient donner accès à cette réalité et provoquer en même temps une mutation ? Non mentionnée par les psychiatres et les neurophysiologistes, elle reste à découvrir.

Enfin, de quelle lumière parle-t-on ? Il semble effectivement, à travers les rapports contemporains, qu'il faille distinguer plusieurs lumières : lumière extérieure physique, observée à partir du corps ; lumière liée à la décorporation, lucidité de la conscience qui comprend et perçoit de façon déployée ; lumière après le tunnel et, quoique rarement mentionnée, lumière noire de densité.

Ainsi que le souligne un témoin, c'est notre lumière ici qui est obscure, la vraie lumière est au-delà. Un au-delà qui ne préjuge d'ailleurs en rien l'au-delà, tel qu'on l'entend ordinairement.

Finalement, Hubert Larcher nous trace un chemin où collaboreraient et convergeraient lumière scientifique et lumière révélée. Un travail de l'humain sur l'humain, mais non pas surhumain. Car il ne s'agit pas tant de fabriquer des surhommes que de s'accomplir simplement en tant qu'Homme.
 
 

1, S. Grof et J. Halifax, La Rencontre de l'homme avec la mort (1976), Ed. du Rocher, 1982 ; S. et C. Grof, Au-delà de la mort (1 980), Ed. du Seuil, 1991, qui est surtout un album.

2. Notamment Stéphane Trompe-Baguenard et Domenico Cioffarelli. Voir note 9 de l'introduction générale.

3. Gallimard, 1957, réédité sous le titre La Mémoire du soleil, Desiris, 1991.

4. Voir le débat dans l'introduction à la troisième partie et l'article de R. et B. Dutheil dans la même partie.

5. Par Sigmund Freud.
 
 


Témoignage de la sixième partie

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CONCLUSION

Vertu subversive de la NDE

Évelyne-Sarah MERCIER
anthropologue

 
 

« La solution de l'énigme de la vie dans l'espace et le temps se situe hors de l'espace et du temps. »

Ludwig Wittgenstein
(Tractatus logico-philosophicus)


 
 

De grandes et éternelles questions traversent le champ d'étude de la NDE. Des questions bouleversantes sur le monde et sur nous, mais surtout des questions dérangeantes. Le discours des expérienceurs est très centré sur le sens de la vie et de l'univers (qu'ils entendent sûrement « unis-vers »), le vrai, le juste, le bien et le divin, qui tous convergent vers l'Amour et la Lumière.

Dans notre société « intelligente, sophistiquée, efficace... et glacée », ce rappel est d'une grande brutalité. Il nous dit, en somme, que rien ne vaut si nous ne savons pas vers quoi aller et si nous n'oeuvrons pas pour un but vers lequel nous élever.

Que cet appel nous vienne à travers la perte de notre identité de vivant, et que cette perte se révèle être son apogée, voilà qui a de quoi effrayer tout individu bien inséré dans son quotidien.

Nous ne pouvons plus faire comme si nous ne savions pas. Plus besoin, pour cette révélation, d'attendre notre heure dernière. Ils sont aujourd'hui des millions à nous la faire connaître : la mort ne serait pas cette décharnée-noire-armée-d'une-faux, mais un être-rayonnant-dans-tout-l'éclat-du-vrai.

Que cet être de lumière soit la lumière de l'être ou pas, la mort en un instant n'est plus ce qu'elle était. Elle est transfigurée. Seulement voilà, tout ne s'arrête pas là, ni ne continue au-delà ! Car, inséparablement, le message suivant est qu'il faut pareillement transfigurer la vie.

C'est un séisme qui nous arrive. Il faut, non seulement penser autrement, mais vivre différemment. Convoquer notre intelligence, changer nos schémas mentaux, transformer notre affectivité, interroger notre éthique.

Au coeur de cette interpellation se trouvent les notions de sens, de vérité, de réalité et de spiritualité.

Les avancées de la réflexion scientifique, alliées à la résurgence de ces questions dans la NDE, sont pour moi l'occasion de reformuler, en conclusion, deux interrogations majeures.
 
 

Émergence et responsabilité

Si l'on se réfère aux grilles systémiques et aux théories du changement élaborées par l'école de Palo Alto 1, l'expérienceur paraît avoir fait un passage en « méta » ; c'est-à-dire avoir atteint, dans son être, un niveau de complexité supérieur, d'où il a acquis un degré supplémentaire de liberté :

- compréhension du sens de sa vie (perception des règles du jeu et du « je » de son système de vie antérieur) ;

- vision de l'enchaînement des causes et des effets (des boucles de rétroaction) ;

- changement dans le sens d'un passage à une plus grande évolution (système suivant) ;

- détention de pouvoirs d'action plus importants relativement aux capacités ordinaires : synchronicités, dons psi (pouvoir de la position méta sur le plan infra).

Dans le même ordre d'idées, Gregory Bateson 2 a pu définir la sagesse comme la connaissance du système interactif plus vaste. Et Edgar Morin déclare : « Si vous avez le sens de la complexité, vous avez le sens de la solidarité 3. » Cette solidarité, qui est prise de conscience des interdépendances, est effectivement un leitmotiv chez les expérienceurs, soulignant ainsi notre coresponsabilité individuelle et collective.

Cette façon de considérer l'évolution des expérienceurs est conforme à l'explication de l'évolution de l'univers et des espèces, par une montée en complexité, dont l'émergence de la conscience serait un des derniers stades. Mais il y a un gouffre entre une conception de la conscience comme qualité émergeante, de façon simple ou complexe. La première vision peut conduire à des scénarios de type Terminator II 4, alors que la seconde débouche sur une Toute Autre transcendance. En se plaçant non plus sous l'angle ontologique mais pragmatique, surgit ici une connexion signification-sens-finalité, entre les modèles de réalité que nous choisissons et le futur que nous nous programmons.

Si donc ou peut concevoir l'évolution personnelle (dévoilée dans son principe par la soudaineté de la NDE) comme une ascension en complexité avec gain d'autonomie, ne pourrait-on pas extrapoler à des niveaux encore plus autonomes de la pensée ? En imaginant d'autres sauts évolutifs ; depuis que le monde conscient existe, on pourrait postuler des plans supérieurs, de plus en plus complexes, de moins en moins formels, de plus en plus souples. Notamment, tout près de nous, une strate mi-pensée, mi-matière pourrait correspondre à l'imaginal d'Henri Corbin, la méta-matière tachyonnique de R. Dutheil ou l'astral de la littérature ésotérique. Si nous poussons plus loin, en nous inspirant de Gregory Bateson :

« Appelez ces forces systémiques, Dieu, si vous voulez » ; pourquoi ne pas aller jusqu'à l'émergence limite, c'est-à-dire ce que nous nommons le divin ? Cette ultime émergence, instance dotée d'un nombre infini de degrés de liberté et d'une infinie complexité, serait-elle parfaitement autonome ? Comme Dieu, elle nous dépasserait en effet de façon inimaginable et comme lui, elle serait d'une complexité inconnaissable. Mais si, comme Edgar Morin le pense, elle ne peut être complètement autonome de ses conditions de formation, alors Dieu et l'homme sont co-créateurs. Dans un perpétuel mouvement de l'un vers l'autre, les causalités ascendantes et descendantes s'intriqueraient à l'infini dans des rétroactions impossibles à démêler.
 
 

Le pari, la foi et le sens

Ainsi que le signale Edgar Morin, « le monde est à l'intérieur de notre esprit, lequel est à l'intérieur du inonde Depuis le théorème de Gödel, il existe une barrière infranchissable à l'achèvement de notre connaissance [...]. La brèche dans notre système cognitif est infinie ». Il en ressort donc que « nos croyances les plus fondamentales sont l'objet d'un pari 3 ». Il faut par conséquent que le scientifique, lui aussi, «mesure ses risques et se jette à l'eau ; il doit parier comme Pascal 5 ».

S'il ne peut s'agir que d'un acte de foi, c'est donc à l'homme singulier que revient la décision, qu'il choisisse la voie du pari, à partir de ses savoirs objectifs et de critères extrascientifiques comme l'éthique, ou qu'il se sente agi dans ce choix à travers une expérience transcendante. L'homme contemporain, par un détour imprévu, redevient souverain.

Cela signifie aussi que nous devons revoir complètement nos catégories mentales et, en particulier, nos conceptions de réalité et de vérité, sans pour autant tomber dans un relativisme qui n'aurait plus aucun sens, nous conduirait au désespoir et ne résoudrait rien. Nous avons besoin de nous sentir dans le vrai et le réel. Notre pensée actuelle conclut que nous devons faire le deuil d'une réponse logiquement étayée : dans la recherche du sens ; l'homme est sujet et objet de la recherche. La preuve de Gôdel peut s'y appliquer : il y a autoréférence et indécidabilité.

Une seule solution s'offre à nous : sortir du cadre. Comme l'indique Wittgenstein, c'est la solution mystique qui transcende le paradoxe. Et c'est bien ce que montre la NDE : en se transcendant, la conscience peut atteindre un ordre du réel et du vrai, sur lequel apparemment un consensus se fait. Cet ordre est, pour les témoins, fondé sur un sens, lui-même transcendant, qui coïncide avec le réel et le vrai.

Avec la NDE se repose l'essentielle question du sens, besoin psychologique fondamental, coextensif à la pensée.

Le sens n'est-il, comme le pense Henri Atlan 6, que le nom donné à une causalité inaccessible à notre entendement ? Ne pouvant voir de déterminisme là où la complexité met de l'indétermination, nous l'appellerions finalité. Le sens ne serait-il qu'une construction humaine due à la finitude de notre connaissance, ainsi qu'à un besoin vital relevant de notre propre finitude ?

Dans ce cadre de pensée, les témoins créeraient de la signification-finalité par incapacité à percevoir ce qui meut cette machine cybernétique complexe que constitue leur « je ». Ils construiraient de la cohérence a posteriori, par besoin dramatiquement humain de sens, au moment où il leur faut abandonner cette machine à laquelle ils s'identifient. N'est-ce pas encore là un raisonnement par défaut ?

Est-ce qu'un tel sens persisterait après l'expérience ? S'il n'a été qu'un besoin temporaire, il sera difficile à maintenir quand la situation de mort imminente n'existera plus. En fait, l'examen des témoignages le montre beaucoup plus comme une instance transcendante qui illumine durablement la vie ultérieure du rescapé.

Louis-Vincent Thomas considère que la spiritualité se caractérise aujourd'hui par la recherche du sens. Je pense aussi que c'est une de ses principales composantes. Ne l'a-t-elle d'ailleurs pas toujours été ? Si elle apparaît un peu plus actuellement, c'est peut-être qu'elle nous est drastiquement nécessaire ou qu'elle est devenue, pour nos mentalités, la plus intelligible.

L'herméneutique au travail dans la NDE indique cependant qu'il existerait, en nous, et dans le monde, un sens supérieur et atteignable. On peut, à sa guise, le concevoir comme sagesse du système qui nous englobe ou existant Tout-Autrement en soi ; mais il est indéniablement énergie pour la vie, nourriture pour l'âme et agent transcendant de la transfiguration.
 
 

1. P. Watziawick et alii. Une logique de la communication, W.W. Norton and Compagny, inc., New York, 1967, Ed. du Seuil, 1972.

2. Gregory Bateson, Vers une écologie de l'esprit, t. 2, Ed. du Seuil, 1980.

3. Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, ESF, 1990.

4. Dans ce film de James Cameron, sorti en 1991, l'ordinateur central Skynet, « cerveau » de toutes les machines cybernétiques auto-évolutives (programmées pour apprendre à apprendre), accède à la conscience, tandis que l'homme descend dans la pyramide décisionnelle ; ce qui aboutit à l'explosion nucléaire et à la « guerre des machines ».

5. Trinh Xuan Thuan, La Mélodie secrète, Arthème Fayard, 1988 ; Gallimard, 1991.

6. Sciences et symboles, les Voies de la connaissance, colloque de Tsukuba Albin Michel, 1986.
 
 

Annexes

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